Malmenée, débraillée, étalée au grand jour, l'équipe de France attire encore la curiosité, mais elle commence à sentir un peu. Ce doit être l'odeur de l'échec, qui ne dégoûte pas tout le monde. Comme les choses changent vite quand il s'agit de revenir à la normale…
Les Bleus sont-ils subitement
devenus des zéros? |
Déprime time
Le charme est bel et bien rompu. On a même l'impression qu'il s'est transformé en mauvais sort, celui qui est désormais réservé à l'équipe de France. Les commentaires excessivement dépréciatifs entendus partout, avant et après le déplacement à Nicosie dressent bien le tableau de ce nouveau paysage. Après une extinction de quatre ans, on entend de nouveau cette voix qui dénigre et ricane, la philosophe de la lose est de retour en même temps que l'indifférence nouvelle du grand public. Une indifférence presque spectaculaire, tant elle contraste avec le culte niais rendu aux Bleus il y a quelques mois encore.
Patrick Le Lay a beau dire que l'équipe de France reste un "produit sûr", elle passe désormais après Star Academy, et en bonne entente avec Jean-Claude Darmon, TF1 fait décaler le match pour ne pas perturber son JT de 20 heures et son émission phare. Certes, Chypre manque de prestige, mais il s'agit d'une rencontre officielle qualificative pour l'Euro 2004, que la sélection nationale aura été priée de discuter à un horaire perturbant…
Autre symbole :
Les Yeux dans les Bleus 3 est diffusé presque en catimini, le jour où l'équipe de France espère un sursis à exécution contre la modeste sélection chypriote. Fabrice Jouhaud (lequel est à L'Equipe ce que Grégory Coupet est à l'équipe de France: celui qui monte et qui parle beaucoup) en profite pour s'offrir Meunier, Jacquet et Lemerre sur le même plateau. Comme quoi, on projette ce que l'on veut dans ce documentaire, puisque nous y avons plutôt trouvé des raisons de relativiser le tableau fait de l'ancien sélectionneur ou de Marcel Desailly. La défaite est mère de trop de victoires faciles…
Le grand déballage
On peut désormais exercer son métier de chroniqueur dans l'euphorie d'une libération longtemps attendue. La France qui perd a en effet été occupée pendant quatre ans par celle qui gagne tout! Une partie de la presse sportive retrouve donc avec soulagement son registre naturel — presque involontaire — du dénigrement et de l'insinuation, de l'anticipation et du commentaire de l'échec.
Après un lock-out imposé plus par l'unité du groupe et les consécrations sportives que par les tyrannies du sélectionneur, les portes sont grandes ouvertes. Nous saurons tout et plus sur les jalousies, les tensions, les frustrations et les scissions au sein de l'équipe. David et Thierry ne sont plus potes, Candela et Liza ne peuvent plus cohabiter, plus personne ne peut blairer Desailly, machin préfère la défense à quatre, Lilian déprime etc. Pour couronner le tout, Coupet la ramène à tout propos (1).
Sommes-nous supposés tant aimer le spectacle de la discorde pour qu'on nous en fasse pareille promotion?
L'équipe de France fuit de partout, l'économie du bruit de vestiaires y devient encore plus florissante qu'au PSG. Paradoxalement, des mesures d'éloignement ont été prises par le staff (séparation hôtelière des journalistes et des joueurs), mais on n'en a jamais autant su sur les coulisses. Le moindre incident, un mot qui dépasse et il y a motif à enfoncer un coin dans la dépouille de l'harmonie du club France. Une réflexion un peu désinvolte de Zidane sur le nouveau "règlement" de Santini, par exemple, et voilà l'autorité du sélectionneur déjà minée. Il s'agit bien de cela:
"Les choix tactiques que Santini semble vouloir privilégier pour affronter les Chypriotes, demain, ne satisfont apparemment pas tout le monde. Ça grince des dents chez les Bleus (Le Parisien, 06/09).
La menace
La démarche précédente relève de la stratégie décrite dans notre
3e leçon de journalisme sportif, consistant à poser des mines, à créer et entretenir les éventuels contentieux entre les joueurs. c'est en ce sens que le 4e pouvoir sportif s'exerce de la plus significative des façons. Une autre méthode essentielle est la menace. Elle s'est rarement autant exprimée qu'avant Chypre-France. "La victoire ou le chaos": c'est la promesse faite par L'Equipe. Ce thème de la "victoire obligatoire" a été systématiquement repris, alors qu'il représente une véritable escroquerie sur le plan sportif (c'est la qualification qui est obligatoire). L'injonction contenue dans cette formule est facile à décoder: "Si vous sous ratez, on ne vous ratera pas". C'est pourquoi les propos transpirent l'avance sur règlement de compte et que les dossiers sont soigneusement accumulés. Synthèse parfaite des deux méthodes, ce très bel extrait du Parisien (Karim Nedjari) :
"La victoire sera obligatoire demain. Sinon, des langues risquent de se délier" (Le Parisien).
Indulgence zéro
Les commentaires ayant suivi la victoire à Chypre montrent à quel point les regards ont changé, y compris le nôtre. Les prestations de l'équipe de France sont vues sans la moindre mansuétude, avec une exagération spontanée de ses lacunes et du péril qui la guette. Selon L'Equipe, elle ne "maîtrise plus rien ni personne", selon Le Parisien elle est "consciente de sa médiocrité" (2). On oublie vite qu'entre 98 et 2000 la sélection a parfois disputé des rencontres moins probantes que celle-ci, sans qu'il fût question de lui prédire l'avenir le plus sombre ni de lui prêter les pires pathologies. Dans les éliminatoires, est-il question d'autre chose que de prendre les trois points? Si les Bleus sont "traumatisés", s'ils doivent guérir et se réinventer, quel est l'intérêt de les charger à leur première sortie en compétition officielle? Qu'est-ce qui les menace le plus, l'inoculation des doutes et des tensions ou leurs piètres qualités intrinsèques?
Mais c'est bien cela qui a changé, qui marque le véritable affaiblissement des ex-champions du monde: la fragilisation accrue par les médias d'une équipe qui a simultanément perdu son rang et son unité. On sait d'expérience que cet acharnement a en définitive des résultats plus bénéfiques qu'un encensement permanent, alors à notre tour, ne dramatisons pas la situation. La perte d'indulgence envers les Bleus est également sensible sur ces pages, alors…
Il ne tient qu'à l'équipe de France d'inverser cette tendance sur le terrain, mais en plus de ses problèmes, elle doit désormais affronter une hostilité qu'elle avait peut-être oubliée et qui n'arrangera pas sa quête d'harmonie interne.
(1)
"Il faut tout remettre en cause. (...) Il faut peut-être que nos leaders soient plus performants sur le terrain et au sein du groupe. (...) On ne vit pas avec l'aura du passé. (...) La Coupe du monde, on y a été bidons" (L'Equipe). Dans le quotidien du dimanche 8 septembre, le journaliste va jusqu'à lui demander si faut envisager le retour de Thuram en défense centrale…
(2) On est en revanche content de lire dans Sud-Ouest qu'il n'y a pas péril en la demeure et de trouver une analyse proche de notre
compte-rendu.