OL cuisine
Le président Aulas a sonné la fin de la crise lyonnaise avec une interview à L'Équipe dans laquelle il a multiplié les indiscrétions sur le groupe. Stratégie parfaitement maîtrisée ou prise de risque inconsidérée?
Auteur : Étienne Melvec
le 20 Fev 2007
Omniprésent sur la scène médiatique au point de faire figure de directeur de communication de l'OL, Jean-Michel Aulas s'exprime généralement avec une très grande homogénéité de style et de méthode. Mais alors que les milieux autorisés se sont autorisés à décréter la "sortie de crise" du club lyonnais, sur la foi (un peu hâtive?) de trois victoires sur le fil, sa longue interview dans L'Équipe de lundi marque une certaine rupture.
Opération portes ouvertes
Certes, on y retrouve, en guise d'épilogue, une très classique désignation du complot contre l'OL (1), mais en revanche, on a le sentiment que jamais auparavant il n'avait ainsi ouvert les portes de la cuisine. S'agissant, en effet, d'expliquer cette mauvaise passe hivernale, JMA lève le voile sur des tensions internes que, jusque-là, il n'avait pas encore admis. Plus étonnant, il le fait sous l'égide d'une volonté affirmée de dire la vérité, proclamant une sorte de Glasnost lyonnaise. "Je dis toujours la vérité. Plus ou moins tôt. Mais je dis toujours la vérité", affirme-t-il en souriant, accompagnant l'une de ses confidences d'un "S'il faut le dire, je le dis".
Le président aligne donc les révélations, quasiment sous forme d'aveux: "C'est vrai que le vestiaire avait bougé (…) On s'est expliqués, il y a eu des tensions. Des tensions entre dirigeants, entre joueurs (…) il s'est passé des choses". Si ces "aveux" s'en tenaient à de telles généralités, l'événement serait mineur. Mais Jean-Michel Aulas nous en apprend plus sur l'intimité de son club qu'on en n'a jamais su – tant, jusqu'à présent, ce dernier nageait dans un bonheur sans ombre, confirmé à grand renforts de groupe "qui vit bien" et "d'ambiance exceptionnelle". Et le président n'hésite pas à donner des noms, soulignant qu'il a "des informations que [les journalistes n'ont pas]".
Linge sale
La mise au point porte forcément sur Gérard Houllier, avec lequel les relations sont redevenues limpides, mais qui "a parfois lâché des petites phrases qui font de la peine". Mais "comme c'est un garçon intelligent", "en lisant sa propre déclaration dans le journal, il a bien vu qu'il s'auto-sanctionnait". Jusque-là, on est encore dans le convenu, et dans le cadre des tensions récurrentes liées aux frustrations d'un entraîneur dont le périmètre des responsabilités est plus restreint que celui que son propre ego lui accorderait.
Là où les choses se corsent, c'est lorsque JMA évoque les joueurs. On apprend ainsi que si Fred a eu un coup de moins bien, ce n'était pas "parce qu'on parlait de Piquionne ou de Baros [mais] parce qu'il était moins bon et qu'il était perturbé dans sa vie personnelle". De manière un peu plus explicite, il assure que s'il y a eu des problèmes avec l'attaquant brésilien, c'est "parce qu'il se regardait le nombril d'un peu trop près et qu'il pensait davantage à ses intérêts personnels qu'au collectif". Que les supporters lyonnais se rassurent toutefois, car "aujourd'hui, Fred et sa femme et son petit enfant sont à nouveau réunis à Lyon et il se remet à marquer des buts".
On aura totalement essoré ce linge sale lorsque le dirigeant évoquera la renégociation de Caçapa (qui voulait avoir "fromage et dessert, bretelles et ceinture", et l'attitude des Brésiliens à l'égard d'un mercato lyonnais qui a fait jaser: "Ce sont quand même eux les premiers qui laissaient penser, dans les couloirs, que John Carew n'était peut-être pas toujours disponible au quotidien".
Pression positive ou négative ?
Ce déballage a peut-être pour but de remettre la pression sur l'effectif et sur ses cadres. À moins qu'il ne pointe, au contraire, les carences du président olympien en matière de psychologie... La gestion des ressources humaines de son club a pourtant été marquée par un recrutement de grande qualité et une réussite moyenne impressionnante des recrues, avec de surcroît une excellente gestion des transitions (qu'il s'agisse d'entraîneurs ou d'effectif). Certes, ce n'est pas allé sans une certaine brutalité, lorsqu'il s'est agi de dégraisser le centre de formation, ou bien à l'occasion du départ de José Broissart – figure historique sortie par la petite porte avec un contentieux salarial. Mais le football professionnel ne saurait être une longue bluette sans péripéties, et la maison lyonnaise ne s'est jamais fissurée.
Il reste que, comme le faisait remarquer par l'absurde notre article "La chute de l'empire lyonnais", l'OL n'a jamais réellement eu à gérer de situation de crise – mais plutôt un excès de bonheur. La question se pose alors de savoir si le club et ses dirigeants sont vraiment armés pour affronter une telle situation. À cet égard, la sortie médiatique de Jean-Michel Aulas peut engager deux diagnostics opposés: soit elle indique une maîtrise présidentielle totale sur les aléas de la vie de son club, et une autorité qui ne sortira que renforcée des épreuves, soit elle désigne un risque réel de rupture de l'unité interne, si une période de troubles sportifs et humains était amenée, un jour, à se prolonger.
L'épisode montre, en tout cas, que quelques soubresauts au sein du leader lyonnais ont le mérite de créer un peu d'animation dans un club auquel on reproche souvent d'en manquer. Ne faudrait-t-il pas quelques psychodrames pour faire définitivement de lui un grand club à la française? C'est peut-être ça, finalement, le calcul de Jean-Michel Aulas.
(1) Commentant le refus de la Ligue, pour des raisons de sécurité, d'avancer au vendredi le derby à Saint-Etienne, ultime match avant le huitième de finale retour de Ligue des champions, Jean-Michel Aulas a lâché: "Quand le président de la Ligue refuse de prendre la responsabilité d'aller contre le préfet de la Loire déguisé en Caïazzo, je préfère être le président de Lyon que le président de la Ligue. Il aura une grande responsabilité envers le foot français". Au moins les excuses et les coupables sont-ils déjà trouvés en cas d'élimination par l'AS Roma.