La Coupe du monde 2022 n’aura pas lieu (pour moi)
Appel - Le Mondial au Qatar compromet le football dans un désastre humain et environnemental. Notre passion doit-elle nous en rendre complices ?
Dans un peu plus de deux mois, le 20 novembre 2022, commencera la Coupe du monde de football au Qatar. Peu de fois dans l'histoire, un événement sportif n'aura autant mêlé le scandaleux à l'absurde, jusqu'à l'écœurement, peu de fois le football aura autant été l'instrument d'enjeux qui n'ont plus rien à voir avec le sport, le jeu ou la compétition.
Attribuée par la FIFA en décembre 2010 à l'issue d'un pacte de corruption présumé qui se trouve actuellement sous le coup d'investigations des autorités judiciaires américaines, françaises et britanniques, la Coupe du monde au Qatar a soulevé depuis le premier jour de légitimes polémiques.

Désastre humain
Si les instances internationales du football s'accommodent depuis longtemps des atteintes à la démocratie et aux libertés publiques (on peut se souvenir du Mondial 1978 dans l'Argentine de la junte militaire), cette attribution a eu ceci de particulier d'ajouter l'aberrant au scandaleux du fait des caractéristiques mêmes du pays d'accueil.
Minuscule en superficie (trois fois plus petit que la Bretagne) comme en population (autant d'habitants que dans le seul département du Nord), sans aucune tradition footballistique ni aucune perspective d'essor populaire de ce sport sur place, le Qatar a pour principal atout sa rente gazière. Ce Mondial en plein désert se désintéresse de ce qui fait le football même : son public.
Depuis douze ans, les réformes mineures intervenues pour libéraliser la société ou améliorer certains droits sociaux n'ont pas changé la réalité d'une monarchie absolue fondée sur l'application de la loi islamique, qui n'accepte aucune opposition, et d'une société qui impose une ségrégation de fait, des entraves aux libertés publiques et à l'égalité femmes-hommes, la criminalisation de l'homosexualité et de l'adultère, etc.
Des centaines de milliers de travailleurs venus des pays les plus pauvres d'Asie ont émigré pour construire les infrastructures de la compétition dans des conditions dénoncées par les ONG comme Amnesty International ou Human Rights Watch. Selon une enquête du journal britannique The Guardian, au moins 6.500 travailleurs ont trouvé la mort sur les chantiers qataris. Comment faire abstraction du sentiment que la compétition se déroulera sur un charnier ?
Désastre environnemental
Le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) publie depuis plus de vingt ans des rapports accablants sur le changement climatique, ses causes humaines et ses conséquences désastreuses illustrées par un été de catastrophes.
Celles-ci, avec les tensions sur l'approvisionnement en pétrole et en gaz, conduisent nos sociétés et nos gouvernements à prôner enfin ! - la modération et la restriction des usages énergétiques à ce qui est vraiment utile ou nécessaire.
À cette nécessité de sobriété, la FIFA répond par une démesure coupable. La construction de stades à usage unique et climatisés en plein désert, le déplacement par avion de dizaines de milliers de supporters dans un pays qui détient le record mondial des émissions de CO2 par habitant : cette Coupe du monde se présente comme une révoltante aberration écologique.
S'il est trop tard pour empêcher l'émergence de ces infrastructures, est-il raisonnable de cautionner passivement ce modèle, au moment même où nous réfléchissons à baisser la température dans nos logements, bureaux et écoles pour pouvoir passer l'hiver ?
Désastre pour le football
Je suis un passionné de football, l'équipe de France me fait vibrer depuis l'Euro 96 et le Mondial 98.
Cette fois, je ne peux échapper à la conscience que regarder cette Coupe du monde reviendra à la cautionner et à participer à un désengagement moral mal dissimulé derrière l'apparente innocence d'un match de football. La frontière de cette passion doit s'arrêter au respect de la vie humaine et des conditions de vie sur terre dans les décennies à venir.
Cet édifice ne repose que sur notre adhésion. En définitive, nous autres passionnés, amateurs de football, si souvent réduits au rang de consommateurs, devrions avoir le dernier mot, devrions reprendre le contrôle de notre passion.
Cette Coupe du monde n'aura pas lieu, pour moi. Je ne regarderai aucun match de la compétition, et ne lui porterai aucune attention. Ce geste est en soi dérisoire mais, multiplié, il pourrait changer le cours du jeu. Alors je vous appelle à envisager de faire, vous aussi, l'impasse sur ce tournoi.
J'invite les responsables publics à ignorer les représentations officielles autour de l'événement. J'invite les supporters à renoncer à ce déplacement qui les rendrait complices de ce qu'ils n'accepteraient pas chez eux. J'invite les sponsors et partenaires à se désengager pour ne pas se compromettre encore plus.
J'appelle les acteurs du football, clubs, joueurs, fédérations, journalistes et médias, consultants, passionnés ou simples amateurs à marquer leur désapprobation, par quelque forme que ce soit, et à faire vivre ce débat autour d'eux pendant la durée de la compétition.
Je ne veux plus d'un football complice des régimes autoritaires, du mépris des droits humains, des catastrophes climatiques, devenu outil de greenwashing et de sportwashing. Je veux vivre un hiver 2022 plein de football, mais pas de celui-là.