« L'époque de la VHS de foot n'a duré que quelques années »
Il a produit les légendaires cassettes vidéo L'Épopée des Verts, Les Années Platini et Le Foot en folie. Hervé Resse raconte l'ère de la VHS.
Il a été l'un de ceux qui ont réagi le plus chaleureusement à notre récent article sur les VHS de football. Lui, c'est Hervé Resse, producteur de nombre de ces cassettes vidéo, pour Virgin puis TF1. Rendez-vous fut pris pour qu'il rembobine son parcours et recale les images.

Qu'est-ce qui vous a amené à faire des cassettes vidéo de football ?
C'est une passion d'enfance qui venait de loin, quand j'avais découvert Pelé lors de la Coupe du monde 1970. J'avais douze ans et comme tous les gosses, j'étais ébloui. J'étais le plus mauvais joueur de foot de mon lycée, celui qu'on prenait en dernier ou qu'on mettait dans les buts pour limiter la casse. J'avais de bons copains et j'étais un passionné de foot. Ma mère me disait : "Arrête, c'est pas le football qui te nourrira plus tard." C'est pourtant grâce à ce sport que j'ai gagné le plus d'argent dans ma vie (rires).
Plus tard, vous travaillez comme psychologue à l'Éducation nationale. C'était assez éloigné du football...
J'ai remporté un jeu télé grâce à mon excellente mémoire et parce qu'il y avait de nombreuses questions sur le Mundial 1970. Je me suis dit que je pouvais mieux gagner ma vie grâce à ça. J'ai été embauché dans une boîte de production pour écrire les questions des émissions "Star Quizz" et "Sport Quizz" sur Canal+. Par un concours de circonstances, j'ai été amené à commenter une cassette vidéo sur les JO de Séoul en 1988. Je suis devenu pote avec Frédéric Winkler, le directeur de Virgin Video, qui faisait déjà des cassettes de foot en Angleterre, des séries sur "Les plus grands joueurs", "Les plus beaux buts". Cela représentait dix à quinze fois le marché français. Ils ont décidé de lancer ça chez nous et j'en étais le commentateur : je ne faisais alors rien de plus qu'écrire et dire le texte en français.
"J'assure à Patrick Le Lay que nous allons en vendre 40.000. Il s'en est vendu 130.000 en un mois !"
En mars 1993, Frédéric Winkler et vous êtes embauchés par TF1 Vidéo pour développer le football en cassettes. Le marché était porteur ?
Patrick Le Lay y croyait beaucoup. Lors d'un séminaire à Dinard avec toute l'équipe de TF1 Vidéo, je défends un projet sur lequel je travaille depuis trois ans, L'Épopée des Verts, notre bébé à Frédéric et moi. Le Lay vient nous voir et nous dit : "C'est bien beau votre projet, vous avez l'air de connaître le football, mais on est en 1993, c'est fini Saint-Étienne, c'est l'OM maintenant !" Je lui réponds que, justement, cette épopée des Verts, c'est la nostalgie : les gens n'avaient pas pu enregistrer les matches à l'époque, et d'autres ne les ont jamais vus. J'assure à Patrick que nous allons en vendre 40.000. Il s'en est vendu 130.000 en un mois ! Et, le même mois, 200.000 du Foot en folie. Le levier, puissant, c'était évidemment la publicité TF1 avant et après le match, pendant la mi-temps...
Vous avez profité d'un alignement des planètes : l'épopée des Verts, les années Platini en l'équipe de France, et ces années 1990 où les clubs français ont eu leurs meilleurs résultats en Coupes d'Europe. Avec, dans l'intervalle, l'arrivée de la VHS...
On trouvait déjà des cassettes de sport dans les années 1980, sauf que le contenu était catastrophique. Sur la Coupe de monde 1978, il y en avait où le gars filmait son écran de télé, sans avoir les droits ! Virgin et Polygram sentaient qu'il y avait un marché pour le "hors film", avec la musique et les comiques par exemple. C'était malheureusement un support de qualité médiocre et si on en vendait 5.000, on débouchait le champagne. Mais, à partir de la fin des années 1980, la demande s'est renforcée, à la fois parce que peu de matchesétaient diffusés à la télévision et qu'il y avait pas mal de nostalgie : la France ne se qualifie par pour les Coupes du monde 1990 et 1994, l'Euro 1992 est une déception Et puis les archives n'étaient pas très chères. J'ai eu la chance d'être à l'origine de l'achat des droits : mon travail, aidé par le service juridique de la chaîne, consistait à "nettoyer" les droits et faire en sorte que TF1 ne se retrouve pas avec une plainte pour piratage.
L'offre télévisuelle de football était répartie entre TF1 et Canal+. Les droits d'exploitation étaient-ils plus accessibles ?
