Neymar, prophète du foot décroissant
L’arrivée de Neymar au PSG, qui semble se confirmer, révèle surtout l’incohérence des supporters de football. Et s’il nous invitait, en fait, à cesser d’être schizos?
Difficile de lister l’ensemble des critiques entendues depuis quelques semaines et l’annonce de la possible signature de Neymar au PSG. En vrac, on peut citer l’atteinte au fair-play financier, la dérive du football business à des sommets encore jamais atteints ou encore le caractère inédit de l’intervention d’un État souverain dans l’économie du football…
Il n’est pas question ici de savoir qui a tort ou qui a raison: tous ces arguments se défendent plus ou moins, et chacun hiérarchise son courroux en fonction de son échelle de valeurs. Pour autant, dans ce concert d’indignations, on découvre avant tout une forme d’incohérence, pour ne pas dire d’hypocrisie, chez une grande partie des observateurs et supporters de football.
Indignation à géométrie variable
Soyons clairs: si Frank McCourt, Jean-Michel Aulas ou tout autre président de club avait mis les mêmes montants sur la table pour recruter le Brésilien ou l’un de ses semblables lors de ce mercato d’été, nul doute qu’une grande majorité des suiveurs de chacun des clubs concernés aurait applaudi des deux mains. Que ces formations ne puissent pas économiquement réaliser une telle transaction ne change rien à l’affaire: la question, au fond, n’est pas celle de l’équité économique et sportive. Car voilà bien longtemps que cette notion cède sous les coups de boutoir du football business sans émouvoir outre mesure les supporters des clubs à qui cela bénéficie.
Prenons deux exemples, parmi tant d’autres: on a peu vu les Lyonnais s’emporter contre les prises de position de Jean-Michel Aulas lorsqu’il militait pour une répartition moins égalitaire des droits TV. Quant aux supporters de l’OM, pour beaucoup, ils ne concevaient pas de souci éthique particulier à ce que Robert Louis-Dreyfus investisse à fonds perdus dans leur club, en dépit de toute rentabilité économique, à la fin des années 90.
Disons-le tout net: la signature de Neymar ne révolutionne pas le modèle économique du football actuel, et ne justifie en rien un changement de paradigme. Elle n’est que l'aboutissement logique des évolutions navrantes des vingt dernières années: inflation exponentielle des transactions, montages financiers et fiscaux douteux, jeux d’influences et manipulations médiatiques… À la limite, concédons qu’elle puisse en être la caricature. Il n’en reste pas moins que l’exaspération, aujourd’hui, est avant tout à géométrie variable, selon les intérêts de son propre camp.
Pour un football décroissant
Il y a donc là une forme de schizophrénie flagrante chez la plupart des amateurs de football. Elle se cristallise d’ailleurs souvent pendant cette période de marché aux bestiaux estival, où les supporters guettent la moindre rumeur de transfert avec un appétit de Biafrais. Ces mêmes supporters, qui, bien souvent, verront d’un très mauvais œil qu’un joueur quitte leur équipe fétiche au bout de quelques mois seulement. Comment réclamer la fidélité au maillot quand on demande, dans le même temps, un perpétuel renouvellement de chair fraîche dans son club favori?
Cette dérive consumériste, au final, nous touche tous, dans nos comportements de supporters comme dans nos choix de consommation du spectacle sportif: quand il s’agit d’accumuler les abonnements aux chaînes à péage pour profiter d’une offre de matches XXL; ou lorsque nous dépensons chaque saison une année de baisse des APL pour arborer le maillot flambant neuf de notre team favorite. Chacun de ces choix cautionne la dérive ultralibérale du monde du ballon rond. Rien ne nous empêche pourtant, à notre échelle, de cesser de nourrir la surenchère ("plus de transferts dans mon club", "plus de foot à la télé", "plus de maillots dans mon armoire")…
Et si, paradoxalement, l’arrivée de Neymar au PSG nous invitait à nous convertir en consommateurs raisonnés, apôtres d’un football décroissant?