La Coupe du monde sous TF1
En comparaison du scénario d'une non diffusion, ou de celui, plus réaliste, d'une diffusion largement payante, l'annonce que TF1 diffusera intégralement la coupe du monde 2002 peut donner l'impression d'être presque une bonne nouvelle. Ce qui fait mal, c'est le "en exclusivité" qui accompagne cette acquisition…
En tout cas, à près de 1,1 milliards de francs (168 millions d'euros les gars faut s'y mettre), Kirch peut se féliciter d'avoir obtenu à peu près ce qu'il espérait. Le groupe allemand a d'ores et déjà récupéré sa mise et a encore une bonne partie des droits de 2006 à commercialiser. La somme payée en France est inférieure aux contrats allemand, anglais et espagnol, mais elle est conforme aux hiérarchies économiques de l'Europe du football. Reste maintenant à convaincre des chaînes italiennes plus réticentes, mais désormais seules.
Mains basses sur le Mondial
A l'heure où la Commission européenne reproche à l'UEFA de vendre les droits de sa Ligue des champions en exclusivité à des diffuseurs nationaux, cette option peut sembler problématique sur le plan du droit de la concurrence, mais dans ce cas, c'est la loi du marché qui seule a parlé. Les autres chaînes, Canal+ étant le grand absent de l'appel d'offre — n'ont pas eu voix au chapître dès lors que la chaîne de Boulogne avait accepté l'enchère de Kirch. France Télévision a simplement déclaré avoir "délibérément choisi de ne pas suivre" pour ne pas "faire de la voltige". M6, qui avait fait une offre dans le courant de la semaine dernière, a invoqué des raisons similaires. Leurs réticences financières sont effectivement compréhensibles.
La solution "multichaînes", qui avait jusqu'à présent prévalu, a donc explosé sous la pression d'enjeux financiers décuplés par l'inflation elle-même. De par sa position dominante, TF1 est quasiment contraint de payer le prix fort pour conserver la plus grosse part du gâteau, quitte à s'emparer du gâteau tout entier. La Coupe du monde était une sorte de messe œcuménique, à l'image de l'édition 98, elle devient le produit principal d'un monopole privé. La FIFA, qui a provoqué la situation en cédant les droits de sa compétition à Kirch et ISL (c'est-à-dire à Kirch, après la faillite d'ISL) pour 12 milliards de francs, est restée totalement muette.
Poker fatal ?
Le pari est risqué. Certes, TF1 va pouvoir s'approprier le plus grand événement sportif du monde (après le tournoi international de subbuteo de Sucy-en-Brie), sursponsoriser l'événement vu de France et faire la promotion de ses filiales LCI (!) et Eurosport. Mais Le Lay et Mougeotte peuvent aussi prendre un gros bouillon sur un marché publicitaire déjà déprimé si les audiences sont décevantes à 11 heures du matin, et plus encore si le parcours de l'équipe de France n'est pas aussi brillant qu'espéré... La conjoncture n'est pas idéale pour rentabiliser un tel investissement, qui nécessitera de mettre la pression sur les annonceurs. Le risque sera apprécié en son heure, d'ici huit mois en fait, mais à la bourse de Paris, l'action TF1 avait baissé de près de 2% à la clôture.
L'option prise sur la Coupe du monde 2006 en Allemagne (les matches des Bleus, les demi-finales et la finale) semble plus décisive et offrir de meilleures garanties, à condition que d'ici-là, le marché ne soit pas en pleine récession…
Un mois de Téléfoot
Bien sûr, le plus calamiteux de cette exclusivité, c'est le monopole ainsi accordé à l'équipe de décérébrés du service des sports de TF1, au travers desquels nous serons contraints de suivre la plus large part du Mondial. Cela alimentera les Cahiers, mais les guignols des autres chaînes vont nous manquer. Celles-ci pourront malgré tout tirer leur épingle du jeu en proposant des magazines qui ont des chances d'être beaucoup plus regardés en fin de journée, et qui ne nécessitent pas d'investir dans les droits du direct (par contre, ceux des "résumés" des rencontres sont payants, mais on ne sait pas à l'heure actuelle si TF1 en a ou non l'exclusivité).