L'étrange rancoeur de Bruno Gaccio
Le foot a beaucoup inspiré les auteurs des Guignols, souvent avec bonheur, avec des personnages aussi mémorables que Papin, Roux, Platini, Tapie ou Cantona. A propos ce dernier, on leur reprochera d'en avoir fait un poète sympathique alors qu'il fut un rebelle de pub télé et le fléau de l'équipe de France (voir King con ), mais ils commirent de plus ennuyeux contresens.
C'est ainsi qu'ils s'étaient embarqués dans une campagne douteuse, à quelques mois du Mondial, se retrouvant pour une fois aux côtés de l'opinion dominante et de l'Académie Jérôme Bureau: Jacquet était un abruti, Deschamps le symbole même d'une équipe de France trop nulle pour gagner quoi que ce soit, et Dugarry le côpin de Zidane.
Il faut préciser que Bruno Gaccio est seul maître à bord en matière de football, les autres auteurs ne s'y intéressant pas plus que cela. Vexé au dernier degré et relégué avec ceux qui ne purent même pas être heureux au soir du 12 juillet (ceux qui avaient misé sur la probabilité la plus forte -la France ne gagnera pas la Coupe du Monde- afin de pouvoir ensuite se réjouir d’avoir eu raison), sa rancœur prit ensuite plusieurs formes. Il s'acharne encore maintenant sur le pauvre Guivarc'h, maillon faible des champions du monde qu'il continue d'aligner deux ans après (au contraire du sélectionneur). Jacquet s'est lui retrouvé caricaturé chaque semaine en consultant incompétent et toujours en débile léger, avec une insistance lourdingue qui sentait la vengeance. Quelques mois après la victoire au stade de France, Gaccio affirmait dans les interviews que l'ex-sélectionneur avait gagné la Coupe du monde au Loto, et qu'il n'y avait pas de quoi en faire une montagne. Passons sur le fait qu'on ne connaisse pas d'équipe qui ait gagné une telle compétition sans un peu de chance, cette "théorie du hasard" est de toute façon tournée en ridicule par la victoire de juillet dernier.
Dernier épisode, avec "l'hommage" rendu à Didier Deschamps. Cette fois, sa statue à Anglets le montre taclant par derrière la cheville d'un attaquant. Le sketch suscite des applaudissements... polis. Normal, il ressemble à un tacle par derrière, et le motif est un peu mince.
Gaccio bénéficie d'une tribune fantastique pour exprimer ses propres opinions footballistiques, lesquelles ne sont pourtant pas plus légitimes que celles de n'importe quel passionné de ballon, surtout sur un sujet aussi "infiniment discutable" que celui-ci. Il a tendance à l'oublier, victime d'un syndrome d'hypercompétence qui lui fait croire qu'il peut juger de tout.
La critique s'arrête là, car cette même semaine, la séquence où Roger Lemerre refuse de remplacer Blanc et Deschamps ,"irremplaçables", et désigne les joueurs sous le nom de leurs sponsors était bien meilleure. Gaccio a raison de s'attaquer aux vaches sacrées comme l'équipe de France, mais il faut toujours suffisamment d'objectivité dans la satire pour qu'elle soit vraiment drôle. Les Guignols y sont tellement bien parvenu pendant des années...