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La "meilleure Coupe du monde de l'histoire" n'a pas été celle d'un monde meilleur

Le football est resté un sport merveilleux au Qatar, ce qui rend encore plus tragique la réussite de son instrumentalisation lors de ce Mondial. 

Auteur : Jérôme Latta le 21 Dec 2022

 

La FIFA et le Qatar ont donc joué la carte de la provocation du début à la fin. Le président de la confédération avait donné le ton avec un discours inaugural consternant, dans lequel il revendiquait le droit pour un État de bafouer les droits humains, et déclarait les hostilités avec l'Europe.

Gianni Infantino, qui a enrichi sa collection de clichés l'affichant aux côtés d'autocrates notoires, dans le Gotha desquels il est ravi de figurer, sait parfaitement ce qu'il fait quand il s'autorise à clamer que ce fut "la plus belle Coupe du monde de l'histoire", malgré son insupportable coût humain.

Ce n'est pas que le bilan est positif pour le binôme organisateur, mais qu'il est totalement assumé, jeté à la face du monde.

 

photo fifa.com
photo fifa.com

 

Cette première Coupe du monde du monde arabe allait être une adaptation du "choc des civilisations" sur la scène du football, le théâtre d'une spectaculaire instrumentalisation politique et géopolitique du football... alors qu'il ne fallait surtout pas la politiser.

L'événement géopolitique majeur a été régional, avec la réconciliation des anciens ennemis du Golfe, mise en scène avec insistance devant les caméras. Le "monde arabe" a ensuite pris consistance derrière le parcours du Maroc.

Puis c'est l'Afrique entière que le Qatar a prétendu rallier - un comble quand on sait le rang des Africains dans la hiérarchie locale des travailleurs immigrés. L'entreprise confusionniste a prospéré à l'échelle mondiale.

Idiots utiles et auxiliaires cyniques

Le filtrage très sélectif des symboles politiques aura été parlant : les arcs-en-ciel et les messages en faveur des insurgés iraniens sont restés bloqués aux guichets, où l'on a massivement laissé passer les drapeaux palestiniens. Sans parler de la tolérance - pas tout à fait nouvelle - envers les expressions religieuses sur le terrain, théoriquement interdites.

Il est utile que notre eurocentrisme subisse une sévère correction, ne serait-ce que de sa myopie. Cela n'en rend pas les autocraties plus fréquentables, cela n'en rend pas le combat pour les droits humains moins légitime, au nom d'un relativisme imbécile.

On a aussi pu constater qu'au sein même des démocraties libérales, les discours justifiant les atteintes aux droits humains ont été nombreux, invoquant le "folklore" ou les "traditions" à respecter.

Au fond, que défendent leurs auteurs en fustigeant les "donneurs de leçons", sinon la corruption, l'exploitation des êtres humains, l'homophobie institutionnelle, les discriminations de genre, les dictatures, les désastres écologiques, le dévoiement de la "grande fête du football" ?

Les idiots utiles, rémunérés ou bénévoles, les auxiliaires cyniques, les touristes écervelés et certains journalistes complaisants ont trouvé dans le bon déroulement (pourtant contestable) de la compétition un motif pour discréditer les mobilisations et les critiques.

Comme si elles avaient porté sur cet aspect, comme si eux-mêmes, depuis leur bulle à Doha, pouvaient se faire une idée de la réalité de l'émirat et de violations des droits qui ont continué durant le tournoi.

Cautionner et banaliser l'inacceptable, telle a été l'entreprise menée avec succès au cours de cette compétition. Ce discours a, de manière encore plus désolante, été porté par le président de la FFF et celui de la République.

Alors que les libertés fondamentales s'amenuisent dans nos pays et dans une troublante indifférence, on peut s'alarmer de la minceur de la digue.

Bras de fer et bras d'honneur

Le piège du "boycott", terme ô combien impropre pour décrire la démission d'une partie des passionnés, qui devrait alarmer les pouvoirs sportifs, s'est refermé, permettant aux tartuffes de lire dans les audiences une disqualification des mobiles de cette désaffection et d'ajouter à la honte.

Le Qatar a peut-être perdu la bataille de l'image auprès d'une partie du monde, mais il a remporté le bras de fer avec celle-ci et multiplié les bras d'honneur, bien soutenu par une FIFA aussi servile que les influenceurs et les vieilles gloires stipendiés pour assurer le SAV.

