La Gazette, numéro 22
Le foot italien sur une mauvaise pente?
C'est une phrase intéressante. D'abord parce qu'elle émane d'un joueur respecté, Lilian Thuram, ensuite parce qu'elle casse un cliché un peu pénible. "(Le Calcio) "plus beau championnat du monde", c'est à voir. C'est sûrement celui où il est le plus difficile de s'exprimer. Mais le plus difficile ou le plus beau, ce n'est pas exactement la même chose. Regardez ce Juve-Parme. Deux grandes équipes, un sommet, et à la sortie, je ne crois pas que le public ait eu l'impression de voir du grand niveau, un jeu à la hauteur de l'affiche" (L'Equipe, 11/12). Dans le contexte du débat actuel sur le déclin-tsoin-tsoin du foot français, cette déclaration (qui devrait logiquement être reprise dans la presse italienne à fins de polémique) vient un peu recadrer les choses. Les complexes français s'auto-alimentent en s'éblouissant des budgets et des castings italiens, et les résumés de dix minutes montrés à la télévision font facilement illusion: quel rythme, que d'attaques! Le résumé du match cité par le champion du monde, dans un Stadio delle Alpi à moitié vide, était cependant si mince que personne n'a pu s'y tromper.
Et oui, il faut bien dire que le football est un sport souvent ennuyeux, sans garantie de spectacle, et l'Italie ne fait pas exception à la règle. La dramatisation extrême des enjeux, les luttes acharnées entre de trop nombreux clubs riches (tant sur le marché des transferts que sur les pelouses) ne sont pas des facteurs qui semblent profiter au climat général. Abondance de biens...
Il faut dire que cette saison voit tous les malheurs s'abattre sur le Calcio. Des malheurs prévisibles, voire mérités, qui sont les symptômes d'une crise profonde dans le football italien. Si on les additionne, le tableau apparaît effectivement très noir: enquêtes sur le dopage et les faux passeports, crise identitaire et débat sur le nombre d'étrangers dans le championnat, parcours européens très décevants depuis deux saisons, contamination par le racisme et la xénophobie, ingérences politiques, fiasco de l'Inter, valse des entraîneurs, surcharge des effectifs, hystérie des transferts, fréquentation en baisse...
Ce catalogue montre que le colosse est fragile. Le Calcio reste un championnat absolument passionnant, mais il est miné par la multitude de ses "affaires", qui trahissent des dérives réelles. Le spectacle et l'intérêt du championnat finissent-ils par en souffrir insidieusement? C'est le sentiment que l'on peut avoir de ce côté des Alpes, même s'il est vraisemblablement très peu partagé de l'autre côté. Thuram n'est pourtant pas le seul international français à avoir tenu des propos désenchantés sur la Serie A, et l'on se demande par exemple si la Juventus est le club idéal pour l'expression d'un Zidane, qui semble sous-estimé ou sous-employé par ses propres dirigeants. Les formations italiennes ont perdu la plupart des réflexes sécuritaires qui cadenassaient autrefois le jeu, mais l'intensité tactique et physique reste telle que le spectacle, auquel les stars ne suffisent pas toujours, semble parfois décliner.
Bien sûr, toute conclusion serait prématurée, mais l'accumulation des ennuis met en danger le foot italien et la question se pose de savoir s'il a les moyens de réfléchir sur sa propre évolution pour en limiter les dérapages.
Green Card
Les choses ne s'arrangent pas pour le club stéphanois, en proie désormais avec une vrai "crise des passeports", dont nous avons récemment évoqué l'ébauche (Faux passeports: une bombe à retardement?). La direction du club a officiellement annoncé, sur son site, qu'elle avait porté plainte contre X, à la suite d'un troisième examen des passeports de ses joueurs étrangers. Ce "nouveau contrôle mettant en œuvre des moyens d'investigation particulièrement sophistiqués (...) laisse aujourd'hui à penser que l'authenticité de certains des documents contrôlés n'est pas avérée". Cet euphémisme "laisse aujourd'hui à penser" que certains des documents fournis par Alex, Levytsky ou Aloisio pour évoluer en tant que joueurs communautaires (sous les bannières du Portugal et de la Grèce) sont des faux.
Les rumeurs qui tournaient depuis longtemps autour de l'effectif stéphanois trouvent donc une certaine confirmation. L'attitude du club est elle-même sujette à caution, même si il se prévaut de deux examens effectués les 27 septembre et 30 octobre, qui n'avaient rien révélé. Le doute subsiste, d'abord parce que les décisions ne se sont précipitées qu'à partir du moment où le recours toulousain a été déposé auprès de la Ligue. Ensuite parce que les dirigeants admettent désormais que l'absence de Levytsky était "aussi" due à ces inquiétudes, pas seulement à un pépin physique. Les contradictions ont d'ailleurs été nombreuses dans les déclarations de Bompard et Soler depuis l'été.
Rétrospectivement, de nombreux éléments suggèrent en effet que le staff stéphanois avait saisi l'ampleur du problème et les risques encourus: chantage réussi d'Aulas avant le derby, tergiversations autour de Luiz Alberto, étrange départ de Panov, témoignage de Nouzaret. L'ASSE est pour le moins coupable d'avoir trop voulu jouer avec les règlements sur les nationalités, et s'est retrouvée contrainte à "dénaturaliser" son buteur et son gardien de but, ce qui n'a fait qu'aggraver les suspicions.
Nous évoquions dans l'article cité ci-dessus l'attitude très compréhensive de la Ligue et la solidarité relative entre les clubs. L'un des avocats de Saint-Etienne n'est autre que Maître Soulier, candidat battu de Jean-Michel Aulas à la présidence de la Ligue, extrêmement bien introduit dans la profession.
Commentant la déclaration officielle et justifiant une démarche qui devance l'examen du cas par la Ligue (le 18 décembre), il a déclaré aux journalistes: "Il y a cinq millions de Brésiliens qui possèdent un passeport portugais, donc un passeport communautaire. (...) Il n'est donc pas invraisemblable que des footballeurs brésiliens possèdent un tel document. C'est à travers ce chiffre impressionnant que sans doute des intermédiaires se sont glissés pour installer une filière" (Reuters, 11/12). Le club, qui plaide déjà sa candeur, désigne aussi les coupables au futur juge d'instruction: les intermédiaires qui ont opéré sur les transferts concernés, lesquels devraient effectivement en savoir un peu plus.
Ces propos de circonstance ne doivent pas occulter le fait que le club avait tout de même besoin de voir ses recrues obtenir des passeports communautaires. Si les joueurs sont logiquement demandeurs de papiers qui leur permettront de trouver plus facilement une destination dans l'Eldorado européen, les clubs qui internationalisent leur recrutement ont eux aussi intérêt à des solutions qui arrangent tout le monde. Le contexte de tolérance entretenu par des instances un peu laxistes en matière de justification d'identité n'a certes pas joué un rôle dissuasif... Qui sont alors les vrais "donneurs d'ordre" que fournissent les "filières" sud-américaines?
"Le mieux c'est d'être prudent", a ajouté Me Soulier. "Nous sommes au-delà du principe de précaution. Nous essayons de savoir ce qui s'est passé." On aimerait bien le savoir en effet.