La fin du "but à l'extérieur", un but contre la coupe d'Europe
Au nom de l'équité mais au mépris de l'intensité dramatique, l'UEFA a supprimé une règle qui a fait le charme et les drames des coupes d'Europe.
À l’entame d’une nouvelle campagne de Ligue des champions, difficile de se projeter dans les affiches du printemps sans un serrement au cœur. Le 24 juin dernier, le comité exécutif de l’UEFA a validé l’abolition de la règle dite des buts marqués à l’extérieur dans toutes les compétitions européennes, à compter de la saison présente.
Une décision que l’on pressentait depuis quelques années et qui illustre la frénésie réformatrice de l’instance européenne, au mépris comme souvent des traditions qui font le mythe du football, au nom comme toujours de l’équité sportive érigée en fin – mais constamment bafouée par ailleurs.

But en milieu hostile
Depuis son introduction par l’UEFA en 1965, la règle des "buts à l’extérieur" a fait le bonheur des supporters. Elle consistait à ce que, en cas d’égalité en nombre de buts marqués lors d’une confrontation éliminatoire en aller-retour, l’équipe qui en a le plus inscrit sur le terrain de l'adversaire se qualifie. Dès l’origine, l’idée était d’encourager le spectacle en valorisant le but inscrit en milieu hostile.
Dans son communiqué, l’UEFA invoque justement l’obsolescence de cet argument pour justifier le retrait de la règle. "Les statistiques depuis le milieu des années 1970 jusqu’à ce jour montrent une nette tendance à la réduction progressive de l’écart entre le nombre de victoires à domicile et à l’extérieur (de 61% à domicile et 19% à l’extérieur à 47% à domicile et 30% à l’extérieur)", explique-t-elle.
Elle énumère aussi les causes probables du phénomène: "une meilleure qualité des terrains et des tailles standardisées, une amélioration des infrastructures des stades, des conditions de sécurité optimisées (…) des conditions de voyage plus confortables", pour n’en citer que quelques-unes.
La démonstration a beau pulluler de statistiques, on n'est pas pour autant convaincu de l’opportunité de supprimer une règle qui a contribué à la légende des plus grandes joutes européennes depuis cinquante ans.
Car si la règle des buts à l’extérieur était initialement motivée par l’intention d’équilibrer les débats en donnant un avantage aux équipes visiteuses, ses mérites ont largement dépassé ce louable motif. Réduisant les chances de prolongations, ces dernières n’étant possibles qu’en cas de scores identiques sur les deux rencontres, elle a permis des matches retour épiques.
Combien a-t-on vu de fins de match soumises à la versatilité du sort, durant lesquelles chaque occasion asphyxiait le stade, chaque but inversait le destin?
Éloge de la cruauté
Qu’il s’agisse d’Iniesta en 2009, à la dernière minute d’une demi-finale étouffante à Stamford Bridge, de Manolas face à Barcelone au bout du quart de finale renversant d’un mois d’avril 2018, ou de Lucas Moura inscrivant un an plus tard le but du 3-2 sur le terrain de l’Ajax, que les travées s’éteignent subitement ou au contraire explosent de joie, l’intérêt de la règle résidait dans sa cruauté et son corollaire, ces émotions intenses.
Sans la règle, les trois exemples précités auraient débouché sur des prolongations, issue ô combien moins cruelle et dont il est permis de douter de la postérité. Dans l’histoire des coupes d’Europe, les matches les plus mémorables sont presque toujours ceux où, mise au pied du mur par l’impossibilité d’une prolongation, une équipe n’eut d’autre choix que d’aller chercher le but libérateur dans le temps réglementaire.
Beaucoup de secondes mi-temps des matches retour pâtiront de la décision de l’UEFA, qui augmentera inévitablement le nombre de prolongations. Les minutes s’égrenant, les équipes éviteront de se découvrir, au lieu de pousser pour marquer comme la règle des buts à l’extérieur les y contraignait.
Les prolongations, Aleksander Ceferin en parle dans le communiqué du 24 juin. Selon lui, la règle les rendait injustes. Il accuse cette dernière d’obliger "l’équipe recevante à marquer deux fois lorsque l’équipe visiteuse marque un but". Certes. Mais l’abolition de la règle n’abolira pas l’iniquité.
Puisque la prolongation se jouera toujours dans le stade du match retour, c’est désormais l’équipe recevante qui, jouant devant son public chauffé à blanc et libérée de la double menace du but adverse, sera favorisée.
Équité contre intensité
À son insu, Ceferin nous prouve que la recherche à tout prix d'une justice sportive est un vain combat. L’instauration de la VAR nous l’a déjà prouvé. Si l’équité doit être aux fondements du sport, elle ne saurait en être l’autel sur lequel sacrifier l’émotion, la passion, le mythe.
L’étendard de l’équité brandi par l’UEFA est surtout un habile prétexte, l’arbre qui a du mal à cacher la forêt du business – la multiplication des prolongations et l'augmentation du temps de jeu suggèrent que les diffuseurs y trouveront le compte d'une augmentation de leurs revenus publicitaires.
Qui croit à la sincérité de Ceferin lorsque, au nom de la santé des athlètes, il se récrie contre l’hypothèse d’une Coupe du monde tous les deux ans suggérée par la FIFA, tout en promouvant une Ligue des champions avec cent matches de plus à partir de 2024?
On désespère que l’UEFA comprenne un jour que le football ne peut se concevoir en faisant fi de la tradition, de l’émotion, du récit, du mythe, de tout ce qui fait, au fond, la poésie et l'intensité dramatique du sport le plus populaire du monde.
La règle des buts à l’extérieur était peut-être une anomalie, peut-être n’était-elle pas rationnelle. Mais elle nourrissait la passion et, quoi qu’en dise Ceferin, n’était jamais mise en cause par les acteurs du football. En ajoutant du tragique au jeu, elle façonnait la légende et marquait les mémoires. Elle va terriblement nous manquer.
