Nice : l'Allianz elle te nique
L’OGC Nice quitte son stade historique, pour un stade moderne et séduisant. Mais le Ray va manquer aux supporters, qui devraient se méfier des apparences.
L’article wikipédia est déjà corrigé. Le Ray est "l'ancien stade de football principal de la ville de Nice. Il a accueilli les matchs de l'OGC Nice de 1927 à 2013".
L’Allianz Riviera comptera 35.000 places: pile le double de la capacité du Ray. Effectivement, 17.000 et quelques, c’était peu, même pour l’OGC Nice qui peine à renouer avec son glorieux passé. Effectivement, l’Allianz Riviera est plus beau, plus confortable, plus accessible. Effectivement, il va rapporter plus gros. C’est un stade moderne. Tout couvert (lire "Nice : le stade en bois sort des cartons"). Un stade comme ceux des grands clubs. Je dis tout cela sans ironie. Juste avec nostalgie. Voire avec amertume.
Sous le soleil du Ray
Avec nostalgie, mais pas seulement la nostalgie logique, douce et personnelle, causée par l’attachement au stade de ma ville, ce stade où Laurent, pion du collège Jean Rostand boulevard de la Madeleine, avait emmené mon équipe victorieuse du tournoi de la cantine assister à un match nul contre une équipe moins bien classée. Un match nul avec moins d’engagement et d’ambiance que lors de ce superbe dernier match contre Montpellier, mais un match nul d’autant plus bouleversant, rétrospectivement, qu’il n’avait justement rien d’exceptionnel. Un match nul bien de chez nous: il y avait sans doute de l’envie, des joueurs accrocheurs, mais pour l’emporter il aurait fallu moins de maladresse, plus de concentration. Sans compter ce putain de corner à la 89e que ces cons avaient gâché en le jouant à la rémoise. Enfin bref. J’aborde la délocalisation vers l’Allianz Riviera avec nostalgie, mais pas seulement cette nostalgie normale que chacun éprouve à l’égard des murs sur lesquels il s’est appuyé dans sa jeunesse (lire aussi "Mon cher Léon").
Je l’appréhende avec une nostalgie… Plus objective, plus rationnelle, moins relative aux circonstances singulières liées à l’Ogym qu’à l’état général des stades de foot. Ils sont tellement beaux, tellement modernes, qu’on ne voit même plus ce qu’ils ont de regrettable. Les nouveaux stades sont des antres, des "Arena" (nom regrettable lui aussi: il entretient l’analogie absurde avec le cirque romain) qui consacrent, l’air de rien, et très paradoxalement, un phénomène qui a pu être dénoncé sur ces pages récemment: on compte les supporters, mais les supporters ne comptent pas, en réalité. Leur point de vue n’est pas celui qui importe.
Un beau stade pour ceux qui n’y vont pas
Les stades modernes opèrent un renversement complet des valeurs du stade de foot. Et ça se voit bien à Nice, parce que le Ray était un modèle, dans l’esprit, de ce que doit être un stade de foot. Pour trois raisons au moins.
D’abord, il était dans la ville. Au Nord, parce qu’il fallait quand même un peu de place, mais en ville. Les riverains seront soulagés de réaliser que désormais, il n’auront plus, un samedi sur deux, à galérer pour se garer (les supporters mettaient leur voiture littéralement partout où ils pouvaient ; il y a d’ailleurs fort à parier que ceux-là mêmes qui pestaient en cherchant une place pour aller au stade et finissaient par s’échouer n’importe où conserveront de cette épreuve un souvenir ému, voire des regrets, en repensant, après s’être désormais rangés sur le beau parking de l’Allianz Riviera, à cette fois, tu te rappelles, où il avait fallu passer par la fenêtre parce que les portières elles ne s’ouvraient pas assez dans la petite ruelle où on s’était tanqués…), et les riverains ne verront plus le spectacle du but en direct sur Canal+ gâché par les cris des supporters qui devancent de plusieurs secondes le temps de la diffusion à la télé – les riverains seront à la fête, donc, mais les supporters, eux, n’auront plus ce plaisir d’arriver ni de sortir tout de suite avec un boulevard urbain, au chaud, en ville, au milieu de vrais bars, à la maison.
L’environnement de l’Allianz Riviera sera fluide et réglementé. Organisé. Il sera aseptisé. "Ray" n’était pas le nom originel du stade. C’était un nom d’usage. Le nom du quartier.
Le stade du Ray vu du balcon de chez mon frère
Ensuite, le Ray était pensé prioritairement pour le foot et pour le Gym. L’athlétisme lui-même devait aller voir ailleurs. Là, à l’Allianz Riviera, il est clair que comme partout où il y a de beaux stades excentrés, on a aussi (on a d’abord?) pensé concert de U2, on a pensé spectacle de Robert Hossein. Certains diront qu’on a su être inventif et fidèle à l’image de la ville: "En 2015, un an avant d’accueillir le Championnat d’Europe des Nations de football, l'Allianz Riviera sera le théâtre des European Masters Games, véritables Olympiade des seniors", lit-on sur allianzarena.fr. Mais purée, même le RCT va venir y jouer. Leurs supporters à eux aussi, ça doit les piquer.
Odieux du stade
Je regretterai le Ray, enfin, parce qu’il était moche. Qui a envie d’un beau stade? Pour qui est-ce essentiel? Ou même important? Certainement pas pour ceux qui sont dedans, qui n’ont qu’une seule envie: se sentir dans une tanière à eux, qui résonne bien. Et même si elle ne résonne pas. Ils aiment quelle qu’elle soit. Le Stade de France, pour prendre un exemple neutre, a clairement été pensé avec deux priorités: en sortir (les escaliers au milieu des tribunes), et apporter tout le confort aux journalistes, qui disposent d’un espace démesurément spacieux. Quand on considère les options architecturales du Stade de France, on comprend qu’accueillir des supporters signifie s’assurer qu’ils n’envahissent pas le terrain.
Ce sont les touristes, qui aiment voir un bel extérieur de stade. Les politiques, qui aiment présenter un bel extérieur de stade. On a commencé à laisser de l’espace autour des églises quand on a cessé de croire en Dieu. Les pieux sont à l’intérieur de l’église coincée au milieu de leur village. Seuls les païens ont besoin de recul pour faire la photo à l’extérieur. Dans de rares villages ils ne le peuvent toujours pas. Oui, les stades modernes sont de jolies constructions païennes. Qui ne saute pas… est en loges présidentielles, ou en tribune de presse. Et ces païens sont de plus en plus nombreux dans les belles arènes qui leurs sont dédiées. Les supporters ne soutiennent d’ailleurs que les rénovations, jamais les déménagements [1]. Les Niçois pouvaient d’ailleurs bien garder leur monstre de béton – tant qu’il ne s’agissait pas d’accueillir l’Euro 2016.
Épilogue : Le nouveau stade Fonte Nova, construit à Salvador pour accueillir la Coupe du monde l’an prochain, contient un restaurant avec vue panoramique sur la ville.
[1] À ma connaissance, le seul supporter du PSG à s’être prononcé en faveur du déplacement du PSG au stade de France est Nicolas Sarkozy.