Le foot français joue son va-tout dans l'appel d'offres sur les droits télé 2004/2007, sur fond de guerre totale entre TF1 et Canal+. Si le coup peut réussir sur le plan financier, nous risquons d'hériter d'un paysage audiovisuel footballistique sous monopole…
Deux ans avant l'échéance de l'actuel contrat, la Ligue de football professionnel a lancé l'appel d'offres qui doit désigner les futurs diffuseurs du foot national, lesquelles doivent remettre leurs dossiers ce 12 novembre (remise des prix le 22). Une opération très délicate dans le contexte économique actuel, qui voit se multiplier les faillites des diffuseurs et se généraliser la déflation aux quatre coins de l'Europe. Capital pour Frédéric Thiriez, qui doit en assurer la gestion, ce dossier est l'objet de très vives dissensions entre les clubs depuis plusieurs années. Cependant, la question de la répartition ayant été réglée pour ne faire finalement qu'un vrai mécontent avec l'OM (voir
La solidarité préservée), tout était en ordre de marche pour lancer la compétition.
Le foot français doit évidemment faire front commun pour entrer dans la négociation. Jean-Michel Aulas s'est toutefois rapidement fait remarquer à contrario de cette nécessité. Il s'est en effet permis coup sur coup de critiquer l'échéancier de l'opération, jugée trop précoce, d'émettre des pronostics pessimistes sur le montant des offres, de remettre sur le tapis le mode de répartition et enfin d'émettre un jugement dubitatif sur Jean-François Lamour. De la pure diplomatie aulassienne, à base de rangers dans le plat. Le président de l'OL a été vertement rappelé et sommé de ne plus se prendre pour le président de la Ligue par les présidents de Nantes, Sedan, Le Havre et Sochaux. Ce n'est pas gagné. À ce sujet, un extrait de la récente prestation de Jean-Claude Darmon à Téléfoot, auteur d'un remarquable demi-lapsus, désigne assez significativement le vrai pouvoir à la Ligue: "Ce qui est important pour nous — d'ailleurs Jean-Michel Aulas est très clair sur le sujet… comme d'ailleurs Frédéric Thiriez — etc." Passons.
Quitte ou double pour les chaînes
À l'examen des lots mis en vente, il apparaît que le pari de Frédéric Thiriez de maintenir les ressources télévisuelles au même niveau que précédemment n'est peut-être pas si désespéré. En effet, le découpage des "produits" vise délibérément à exacerber la rivalité entre Canal+ et TF1 en les obligeant à un quitte ou double risqué:
Lot 1 : deux matches décalés (les deux premiers choix) ;
Lot 2 : un match décalé (le troisième choix) et le magazine de la journée le samedi soir ;
Lot 3 : sept matches en paiement à la séance et un magazine de présentation de la journée le vendredi.
Les lots 4, 5, 6 et 7 correspondent respectivement au magazine dominical, au magazine du lundi (actuellement Foot 3), aux matches de L2 plus un magazine sur celle-ci et aux matches de coupe de la Ligue. De ces packages, seul le magazine du dimanche (plus connu sous le nom de Téléfoot) pourrait entraîner une vraie compétition entre M6 et TF1 (par ailleurs associés au sein de TPS, formant l’axe opposé à Canal+).
Cette recomposition a pour objectif de rendre impossible un statu quo qui pourrait pourtant convenir aux chaînes. Les deux premiers lots sont très déséquilibrés en faveur du premier, qui comprend deux matches, mais surtout les deux premiers choix. Les opérateurs se retrouvent face à des choix stratégiques cornéliens. Canal+ ne saurait laisser échapper le lot 1 sans remettre totalement en cause son offre, mais peut difficilement renoncer à Jour de foot, produit phare et symbole de sa politique en matière de football. De son côté, TF1 et TPS tiennent une occasion unique de "tuer" la chaîne cryptée, intention que l'on prête à Patrick Le Lay.
Si un soumissionnaire présente la meilleure offre pour chacun des deux lots, il peut emporter l'exclusivité totale de médiatisation de la L1. L'un des deux moguls du PAF s'y résoudra-t-il, sachant le coût exorbitant de ce pari? Car même en se retrouvant en situation de monopole, il pourrait y laisser sa peau. En plein recentrage au sein du groupe Vivendi, miné par les problèmes d'identité, Canal peut-il prendre le risque de se retrouver déficitaire, alors que sa santé financière actuelle est bonne? Alors, le football français peut-il basculer presque entièrement dans l'escarcelle de TF1 (via TPS), ou bien cette dernière ne cherche-t-elle qu'à pousser au crime son concurrent?
Le troisième lot concerne le paiement à la séance et donc spécifiquement le paiement à la séance sur TPS et CanalSatellite. Pour le moment, les conditions d'une concurrence vive sont encore réunies concernant les bouquets satellite, tant que les deux opérateurs du marché ne se rapprochent ou ne fusionnent pas leurs offres de pay-per-view. Les rumeurs l'annoncent depuis longtemps déjà, mais l'opposition actuelle entre les maisons-mères rend moins probable cette hypothèse. Sachant que l'éventuelle exclusivité sur les sept matches de la journée pourrait condamner le vaincu à la disparition, la Ligue reconduira peut-être le partage actuel, qui permet aux deux bouquets de se répartir les coûts de production — le paiement à la séance présente un bilan financier tout juste équilibré.
Championnat ou Ligue des champions ?
Les enjeux excèdent cependant les compétitions nationales, car dans le même temps l'UEFA a lancé l'appel d'offres concernant les droits de la Ligue des champions pour les trois prochaines saisons (2003/2006). Comme la LFP, la confédération européenne a dû rédiger son appel d'offres de façon à passer au travers des fourches caudines de la Commission européenne, qui l'avait sommée de mettre fin à la vente d'exclusivités nationales — les produits les plus lucratifs. La LdC se trouve donc découpée en 13 morceaux qui devraient permettre à des chaînes diversifiées de diffuser la compétition, certains lots n'étant pas trop coûteux.
TF1 et Canal+ en sont les actuels diffuseurs, pour des sommes qu'ils considèrent excessives au vu de la baisse d'audience et d'intérêt sportif de cette formule enrichie de la C1. Ce deuxième appel complique donc les options possibles pour les chaînes, qui peuvent se retrouver contraintes de choisir entre la Ligue des champions et le championnat national.
Les conditions d'un big bang du football télévisé semblent donc presque réunies… Presque, car on a l'habitude de voir les conflits explosifs déboucher sur un retour à la normale. Demain, il y a tout de même des chances que Canal+ soit toujours le diffuseur du championnat, quitte à y mettre le prix. Pour nous autres téléspectateurs, il s'agira de voir quels seront les effets de la concurrence sur la visibilité du foot sur nos écrans et le coût que nous subirons en termes de publicité à avaler ou d'abonnement à payer.