Qu'est-ce tu vois, Ouaddou, dis donc?
Après une semaine de gesticulations contre le racisme, la mousse retombe et les masques aussi. Même L'Équipe s'en prend à un gouvernement qui préfère la communication à l'action...
Auteur : Pierre Martini
le 25 Fev 2008
On pourrait presque y voir un retournement, voire une prise de conscience à retardement. Ou pourquoi pas, un effet de ce contexte politique général qui apporte soudainement la lumière à des médias redevenus un tant soit peu critiques. Peut-être, plus simplement, qu'un seuil est atteint au-delà duquel les faux-semblants ne peuvent perdurer...
Toujours est-il qu'une semaine après le déclenchement de "l'affaire Ouaddou", le scénario prévu cafouille sérieusement. Il était pourtant écrit à l'avance: indignation vertueuse, grandes déclarations d'intention pour éradiquer le fléau et annonces de "nouvelles" mesures pour lutter contre lui. C'est bien ce qui eut lieu, mais il y a de la friture sur la ligne et tout le monde ne semble plus disposé à tout avaler.
Impuissance organisée
Certes, il y a encore quelques journaux pour régurgiter la communication officielle: "Laporte relance le chantier de la lutte antiracisme", estime Le Figaro. Il y a aussi eu les grandes phrases hors sujet: "Racisme, plus jamais ça" (1), floquée sur les T-Shirts de la Ligue, une bonne vieille recette régulièrement remise au goût du jour. Il y a aussi eux qui scandent le mot "scandale" sur un ton horrifié, l'assaisonnant de quelques invectives en pensant que cela suffit. On encore ceux qui bêtifient en canonisant Ouaddou ("L'homme révolté", selon France Football) (2). N'oublions pas le subit aplatissement de Guy Carlier, ce dimanche lors de France 2 Foot, obligé de s'excuser assez mollement d'avoir accusé à tort, dans sa chronique de la semaine dernière (lire "Pseudo supporter et pseudo débats"), les spectateurs qui apparaissaient sur les images de la montée au créneau de Ouaddou, ceux-ci n'ayant manifestement rien à voir avoir l'incident... Il y a des procès qui se perdent.
Tout ce petit monde fait aussi abstraction du caractère exceptionnel de l'incident messin, dans lequel un imbécile s'est laissé facilement repérer, alors que les foyers de racisme couvent, d'ordinaire, dans des tribunes moins faciles d'accès et qui savent préserver l'impunité des leurs.

Grosses ficelles et grand Marcel
Certaines ficelles apparaissent en effet aussi grosses qu'improvisées: Laporte nomme Marcel Desailly "ambassadeur de la mobilisation du monde sportif contre le racisme" (ouf). Desailly, aussi politisé qu'une feuille d'impôt, qui présentait surtout l'avantage d'être libre, de l'aveu de Laporte lui-même, et dont la mission consistera en une "collecte d'informations, d'idées et de solutions qu'il nous délivrera au printemps". Il y a pourtant des spécialistes du racisme et de ce genre de missions qui auraient été infiniment plus indiqués... D'autant que, sur un tel sujet, les idées et autres solutions ont toutes été formulées et étudiées depuis longtemps. Au passage, on peut s'interroger la vision simpliste qui produit l'obligation implicite de nommer un Noir à un tel poste, qui semble ne servir que d'alibi. En 2004, Basile Boli avait été bombardé dans une fonction similaire par la LFP, et son action n'avait débouché sur rien de concret.
Du côté des mesures, l'ex-sélectionneur a préconisé un "durcissement" des dispositions existantes, avec l'allongement de la durée des interdictions administratives de stade de trois mois à un an (3). Une mesure déjà actée le 21 janvier dernier par un comité interministériel, rappelle Marc Chevrier... De la répression, ou plutôt un simulacre de répression inutile pour la Licra, qui s'est prononcée contre ce principe, et "pour une application ferme, systématique et courageuse des lois, des règlements, des chartes, des conventions, déjà existants et, aux yeux de l'association, suffisants", avec un recours accru aux procédures judiciaires (notamment via les comparutions immédiates) plutôt qu'administratives.
Laporte n'a pas craint d'annoncer avec fracas que les arbitres devraient désormais interrompre les matches en cas d'incidents racistes. Une disposition ancienne dont l'application ne devrait pas échoir à l'arbitre, lequel a bien assez de responsabilités comme cela... Et une mesure déjà annoncée par Jean-François Lamour en 2006, alors soutenu par un Frédéric Thiriez qui affirma à cette occasion que la Ligue était prête à l'appliquer.
La communication ou l'action ?
"On ne lutte pas contre le racisme avec des bonnes intentions et des gadgets (hymne contre le racisme, T-shirts), mais grâce à l'éducation et à l'application des textes existants, largement suffisants", s'exaspère Chevrier. En d'autres termes: il serait temps de favoriser l'application des lois existantes plutôt que leur multiplication, c'est-à-dire d'arrêter la communication au profit de l'action. Ce qui constituerait une véritable révolution culturelle.
Quelques jours avant l'incident de Metz, Bernard lançait ainsi une énième campagne contre "la violence dans les stades", suivant là une recette éprouvée: annoncer des mesures dans le sillage de faits-divers médiatisés – en l'occurrence, plusieurs agressions d'arbitres lors de matches amateurs. Une méthode qui avait notamment permis à l'ancien ministre de l'Intérieur d'occuper le terrain médiatique avec une remarquable efficacité, sans obtenir l'ombre d'un résultat contre le hooliganisme, son mandat place Beauvau s'achevant même sur le pire drame de l'histoire du hooliganisme à la française, la mort de Julien Quemener porte de Saint-Cloud au cours d'une tentative de lynchage. Sans que personne ne s'avise de le placer devant ses contradictions et l'inefficacité de sa politique, ni ne remarque qu'il resservait inlassablement les mêmes mots et les mêmes mesures (lire "Sarkozy bloqué au même stade" et "À balles réelles").
Jusqu'à présent, l'alpha et l'oméga du journaliste sur ces sujets c'était, d'une part, diagnostiquer une "vague" ou une "multiplication" des problèmes sans arriver à concevoir simplement leur constance. D'autre part, accréditer la "croisade" des pouvoirs publics. La donne peut changer. On ne peut espérer agir sur les faits qu'en commençant par les décrire tels qu'ils sont, sans les dramatiser ni les minorer. Et en conservant toute sa vigilance critique envers les pouvoirs publics quand ils sont plus empressés à mettre en scène qu'à mettre en œuvre la lutte contre le racisme et les violences.
(1) Cette formule très classique est plus pertinente au lendemain d'un événement précis plutôt que d'un phénomène aussi large et ancien que le racisme. En outre, sans considérer ce dernier comme une fatalité, il faut être d'une infinie candeur pour croire qu'il peut cesser demain.
(2) N'oublions pas de mentionner l'édito de Rémy Lacombe dans France Football, qui évoque cette légende urbaine selon laquelle les joueurs de l'équipe de France, lors de France-Maroc, auraient été sifflés en fonction de leur appartenance religieuse présumée, alors que Nasri et Benzema avaient été conspués comme les autres. Colportée par le Canard Enchaîné à l'époque, cette information fausse continue de faire les choux gras de ceux qui préfèrent leurs fantasmes à l'examen de la réalité.
(3) Une mesure extrêmement contestée pour son atteinte à la présomption d'innocence et son caractère potentiellement arbitraire.