OM-Leipzig : jeudi d’avril, jeudi sur le fil
La victoire de Marseille face au Rasenballsport en quart de finale retour de C3 (5-2) a fait vibrer bon nombre de téléspectateurs un peu partout en France. Au Vélodrome, tout était décuplé. Récit, de l'intérieur, d'une soirée qui fera date.
Les émotions et la perception d'un match de football sont décidément uniques vu du stade. Certaines choses vous y échappent, d’autres y sont sublimées. Le quart de finale retour de Ligue Europa entre l'Olympique de Marseille et le RB Leipzig n'a pas dérogé à la règle, soirée d’ivresse à l’ambiance et au scénario comme seules les compétitions continentales savent les écrire.
La folie dès l'entame
On craignait les contres du RB Leipzig et que cela mette l’OM dans la situation inconfortable de mettre au moins trois buts, après la défaite (0-1) à l’aller. Dès la deuxième minute, les Allemands ouvrent le score… sur une attaque placée. “Au moins, ça c’est fait”, se dit-on dans les tribunes, qui ne cessent pas de chanter pour autant. Le but est rageant mais pas décourageant, comme s’il semblait attendu de toute manière. La tension est très forte, palpable tel un corps physique que l’on pourrait toucher des doigts. Leipzig est très pressant, les relances données à Boubacar Kamara difficiles, mais le minot ne se démonte pas pour autant. La tension laisse cependant rapidement place à l’intensité.
Kostas Mitroglou tente de pousser dans le but une déviation de la tête de Kamara sur corner. Autant dire que vu depuis le Virage Sud, on n’y comprend pas grand-chose, mais qu’importe, le ballon est au fond des filets et l’OM se relance vite, ne laissant aucune place au doute. La folie s’empare du stade à la 9e minute de jeu quand Bouna Sarr s’arrache pour marquer le second but, suite à deux tentatives de Morgan Sanson et surtout une contre-attaque éclair qui a fait se lever tout le public. Ce premier quart d'heure est une pure folie, impossible d’analyser clairement ce qui se déroule devant nos yeux. On ressent déjà que l’on va assister à une soirée particulière. Deux jeunes à côté de nous se, et nous, filment lors de la célébration des buts. Nous sommes peut-être passés pour des billes sur les réseaux sociaux, mais à vrai dire, nous n’en avons rien à faire.
Payet, ce héros
Le dispositif à trois défenseurs centraux crée des situations d'infériorité numérique sur les côtés, que les milieux de terrain ont du mal à compenser en ne venant pas forcément coulisser. On estime qu’il faut changer de système, mais le match est déjà entré dans une dimension autre, celle qui échappe à la tactique. Le combat est constant, le rythme insoutenable. Sarr, notamment, délivre une prestation époustouflante, mais il se blesse de manière étrange. Il sort à la 28e, ovationné par tout le stade, Adil Rami prenant sa place.
Dimitri Payet est impliqué sur les deux premiers buts, avec des services aériens d’une précision chirurgicale. Et pourtant, il lui arrive d’agacer en tribunes, par son pressing déficient sur la relance allemande ou des gestes simples ratés, comme cette passe facile donnée à contretemps ou, plus tard, ce ballon qui lui passe sous la semelle sur un contrôle a priori anodin. Il inscrit le troisième pion, d’une frappe extraordinaire du gauche, faisant basculer le Vélodrome. Il faut plusieurs secondes à l’assistance pour comprendre que le but a été refusé. Qu’importe, l’OM passe en position de qualifié avant le repos, après que Florian Thauvin eut repris victorieusement du droit un coup franc de… Payet.
Malgré l’impression d’avoir déjà vécu une première période de folie, nous ne sommes pas dupes en tribunes: il faudra encore marquer au moins un but, tant la probabilité que Leipzig en mette un deuxième est forte. Cependant, c’est un sentiment étrange de suspense, de détermination et de confiance absolue dans la tournure des événements qui continue de s’emparer de moi. Mitroglou ne fait pas le match transparent que d'aucuns ont prétendu, sa combativité est largement appréciée dans les travées du stade qui crie volontiers des “Allez Kostas!” qui ont des vrais airs de “Allez minot!”, signe ô combien affectueux ici-bas. Il bute malheureusement sur Péter Gulácsi après une belle combinaison collective. Le second but de Leipzig ne se fait guère attendre, Naby Keita délivrant une délicate offrande derrière la jambe d’appui à Jean-Kévin Augustin.
