La vidéo rend aveugle
L’épisode du faux-vrai penalty accordé aux Norvégiens est venu à point pour recadrer le débat sur l’arbitrage et démasquer les démagogues du lobby pro-vidéo.
Cette Coupe du monde ne déçoit pas, elle nous offre quelques démonstrations de crétinisme médiatique assez exemplaires, et surtout elle ridiculise les Tartufe en détrompant publiquement tous leurs jugements. Ceux qui prédisaient une équipe de France indigente en furent d’abord pour leurs frais. Mais le plus spectaculaire retournement eut lieu avec la merveilleuse affaire du penalty imaginaire qui donnait la victoire à la Norvège contre le Brésil, et éliminait le Maroc.
S’ajoutant au but refusé au Cameroun, cette erreur — certifiée par non moins de quatre ralentis et autant d’angles de vue — eu pour effet de lâcher la meute du lobby journalistique en faveur de l’arbitrage vidéo. Nous entendîmes alors les sempiternels discours sur “l’archaïsme de la FIFA à l’aube du 21ème siècle“, le scandale absolu constitué par ces dénis de justice, l’évidence et l’infaillibilité de la solution vidéo.
Plus au ras des pâquerettes, l’arbitre américain fut voué aux pires gémonies, excommunié par cette cour suprême de la vérité. Les seuls à rester dignes furent les Marocains eux-mêmes, joueurs et supporters, qui ne se livrèrent pas à la vaine curée à laquelle ils étaient conviés ; quant aux Camerounais qui ont disputé trois rencontres de 90 minutes, personne ne devrait croire qu’ils ont perdu leur qualification sur une seule action.
Tombant en pleine frénésie vengeresse, les images de la chaîne suédoise vinrent doucher les incendiaires, soudainement confrontés à leur impénitence, saisis en flagrant délit de procès imbécile. Elle est convaincante la vidéo, qui persuadait un monde entier de téléspectateurs que Flo était un ignoble simulateur et l’homme au sifflet un irresponsable. Il manquait un angle, miraculeusement et paradoxalement couvert par une caméra, pour découvrir une réalité totalement contraire à la certitude précédente. Le plus drôle est que dans le direct, tout le monde voit la faute, mais la succession des ralentis vient détruire cette juste perception initiale.
Voilà de quoi relativiser, et rappeler que les décisions arbitrales ne peuvent relever que d’interprétations et non d’expertises (pensons à toutes les actions que les deux camps interpréteraient — au vu pourtant des mêmes images — de façon complètement contradictoire) ; les erreurs de l’arbitre sont un moindre mal en regard des ambiguïtés terribles que pourrait causer des jugements sur images. Tout ça pour en plus casser le rythme des rencontres, détruire l’irréversibilité du football qui fait sa magie (imagine-t-on le nombre de buts annulés?), imposer les commentateurs de télé comme des experts en arbitrage des arbitres (ce qu’ils prétendent déjà être)...
Canal+ a vraiment eu une bonne idée de finir ses soirées foot par une séquence avec Jérôme Bureau, dont on a pu voir le visage décomposé à plusieurs reprises (victoires nettes des Bleus), puis l’air penaud après la révélation de ce faux-vrai penalty norvégien qui gâchait un peu le festif lynchage des arbitres lancé depuis le début de la compétition. La rédaction de L'Equipe ne s’est pas plus fourvoyée que ses homologues télévisuels (l’encadré rétablissant la vérité n’a cependant suscité qu’un texte très court, au contraire de l’article de la veille, gentiment titré “Lles zéros de l’arbitrage“), mais on peut s’étonner que la presse écrite se prête avec un tel entrain à la campagne pour la vidéo – cheval de bataille des télés toutes puissantes – et accorde une foi totale aux images et aux verdicts télévisuels.
Il faut certes réformer l’arbitrage, mais les premières mesures à prendre ne concernent certainement pas l’introduction des images, sauf pour prendre des sanctions rétrospectives à l’encontre des tricheurs, seul moyen de les dissuader et d’assainir le jeu. En attendant, laissons les arbitres arbitrer le plus sereinement possible, en croisant les doigts et sans les accabler de procès aussi démagogiques qu’inutiles.