Pourquoi l’homophobie dans le football est une homophilie
Les insultes à tendances sodomites de certains supporters sont porteuses d'une étrange contradiction envers l'homosexualité. Pour en comprendre la cause, il suffit de remonter jusqu'à la Grèce antique. Rien que ça.
Si l’on n’y prêtait qu’une oreille étourdie, les stades de football pourraient passer pour le refuge de l’homophobie la plus arriérée: que ce soit lors de la présentation des joueurs de l’équipe reçue au Parc des Princes, après le refus par l’arbitre d’un tir de réparation à Gerland ou lors des dégagements du gardien adverse au Vélodrome, la majorité des commentaires scandés par le public concerne l’orientation ou les pratiques sexuelles supposées de la personne à qui l’on souhaite exprimer notre mépris ou notre désapprobation. Lorsque l’on qualifie l’arbitre d’"enculé", il semble qu’on lui reproche son homosexualité comme une orientation infamante.
Cette arriération morale se redoublerait d’inconséquence si on la plaçait en regard de l’autre invective la plus fréquente: "Untel, Untel, on t’encule". Inconséquence suprême, car celui qui joue le rôle "actif" dans la position sexuelle apparemment dénoncée n’est pas moins homosexuel que celui qui y joue le rôle "passif". Clamé devant des dizaines de milliers de personnes, le coming out est courageux. Mais comment peut-on reprocher à quelqu’un de recevoir ce que dans le même temps on propose de lui prodiguer? Comment peut-on dénoncer l’homosexualité de quelqu’un tout en confessant ouvertement rêver d’entretenir des relations homosexuelles avec lui?
Homosexualité active ou passive
La solution de cette énigme est sans doute à trouver dans l’ouvrage de Kenneth James Dover (1920-2010), Homosexualité grecque (1978). L’auteur y décrit par le menu la conception de l’homosexualité masculine dans l’Antiquité grecque. Sa caractéristique principale est... que le concept d’homosexualité n’y existe pas: les désirs sexuels d’un homme ne sont pas jugés en fonction du sexe de la personne désirée ("hétérosexuel" s’il désire une femme, "homosexuel" s’il désire un homme) mais selon le rôle, actif ou passif, qu’il joue dans cette relation.
Selon ce mode de classement, l’homme homosexuel actif sera moralement assimilé à l’homme hétérosexuel et donc valorisé, tandis que l’homme homosexuel passif sera moralement assimilé à la femme et sortira donc de son rôle, ce qui est répréhensible. L’homosexualité masculine passive n’est tolérée que pour l’homme prépubère: une fois poussée la première barbe, l’homosexualité passive d’Alcibiade, de normale, devient honteuse.
Les stades ne sont donc pas remplis, comme on pourrait le croire, d’homophobes bovins et inconséquents, mais bien au contraire d’homosexuels et d’homophiles heureux, qui trouvent leur épanouissement dans une conception grecque de l’homosexualité. Partisans de l’homosexualité active, qui n’a rien de honteux à leurs yeux, ils vilipendent l’homosexualité passive supposée de Valbuena, inconvenante pour un homme pubère. À qui leur objecterait le caractère manichéen ou suranné de cette conception, ils rétorqueraient probablement par le cœur même du message qu’ils dispensent ainsi à longueur de matches: "Que chacun vive sa sexualité comme il l’entend".