Cela dépendait vraiment des compétitions. La finale de 1993, la première estampillée "Ligue des champions", appartenait à un exploitant de l'UEFA et le reste des matches aux clubs qui recevaient. Je me suis donc débrouillé en réalisant deux cassettes distinctes. Pour Les Années Platini, il fallait mettre de la Coupe du monde, du championnat d'Italie, du championnat de France, de la Coupe de France avec autant de détenteurs de droits différents. Parfois, on préférait aller vers des dossiers plus simples, comme OM : Les années champion ! : il y avait un seul détenteur de droits qui travaillait pour Tapie, il faisait sa cassette et confiait sa distribution à TF1.
"Au-dessus de tout, je mets L'Épopée des Verts, parce que cela a été une vraie aventure."
Avec quelles maisons de production collaboriez-vous ?
C'est avec la société Gemka Production, qui appartenait à la fille de Serge Kampf, président de Capgemini, que j'ai le plus travaillé, et réalisé Les Années Platini et Le Foot en folie. Grâce à un producteur, chez eux, nous avions pu contacter Michel Platini, qui était pourtant fâché avec la direction de TF1. La première fois que je le rencontre, dans son bureau aux Champs-Élysées, où il préparait déjà la Coupe du monde 1998, il me dit : "Ça me fend le cœur de bosser avec vous, mais j'espère que vous ne me décevrez pas." On a vendu 150.000 ou 160.000 exemplaires je crois, ç'a été un très gros succès.
Les Années Platini et Le Foot en folie ont été vos deux VHS les plus emblématiques de cette ère ?
Au-dessus de tout, je mets L'Épopée des Verts, parce que cela a été une vraie aventure, ne serait-ce que pour retrouver et numériser les archives, quand elles existaient. Surtout, au départ, Frédéric Winkler et moi avions tout le monde contre nous. Déjà, nous n'étions pas les premiers à avoir eu l'idée. Mais l'idée n'était pas le plus important, il fallait convaincre le club que c'était dans son intérêt, alors qu'il souffrait encore des conséquences de l'affaire de la caisse noire... Le président de l'époque, André Laurent, et son bras droit Philippe Koehl ont fini par dire : "C'est notre histoire, il faut se la réapproprier." Un hasard a fait qu'un responsable m'a présenté un réalisateur argentin, Jorge Dana, avec lequel nous avons commencé à travailler. Il partait en Argentine et avant même le premier montage, il revient avec une interview d'Osvaldo Piazza.

Cette vidéo a beaucoup marqué ceux qui l'ont vue...
Aujourd'hui, sur les réseaux sociaux, il arrive que des gens m'interpellent à propos de L'Épopée. C'est comme ça que j'ai eu vent de votre article. Il y a cinq ou six ans, je rencontre une personne très sympa, non-voyante, qui me dit qu'il va au moins une fois par mois à Geoffroy-Guichard, alors qu'il habite à Paris. En rigolant, je lui parle de la cassette et il me répond : "Mais je l'ai vue dix fois !" Il y a six mois, il me met en contact avec des fans de Saint-Étienne. Certains m'ont demandé l'origine et le titre de la musique de fin, parce qu'ils en ont fait une chanson pour les tribunes, en collant des paroles ! Cette histoire m'a aussi permis de rencontrer Jean-Michel Larqué et surtout Thierry Roland, avec qui j'ai eu d'excellentes relations et qui m'a énormément aidé lorsque je suis arrivé à TF1.
"C'était toujours une joie de travailler avec Thierry Roland, il était gentil."
Vous avez collaboré plusieurs fois avec lui.
Je suis assez fier de la vidéo Mes Coupes du monde, dans laquelle il racontait à Christian Jeanpierre ses souvenirs depuis sa première en 1962. À un moment, ce dernier lui demande : "Est-ce qu'il vous arrive de penser à votre départ pour la grande prairie, comme vous dites ? - Ah moi, c'est clair : ma mort idéale, je suis dans mon lit, je regarde un match de l'équipe de France de football. On gagne, je m'endors content et je ne me réveille pas." Thierry est mort la nuit qui a suivi le France-Ukraine de l'Euro 2012 C'était toujours une joie de travailler avec lui, il était gentil.
Avec quels autres journalistes de télévision de cette époque avez-vous travaillé ?
Avec ceux de TF1, Christian Jeanpierre, Hervé Mathoux, Yves Kupferminc... j'en oublie forcément. Mais je retiens particulièrement Jean-Philippe Lustyk, qui n'était pas que football, et avec qui je partage de sacrés souvenirs des JO. Lui, c'est le "passionné passionnant". Jean-Louis Moncet également, quel gentil personnage. C'était plus compliqué avec Frédéric Jaillant, parce que c'était le responsable du service. Je lui dois beaucoup sur Le Foot en folie, dont il avait eu idée,même si j'avais trouvé le titre. Il collectionnait toutes les archives marrantes, mais ça ne suffisait pas pour faire plus de trente minutes de film, il avait un peu surestimé le potentiel. Nous avions arrangé les choses en ajoutant,à la fin, des matches avec des scénarios incroyables. Chez Virgin, nous avons aussi fait un bêtisier néerlandais commenté par Patrick Bosso, alors tout jeune.
