Platini 1984, la nuit de Marseille
Un jour un but – Le 23 juin 1984 à Marseille, l'équipe de France marque un but au bout de la nuit pour se qualifier pour la finale de l'Euro 1984.
Luis Fernandez récupère le ballon et remonte le terrain. Il transmet devant lui à Jean Tigana. Celui-ci s’avance et tente de donner plein axe à Platini, positionné en avant-centre. Álvaro s’interpose in extremis et interrompt l'offensive. Pas suffisamment toutefois, car Tigana le récupère aussitôt dans ses pieds. Le Bordelais s’avance, crochète Eurico et entre dans la surface, légèrement décalé sur la droite...
Le Portugal d'attaque
Nous sommes à la toute dernière minute d'un match complètement fou, une demi-finale extravagante comparable au France-RFA disputé à Séville deux ans plus tôt. Ce 23 juin 1984, nous sommes au Stade Vélodrome de Marseille et c'est la France qui est favorite face au Portugal.
Les hommes de Michel Hidalgo ont ouvert le score en première période sur un coup franc signé non pas Platini mais Jean-François Domergue. Le premier but en bleu pour le plus méconnu des joueurs français, pour sa sixième sélection et le jour de ses vingt-sept ans. La France contrôle ensuite les opérations et semble se diriger vers une victoire sans histoire.
Mais au fur et à mesure qu'avance le match, le Portugal joue de mieux en mieux. Cette équipe, si prudente au premier tour dans son 4-5-1 étriqué, tente enfin quelques coups d'audace. L'attaquant Jordão, si seul à la pointe de l’attaque, se voit adjoindre à la pause Fernando Gomes, le soulier d'or de Porto. Puis, après une heure de jeu, c'est l’éternel Nené, trente-quatre ans et toujours meilleur buteur du championnat portugais, qui entre en jeu. On croit rêver: trois purs attaquants dans l’équipe du Portugal!
De quoi décontenancer les Bleus. Les Portugais attaquent de partout, sous la houlette d'un meneur de jeu qui se découvre des ailes, Fernando Chalana. À un quart d'heure de la fin, le génial moustachu adresse un centre parfait que Jordão reprend de la tête pour tromper Joël Bats.
1-1 à la fin du temps réglementaire, l'équipe de France ne s'attendait pas vraiment à devoir jouer les prolongations. Le Portugal, quant à lui, poursuit ses offensives. Sur son côté gauche, Chalana fait tourner Domergue en bourrique et adresse un nouveau centre impeccable pour Jordão. L'attaquant angolais exécute une reprise de volée diabolique qui lobe Joël Bats.
Les fantômes de Séville
La France est plongée dans le noir et doit à son tour attaquer à outrance. Les défenseurs se retrouvent aux avant-postes pour donner du poids et user l'arrière garde portugaise. Une rencontre échevelée, haletante, superbe qui voit les Bleus multiplier les occasions et le gardien Bento exécuter autant de parades. À cinq minutes de la fin, une pénétration en force se conclue enfin par un but, sur une reprise de Jean-François Domergue, lequel s'offre un doublé inattendu.
Mais il faut encore marquer un but, car l'équipe de France n'a pas chassé les fantômes de Séville. Elle reste inquiète à l'idée d'avoir à passer par l'épreuve des tirs au but. Jean Tigana lui-même expliquera que depuis tout petit, il a toujours perdu à ce jeu. Alors plus qu'un autre peut-être, il veut que la décision se fasse dans le jeu.
Cela fait deux heures que l'on joue et Tigana continue de courir, de dribbler, de provoquer. Sa course folle dans les dernières secondes du match est un exemple d'abnégation, un modèle de détermination. Jusqu'au bout de l'effort. Entré dans la surface portugaise, il déborde sur la droite. João Pinto vient à sa rencontre et le charge. "De l'épaule", comme on dit dans le jargon, c'est à dire corps contre corps, suffisant pour déséquilibrer l'adversaire, mais pas trop pour justifier un penalty. Tigana reste debout et poursuit sa course jusqu'à la ligne de but. Il s'arrache et parvient à donner en retrait. Platini récupère le ballon sur la ligne des six mètres. Le capitaine français trouve le temps de contrôler, puis il tire malgré quatre Portugais positionnés devant lui. Sous la barre, hors de portée du gardien Manuel Bento.
L'hommage du maître
Platini vient d'inscrire son huitième but en quatre rencontres. Dans les six mètres portugais, c'est une scène de désolation: Bento, Frasco et Pacheco gisent au sol, João Pinto s’est accroché aux filets du but et Álvaro, entré dans la cage, frappe de rage dans la balle avant de s’écrouler à son tour.
Pendant ce temps, Platini court le bras droit levé vers le côté droit du terrain, puis décrit un arc de cercle pour s'approcher du banc de touche. Le Turinois s’écroule sur la ligne sous le poids de ses coéquipiers. Lorsqu’il se relève, Platini cherche quelque chose du regard. Michel Hidalgo lui octroie une tape affectueuse au visage, mais le capitaine français est déjà ailleurs. Il se retrouve à nouveau agrippé par une poignée de coéquipiers, dont le collant Luis Fernandez, qui n’en finit pas de lui faire des mamours. Mais Platini semble avoir trouvé. Lorsqu’il se débarrasse de Fernandez, il fait quelques pas, ouvrant les mains dans une attitude quasi-christique. Jean Tigana, mort de fatigue, plonge dans ses bras. L’hommage du maître.