La Gazette du Mondial, numéro 3
Les sélections rejoignent l'Asie les unes après les autres, en comptant leurs blessés. Le nom d'Ibusuki nous devient subitement familier, et grâce l'hyperactivité des médias, nous n'allons rien ignorer du quotidien des Bleus, depuis la qualité de leur sommeil jusqu'à leur yaourt au menu en passant par leurs éventuels ennuis gastriques. Pourtant, il ne va rien se passer. Les internationaux eux-mêmes vont s'ennuyer et subir le contrecoup d'un décalage pas seulement horaire. Nous sommes dans l'œil du cyclone, dans cette période de dépression atmosphérique durant laquelle on ne peut que spéculer un peu vainement sur les systèmes de jeu et les chances des uns et des autres.
La grande peur
La Coupe du monde n'est pas commencée, et tous les fléaux du monde moderne menacent les pays organisateurs: hooliganisme, fièvre aphteuse, terrorisme, service des sports de TF1... Les petits commerçants japonais souscrivent des assurances anti-casse, le gouvernement coréen essaie d'endiguer l'épidémie qui atteint les cochons de son pays, et les marines des deux nations ont effectué des "manœuvres navales antiterroristes" (AFP). Même la météo s'annonce terne en juin sur l'archipel nippon. La période qui précède les Coupes du monde est décidément propice à tous les affolements, l'édition 1998 n'ayant pas échappé à cette tendance alarmiste (Vigipirate renforcé, peur des grèves, manque d'enthousiasme, sélection de Dugarry…).
Côté hooliganisme, pour le moment, un seul représentant anglais a été arrêté à sa descente de l'avion au Japon. Il ne faisait pourtant pas partie du contingent des supporters interdits de stade au Royaume-Uni, mais avait déjà été condamné en 1999, ce qui lui a valu une expulsion. Le meilleur filtre à hooligan devrait cependant être le coût du voyage lui-même, qui devrait largement amoindrir le nombre des professionnel de la violence, également dissuadés de se retrouver face à des polices, des justices et des prisons dont la réputation est établie. A l'exception peut-être de débordements très localisés, le Japon et la Corée devraient échapper aux scènes vécues à Lens ou à Marseille.
En revanche, nous ne nous prononcerons pas sur la réalité des menaces de grève du syndicat sud-coréen KCTU, qui annonce des débrayages massifs en milieu de semaine dans les industries, pour commencer. Le gouvernement a pour sa part appelé à la trêve sociale durant la compétition, mais il est attaqué par l'opposition pour plusieurs affaires de corruption.
Toute la musique qu'on n'aime pas
Il est d'usage de dire que l'univers du football a été profondément bouleversé au cours des dernières décennies, dans tous ses domaines. Il y a des domaines où les traditions ne se perdent pas, notamment en France, comme celle de la chanson officielle débile. Les gens de marketing s'acharnent ainsi à appliquer la politique du pire et chaque participation des Bleus à une phase finale est l'occasion d'une nouvelle horreur musicale, qui avec le temps s'est scindée en plusieurs produits: chanson officielle de l'équipe de France, chanson officielle des supporters de l'équipe de France, chanson officielle de Francis Lalanne pour Christian Karembeu, chanson officielle de la fanfare de Liévin, chanson officielle du comité de ré-obtention de la Coupe du monde au profit de l'équipe de France.
L'édition 2002, rengaine lourdissime interprétée par Johnny Hallyday est d'autant plus déplorable qu'on n'est plus en 82 (Dalida) ni en 86, année qui nous a offert "Viva les Bleus", avec au micro rien moins que Carlos, Enrico Macias, Sim, Sacha Distel, Marcel Aumont, Michel Boujenah, Patrick Sébastien ou encore Didier Barbelivien.
Plus grave, cet hymne foireux sera peut-être la cause d'une terrible fracture culturelle au cœur même de la défense des Bleus, puisque si Marcel Desailly a déclaré adorer la performance de Johnny, Fabien Barthez n'a pas caché son dégoût et son énervement d'être associé à ça ("En aparté", C+ 19/05). Oui mais voilà, l'équipe de France vaut cher sur le marché du disque, et il ne fallait pas laisser se produire un hold-up comme celui de "I will survive", largement improvisé et ne portant pas l'estampille produit officiel (du moins dans un premier temps). Barthez pas plus que Candela, cette fois, n'a eu son mot à dire, l'adhésion de leur capitaine valant certificat de "choisi par les Bleus".
C'est pourquoi, malgré la révolution culturelle du foot français en 1998, s'ouvrant à des publics élargis qui découvraient que cette discipline n'était pas nécessairement un ferment de ringardise, c'est la stratégie de la moindre audace et du plus petit dénominateur commun qui l'a emporté, en même temps que notre vieille gloire de la variété. Laquelle a montré la pertinence de ce choix en encourageant vivement Zazie, le meneur de jeu de l'équipe de France, dans une séquence que TF1 n'osera jamais montrer dans ses bêtisiers.
Heureusement, les Cahiers du football vous promettent solennellement et pour bientôt une contre-attaque explosive sur le front musical de l'hymne officiel des supporters…
Chaud et froid pour la Mannschaft
L'Allemagne a beau passer quelques cartons à ses adversaires des matches de préparation (7-0 contre le Koweit, 6-2 contre l'Autriche — mais une défaite 1-0 au Pays de Galles), elle enregistre autant de coups au moral que de défections. C'est cette fois Sebastian Deisler, victime d'un coup au genou, qui doit renoncer. Son absence sera préjudiciable au plan sportif, Völler ne disposant plus que de Ballack comme meneur de jeu. Elle le sera aussi symboliquement, Deisler étant un des rares jeunes de grand talent éclos dans une Allemagne du football qui souffre de la crise de sa formation. Le Berlinois du Hertha (qui rejoindra le Bayern à l'intersaison) aurait pu incarner cet hypothétique renouveau, mais sa jeune carrière semble déjà marquée par les blessures, comme celle qui le priva de la majeure partie de la saison de Bundesliga. En son absence, ce sera peut-être, mais à un autre poste, Miroslav Klose qui tiendra le rôle. Le jeune attaquant (24 ans en juin) de Kaiserlautern a claqué trois des six buts de son équipe contre l'Autriche (leur Belgique à eux). En allemand, on appelle ça un "Dreierpack", c'est-à-dire un pack de trois.