Qu'est-ce qui déterminait le succès commercial des cassettes ?
Le problème qui se posait était : faut-il acheter les droits des compétitions ? Si on gagne, tout va bien. Nous avions acquis les droits de l'Euro 1992, persuadés d'un bon parcours des Bleus. Pour l'édition 1996, nous avons acheté les droits européens afin de les vendre ensuite. Or le tournoi a été décevant...Nous n'avons même pas réussi à les revendre en Allemagne, alors qu'ils avaient remporté le tournoi. Après trois ans de réussite, c'était notre premier échec. Nous n'avons pas pu acheter les droits de la Coupe du monde 1998 et, sans que cela soit lié, j'ai quitté TF1 le soir du quart de finale. TF1 Vidéo a sorti une cassette de la finale, et Canal a publié le formidable Les Yeux dans les Bleus, qui a très bien marché parce que c'est une histoire complète avec un début, un milieu et une fin, comme L'Épopée des Verts ou Les Années Platini. Un truc incroyable, ç'a été France-Allemagne 1982, on en vendait tous les mois, on écoulait notre stock constamment, au moins jusqu'en 1992. C'était beaucoup pour un match que tout le monde avait vu, qui plus est une défaite.
"Je me demande encore comment un mec comme moi a pu entrer à TF1."
Certains projets sont-ils restés dans les cartons ?
J'avais rencontré Robert Budzynski à la Jonelière pour discuter d'une cassette sur le FC Nantes. Mais nous n'avons pas donné suite, estimant qu'il n'y avait pas assez de potentiel. C'était difficile, en dehors de Marseille et Saint-Étienne. La cassette des trente ans du PSG, à laquelle j'ai participé pour Canal+ Vidéo, nous n'en avons pas vendu des tonnes non plus. J'ai raté quelques opportunités, comme la cassette Papin Ballon d'Or, produite par la société d'Albert Cohen. Mon seul vrai regret, c'est un projet sur le RC Lens de 1998. J'avais rencontré le directeur général du club, mais nous n'en aurions vendu qu'à Lens, même s'il y avait une belle histoire. TF1 n'est pas une entreprise de charité...
Il y a pourtant quelques belles éditions du championnat de France dans les années 1990, comme le doublé d'Auxerre en 1995-1996
Auxerre, c'est 30.000 habitants Nous avons quand même fait une cassette La Méthode Guy Roux, en tant que distributeurs. Je le rencontrais pour lui expliquer les détails. Il m'a reçu très gentiment et m'a offert une bouteille de Chablis pour s'excuser de ne pas pouvoir déjeuner avec moi : "Vous n'êtes pas venu pour rien." (rires) C'était un équilibre difficile à trouver. J'avais aussi pensé à faire des cassettes autour de l'Olympique lyonnais, mais le club s'était déjà organisé, il avait sa chaîne de télé. Les choses avaient déjà changé. Cette période VHS n'a duré que quelques années et l'arrivée du DVD a fait que l'intérêt commercial s'est déplacé vers les concerts, les comiques, les films et leurs ressorties avec une belle image et un son de qualité. Il y avait moins de place pour le foot. Même le double DVD Zinédine Zidane. Comme dans un rêve (2002), Canal+ n'en a pas beaucoup vendu.
Que diriez-vous de cette époque de la VHS de foot, avec le recul ?
C'est une époque totalement révolue, assez sympathique... D'abord parce que c'est ce que j'ai fait de plus abouti, à titre personnel. Ça, c'est le côté émotionnel, les souvenirs que j'en ai. C'était tout de même extrêmement dur en termes de pression, surtout celle qu'on se met soi-même. Je me demande encore comment un mec comme moi a pu entrer à TF1. J'en garde plus de bons que de mauvais souvenirs. Je ne suis parti fâché avec personne. C'est une belle histoire professionnelle. En 1996, je vais au resto, à deux pas du Parc des Princes. En rentrant, je vois au fond une table où il y a, entre autres, Jean-François Domergue et Michel Platini. Je me dis que je ne vais pas aller l'embêter. À un moment, je sens deux mains sur mes épaules et j'entends : "Comment ça va, Hervé ?" Je me retourne, Michel Platini. J'étais tellement sous le choc que je n'ai pas su quoi dire pour le remercier et le présenter aux gens de la tablée. Moi qui ne suis personne, Michel Platini s'est déplacé pour venir me dire bonjour ! J'étais scotché. Voilà, ça c'est toute ma vie.
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