Les messages, exprimant une absence totale de vergogne, ont été efficacement passés, à l'image de la climatisation des stades, qui ne devait pas être utilisée, mais qui a tourné à plein régime. Les capitaines de toutes les équipes, interdits de brassard "One Love", ont en revanche été sommés de porter un brassard... "Save the Planet".

L'émirat a renié nombre de ses engagements et a continué à travestir la réalité, le mensonge de la neutralité carbone de la compétition préludant à bien d'autres libertés prises avec les chiffres - ceux du nombre de morts sur les chantiers, des spectateurs du tournoi, de la capacité des stades ou de leur remplissage.

Plus précise, la FIFA a annoncé un record de 7 milliards de dollars de revenus sur le cycle de quatre ans incluant cette Coupe du monde pour CSP+ et VIP, anticipant 11 milliards pour le cycle suivant, tout en s'arc-boutant avec le pays hôte sur son refus de créer un fonds d'indemnisation pour les travailleurs migrants.

Le tournoi se terminait quand a éclaté le scandale de corruption au Parlement européen, qui n'a suscité, de la part du Qatar, que des menaces de représailles, campé sur sa position de force dans la crise énergétique et sa nouvelle légitimité à l'issue de son momentum.

Ces menaces font écho à celle émises contre la Ville de Paris à propos de la vente du Parc des Princes. Russie ou Qatar, on ne pactise pas avec de tels régimes sans y perdre plus que son âme. Il faudra se souvenir de la complicité de la France dans l'opération.

La défaite du football

Boire cette coupe jusqu'à la lie, cela n'a pas été voir l'équipe de France défaite aux tirs au but, mais assister, comme en 2018, au cabotinage d'Emmanuel Macron jusque sur la pelouse, démontrant sa capacité à parasiter, dans son indécence, autant les peines que les joies.

Derniers instants de gêne, dernières saynètes tragicomiques au terme d'une longue farce. Même l'ultime moment de la compétition a été braqué quand Lionel Messi a dû brandir le trophée avec un bisht par-dessus son maillot, comme pour mieux signifier qui avait vraiment gagné.

Cette "Coupe des mondes" n'a pas été celle d'un monde meilleur. Elle a montré à quel point le football est l'otage d'intérêts qui lui sont étrangers, un outil mis à la solde d'États indignes et de la puissance de la FIFA - qui s'est approprié notre passion et continue de la dévorer.

Gianni Infantino entend continuer sur cette lancée. Il n'a cure des quelques pays qui se sont manifestés, il s'adresse à la majorité de ses autres électeurs, qui approuvent la Coupe du monde à 48 équipes et la création de nouvelles compétitions, et qui le reconduiront à son poste, seul candidat à sa succession en mars prochain.

Ces quatre semaines ont ouvert de belles perspectives à l'Arabie saoudite, nouvel entrant dans le jeu du soft power sportif, ou à la Chine, deux puissances dont les candidatures à de prochaines éditions ressortent confortées, tandis que le Qatar peut préparer la sienne pour les JO 2036.

La "magie" du football a pourtant continué d'opérer, tout le drame est là. L'excitation, les mille histoires que suscite la compétition ont largement balayé le reste, comme prévu.

Le cynisme, l'indifférence et les compromis l'ont emporté, en réalité, et ont emporté avec eux un peu plus de notre amour pour ce sport. En se privant de football, les abstentionnistes se sont infligés un manque cruel, mais ils se sont aussi épargné un autre spectacle, affligeant celui-là.

Les espoirs que cette édition serve de prise de conscience, qu'elle soit "celle de trop", apparaissent plus ténus aujourd'hui. La prochaine Coupe du monde marquera une étape supplémentaire dans le gigantisme, et elle ne sera pas moins instrumentalisée.

Comment serions-nous capables de défendre le football, ce bien commun, mieux que nous n'avons défendu les droits humains et l'environnement ? 

 

Réactions

  • gurney le 21/12/2022 à 12h17
    Superbe. Juste. Terrible. Merci Jérôme.
    On devrait faire une version vidéo de cet article et obliger tous les gens que tu déboites par tes mots à l'écouter en boucle pendant 300 jours/300 nuits d'affilé.
    Est-ce possible de lire cet article tout en étant capable de dire "putain quelle régalade cette coupe du monde !" ?
    La haine putain.
    Vraiment du mal à passer par dessus ce sentiment.
    Envie de tout fracasser devant l'indifférence et la mollesse des gens qui devraient combattre eux-aussi avec leurs armes cet état Qatari, les équivalences en devenir que pointe très justement l'article et cette FIFA atroce.

  • inamoto le 21/12/2022 à 12h29
    Pas mieux. Merci Jérôme.