À l'heure de jeu, Payet écrit alors le chef-d’oeuvre et le point culminant de la soirée. Une jolie action initiée côté droit et le capitaine marseillais est servi dans l’axe. Le temps se suspend alors, Payet élimine son vis-à-vis d’un passement de jambes avant de frapper et de trouver la lucarne. Tout ceci, sur l’espace d’une éternité sur l’échelle relative du football, évidemment. Depuis la Vieille Garde où je suis placé, il me semble même qu’il tire du gauche, enveloppé. Les images me prouveront que c’était plutôt de l’extérieur du pied droit, donnant une note supérieure à un but qui est déjà époustouflant. Le Vélodrome explose et chavire, les clameurs et les cris deviennent assourdissants, la fête atteint alors son sommet. En sautant dans les bras de mes amis, je manque de peu de dire adieu à mes lunettes. On rassure les deux jeunes qui nous demandent si on est bien à ce moment-là en position de se qualifier.
Tenir, jusqu'à la libération
Arrive alors la dernière phase de ce genre de rencontres, la plus difficile, celle où il faut tenir. Ocampos fait son entrée, se bat comme à l’accoutumée et sort un tacle cisailleur qui fort heureusement ne rencontre pas de corps adverse. Maxime Lopez s’arrache dans les duels, contre-attaque à coups de grands ponts et de chevauchées sur les ailes. Le minot fait un match de bonhomme. Le temps s'égrène, le pouls moyen atteint des niveaux inconsidérés et irresponsables. Luiz Gustavo et Rami se taclent dans la surface, faisant craindre le pire pour le Français, qui revient tout juste de blessure. Sur chaque duel remporté, chaque acte défensif, je m’égosille à crier: “Bien minot!!!” On a alors définitivement basculé dans l’atmosphère unique des grands moments de sport, de la proximité d’une qualification héroïque ou d’une élimination douloureuse.
Dans les derniers instants, Pelé fait l'arrêt et la sortie aérienne qu’il faut pour rassurer et soulager. Hiroki Sakai, absolument admirable d’abnégation depuis son arrivée et plus encore dans ce match, abat un travail fantastique sur son côté. Il prend à la 90e minute un carton jaune sur un contact, s’emporte légèrement mais se remet tout de suite en position. J’avoue avoir ressenti à ce moment-là une admiration immense pour sa capacité à rester concentré et à ne pas se disperser. C’est d’ailleurs lui qui va se charger d’écrire la dernière phrase de cette soirée magique.
Dernier corner pour le RB Leipzig, joué à deux, Sanson sort et contre le centreur. Le ballon revient dans les pieds de Mitroglou qui, d’une chandelle, sert Lopez au milieu de terrain. Ce dernier décale à droite pour Sakai. Pris dans l’émotion, j’oublie alors complètement que le gardien adverse est sorti, aussi je suis surpris quand j’entends crier autour de moi: “Tire, Sakai! Mais tire!” Ce qu’il fait du plat du pied. Le ballon rentre lentement, donnant encore plus de beauté à ce moment de libération. Un premier but pour ce soldat exemplaire, le jour de son vingt-huitième anniversaire. Difficile de trouver une conclusion plus adaptée à cette soirée, la plus belle qu’il m’ait été donné de vivre dans un stade.
Ce jeudi, comme il a semblé bien loin, le temps des défaites et des doutes face à Monaco et Rennes en début de saison. Celui des purges de l'exercice 2015/16, et des perspectives incertaines voire inexistantes de la fin de l’ère MLD. Cette équipe n’est pas la plus talentueuse, mais elle a du caractère et c’est souvent suffisant à Marseille pour se faire aimer. Les us du championnat ne sont pas toujours simples pour l’OM, comme en témoignera la difficile victoire à Troyes quelques jours plus tard (3-2). Cette Ligue Europa semble également pour l'instant bien inaccessible vu l’adversité, quand bien même il ne reste que trois matches. Mais qu’importe, grâce à cette performance et à cette soirée inoubliable, l’OM s’est offert pour cette fin de saison le plus beau des droits: celui de rêver.