Écran de fumis
Dans le football, quand trois idiots se font remarquer, cent autres se lèvent pour rivaliser. Bonus voyance: que va-t-il se passer maintenant?
Auteur : Pierre Martini et Thibault Lécuyer
le 23 Sept 2009
Frédéric Thiriez est alpiniste, alors il connaît l'ivresse des sommets, et il est occasionnellement chanteur d'opérette, alors il ne lésine pas sur les trémolos. Les salves d'objets pyrotechniques qui ont perturbé plusieurs rencontres ces dernières semaines ont ainsi eu droit à une sorte de bouquet final qui a fusé de la bouche du président de la Ligue: "Notre football est pris en otage par des groupes violents qui sont ses pires ennemis".
Thiriez retire l'échelle
Outre l'inévitable figure de la "prise d'otage", on notera d'abord qu'il s'agit d'assimiler instantanément les lanceurs de fumigènes aux bandes et à la violence – deux spectres qu'on peut faire planer comme des drones au-dessus de l'imaginaire insécuritaire français (1). Sans minimiser la bêtise, la dangerosité et l'irresponsabilité des divers gestes commis, on peut tout de même tâcher de les remettre, sinon dans leur contexte, du moins à leur place dans l'échelle des fléaux. Encore faudrait-il renoncer aux indignations convenues et aux épanchements de bonne conscience. Mission impossible pour Frédéric Thiriez, qui estime donc que les jets de fumigènes sont plus graves pour le football que le dopage, le racisme, la corruption ou David Gigliotti.
Du côté du gouvernement, on n'a pas été en reste: en première de la classe, Rama Yade a bien récité le poème des familles qui ont peur d'aller au stade et, probablement enthousiasmée par la qualité de sa prestation, la secrétaire d'État au Sport a même sorti la "barbarie ordinaire" de sa manche (lire ci-dessous). Évidemment, une réunion avec les "acteurs du football" va être organisée. Des acteurs, en effet. Tandis que Rama Yade évoquait imprudemment l'application des mesures existantes, sa ministre de tutelle Roselyne Bachelot en annonçait de nouvelles. Le numéro est rodé (lire "Sarkozy bloqué au même stade").
Les Ultras de la répression
Il faudrait aussi citer l'édito de Rémy Lacombe dans France Football, qui en appelle à la dissolution du peuple: "La république des supporters n'a aucun avenir et doit être combattue avec la dernière énergie. Et puisqu'il paraît illusoire de faire appel à la conscience des plus excités d'entre eux, que l'on mette tout en œuvre pour les éliminer". On jurerait Thiers annonçant l'écrasement des fédérés parisiens (2). Alors ici et là, on ressort les mythes de l'interruption définitive de match et des retraits de points, quand le football français arrive à peine à s'infliger des rencontres à huis clos...
Bref, avec des Ultras ultra-énervés, c'est toujours la double peine: ils sèment un désordre imbécile, et leurs bombes agricoles font sortir les tartuffes comme des taupes.
(1) Les voies de fait à Nice ont été présentées dans le même lot que les jets de fumigènes.
(2) On remarquera aussi le titre "La bêtise du samedi soir", à rapprocher des sornettes du mardi matin, et ce jugement très réversible: "il ne se passe pas un week-end sans que la chronique des faits-divers ne se confonde avec la chronique sportive".
Bonus voyance
Rama Yade veut "réunir les acteurs du foot pour les placer devant leurs responsabilités" et ajoute "Il y a une sorte de tabou devant cette barbarie ordinaire. Il faut mettre en pratique l'arsenal répressif qui existe et passer d'une gestion de troubles à l'ordre public à une répression individualisée. Il n'est pas normal que des familles aient peur d'aller au stade".
Roselyne Bachelot dénonce "avec la plus grande sévérité ce qui s'est passé à Nice et Grenoble" et rappelle qu'elle a confié à Dominique Rocheteau "une commission pour réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour combattre la violence dans les stades" et qu'elle "s'appuiera largement sur ces conclusions pour prendre les décisions qui conviennent".
D'après vous, que va-t-il se passer maintenant?
• Rien, qu'est-ce qu'il y connaît Rocheteau aux violences dans les stades?
• Rien, Rama Yade ne savait pas trop où elle avait la tête quand elle a dit "barbarie ordinaire".
• Rien, imaginez à quoi ça peut ressembler la plus grande sévérité d'une cantatrice en tailleur rose.
• Rien, la commission Rocheteau préconisera de ne sanctionner personne mais de dire "s'il vous plait" en fouillant les spectateurs à l'entrée.
• Rien, il y a à l'Elysée un générateur automatique de réactions médiatiques qui mixe les mots "arsenal répressif", "il n'est pas normal que", "combattre la violence", "décisions qui conviennent", etc.
• Rien, le PSG n'est pas impliqué.
• Rien, Sarkozy a déjà résolu tous ces problèmes il y a cinq ans.