  • José-Mickaël le 21/12/2022 à 13h23
    Merci pour cet excellent article !

    Les Cahiers du Foot ont toujours été mon média sportif préféré, et ils le sont plus que jamais : mince, les Cahiers ont boycotté, eux ! (Savez-vous s'il y a d'autres médias qui l'ont fait ?)

    La conclusion de l'article est pessimiste, mais je la partage, hélas.

    Je n'ai pas regardé la finale, mais ça n'a pas été un sacrifice. Avant la finale, je craignais de ne pas résister à la tentation (bien que n'ayant pas vu les demi-finales). Mais Gurney m'a rappelé (dans les commentaires de l'article de Richard Coudrais) les 6000 morts. Après ça, ne pas regarder la finale ne m'a posé aucun problème (ça m'a même surpris). Quand l'article dit « les abstentionnistes se sont infligés un manque cruel », j'ai l'impression de ne m'être rien infligé du tout, et qu'au contraire c'est si j'avais regardé cette finale jouée sur des milliers de cadavres que je me serais infligé un truc cruel. C'est pour ça, aussi, que je ne suis pas un boycotteur, juste un amateur de foot qui n'arrive pas à tout accepter.

    Est-ce qu'on est nombreux à avoir refusé de regarder les matchs sans trop de difficulté ?

  • Jesper Olsen le 21/12/2022 à 13h59
    Bravo Jêrome, parfaitement juste, comme très (trop !) souvent.

    De la part de quelqu'un n'ayant pas réussi à ne pas regarder malgré la pression certaine mise par son épouse et l'arrière-goût bien dégueulasse du combo pêle-mêle et non exhaustif FIFA/Qatar/Sarko/Le Graet/Macron/ad nauseam.

  • Pascal Amateur le 21/12/2022 à 14h30
    Merci aussi de rappeler que "boycott" est un terme impropre à ce qui a été ressenti par beaucoup ; il est souvent, d'abord, un écœurement individuel, et son instrumentalisation pour en faire du "chiffre" collectif a une certaine indécence – pour comparer, pour soupeser, pour opposer, pour triompher bruyamment des "moins nombreux".

  • Edji le 21/12/2022 à 15h27
    Et sinon, tu aimes encore le foot, Jérôme ?

  • gurney le 21/12/2022 à 16h01
    j'admire ta capacité à occulter toute l'horreur pour te concentrer sur le fond du pot de crème à racler jusqu'à la dernière goutte.
    Tu vivras pas plus que nous mais tu vivras plus heureux !

  • Le Zouav le 21/12/2022 à 16h23
    Merci pour l'article, pas grand-chose à rajouter. Assez raccord avec Pascal sur l'aspect écœurement individuel.
    Moi j'aime (j'aimais?...) l'OL et les rdv du dimanche matin au stade Gregory Coupet, mais pas "le foot" manifestement, donc ne pas faire une cure de match à la télé ne m'a pas coûter outre mesure.

  • gurney le 21/12/2022 à 16h27
    C'est quand même un abandon moral problématique.
    Le foot est magique et si la Fifa et tout un milieu en ont fait un enfer, je pense pas qu'il faille abandonner l'idée d'en retrouver une partie.
    On ne reviendra certes jamais aux années 90 et à ses 3 coupes d'Europe, pas plus qu'à une époque pré-arret Bosman, mais on peut revenir dans le vert.
    Imaginer par exemple demain une coupe du monde dans des pays de foot, sans délire de gigantisme.

    Bon démanteler le réseau corrompu de la Fifa, ça prendra sans doute plus que 3/4 générations, malheureusement.

  • Le Zouav le 21/12/2022 à 16h42
    C'est quoi l'abandon moral? La pas compris.
    Je disais juste que ma consommation, mon "amour" du foot, ça a toujours plus été le club de ma ville et taper la balle avec les potes que la dégustation télévisuel des chefs d'œuvres du "Sport" football. Et donc que mon "boycott" n'en étais pas réellement un, puisque ça n'a pas été une grande souffrance, à la différence de certains.
    J'ai réduit une consommation déjà assez faible. Comme pour ma conso de viande, d'électricité, de data internet, etc ...
    Parce que je pense qu'il y a trop (d'où l'écœurement), et que, moi, c'est ce vers quoi je dois tendre (moins de foot/viande/carbone/...). A un niveau avant tout personnel.

    Je cherche surtout pas à faire la moral, je mène ma barque comme je le peux en agissant sur des facteurs à mon niveau, point.

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