Robin Walter : «C’est l’absence de BD de football qui m’a incité à me lancer.»
Le diptyque de bande dessinée Prolongations, de Robin Walter, est réédité en format intégral. L'occasion de discuter avec l'auteur du traitement du foot dans la BD.
C'est entre juin 2014 et février 2015 qu'étaient sortis en librairie les deux tomes de la série Prolongations, une BD de football publiée par les éditions Des Ronds dans l'O. Robin Walter, dessinateur et scénariste, avait gagné son pari : celui de traiter le foot dans une BD sérieuse sur le foot, qui traite de sujets sociétaux, sans caricature ni idéalisation.
À l'approche de cette fin d'année 2022, on rejoue les Prolongations avec un album qui réunit les deux tomes. L'objet inclut également quelques extraits des transversales de l'auteur, une web-BD qui fait le régal des abonnés du site Ernest Mag, où sont traités en BD quelques épisodes politiques de l'histoire du football.

Comment est venue l'idée de Prolongations ?
Cela remonte assez loin, en fait. J'ai retrouvé récemment une photo de 2008, avec Jérôme Rothen. Un ami journaliste m'avait infiltré à une conférence de presse organisée par Reebok, afin de présenter le nouveau sponsoring qui liait la marque avec le joueur parisien. Je cherchais alors à multiplier les rencontres et témoignages de gens du milieu, arbitres, journalistes, apprentis footballeurs, supporters, agents, kinés, joueuses... Ce jour-là, il s'agissait de rentrer dans le quotidien d'un joueur, autant que dans celui du responsable de campagne d'une grande marque de sport. J'ai toujours été intéressé par ce monde gravitant autour du foot, parce que passionné de foot, naturellement, mais passionné également par le phénomène sociétal qu'il est.
"Je voulais faire mon 'Carton jaune', mais aussi dire tout un tas de choses sur le foot."
La lecture de Carton Jaune de Nick Hornby avait été une révélation, quelques années plus tôt. Il m'avait persuadé qu'on pouvait faire de la bande dessinée sur le foot, autre que du divertissement ou de la jeunesse. Car il n'y avait quasiment que ça à l'époque. Je voulais faire mon Carton jaune, mais aussi dire tout un tas de choses sur le foot, raconter ses coulisses, ses excès et ses dérives. Oui, c'est comme ça qu'est né Prolongations. Partir de 2011, j'ai commencé à avaler les lectures (les publications étaient bien moins nombreuses qu'aujourd'hui !), et la doc s'est accumulée. Après KZ Dora, qui concerne la déportation de mon grand-père, c'est le projet dont j'avais besoin.
Tu as choisi le Paris Saint-Germain parce que c'est ton club de cœur ?
Je suis en effet supporter parisien. J'ai habité le Val-de-Marne jusqu'à mon déménagement pour Lyon il y a six ans. Lorsque le foot m'a cueilli, on était au début des années 1990, c'était le PSG de Canal+. Je me souviens évidemment de mon premier match au Parc, une victoire 4-0 sur Auxerre, avec un doublé de Weah et un superbe but en solo de Ginola. C'était quelques mois après la victoire de l'OM en Coupe d'Europe. J'ai raconté tout ça dans une courte BD de trois pages pour Le Figaro, venu me solliciter en 2013, à l'occasion des vingt ans de France-Bulgarie, Automne 93. On peut la retrouver sur mon site pour les curieux.
Le choix du PSG présentait-il des avantages ?
Je voulais que tous mes protagonistes gravitent autour d'un même club. Par rapport aux sujets que je voulais traiter dans cette histoire et potentiellement dans d'autres saisons, il me semblait essentiel que le club en question soit un gros club français, un club régulièrement européen, affichant chaque saison de hautes ambitions. Cela aurait donc tout aussi bien fonctionné dans mon esprit avec Lyon ou Marseille, ou même Bordeaux à l'époque. J'ai choisi Paris par simplicité aussi, je connaissais beaucoup mieux son stade, sa ville, les décors que j'allais devoir dessiner... Dessiner le Parc, c'était un plaisir en perspective, alors que je n'aime pas vraiment dessiner les décors, en général.
"Ne pas faire référence au Qatar allait permettre aux lecteurs de comprendre qu'il s'agissait d'une fiction."
À cette époque, le PSG allait connaître une métamorphose...
Quand je me suis plongé dans la réalisation de ma BD, le Qatar venait en effet de racheter le club. Au départ, je n'avais pas réalisé à quel point il allait changer de dimension. J'espérais des titres, bien sûr, mais je ne pensais pas qu'on puisse attirer des Zlatan, Neymar, Messi... Ni qu'ils réussissent à développer la marque PSG à l'international, de manière si impressionnante. Je connaissais bien le club des années 2000, c'était celui-là que j'avais choisi pour servir de décor à mes personnages. Je suis resté sur cette idée. Je me suis finalement dit que ne pas faire référence au Qatar allait de suite permettre aux lecteurs de comprendre qu'il s'agissait d'une fiction.

Le club de la capitale a toujours été la cible de l'anti-parisianisme provincial, et cela ne m'a jamais dérangé, cela fait partie du football, celui qui reflète la société. À ce titre, il était déjà sujet à des polémiques inintéressantes au possible, mais depuis 2011, c'est devenu ridicule. Le début de saison l'illustre parfaitement, avec les critiques concernant les moyens de transport des Parisiens alors que tous les clubs font la même chose. Il y a beaucoup de malhonnêteté intellectuelle de la part des médias. Bref, ces spécificités du club parisien ne m'intéressaient pas. Ce que je voulais, c'était parler de vrais sujets de société par le prisme du foot, et donc parler du fameux "miroir de la société".
La bande dessinée avait développé peu de fictions sur le thème du foot jusqu'alors, et même sur le sport de compétition. Avais-tu des modèles ou des sources d'inspiration avant de t'attaquer à Prolongations ?
J'avais en effet essayé de faire le tour de ce qui existait. Si les œuvres de Jean Graton [1] et surtout Raymond Reding [1] m'étaient familières, c'est surtout ce qui avait été fait depuis qui m'intéressait. Carton jaune (de Didier Daeninckx et Asaf Hanouka), sorte de transposition de l'histoire du boxeur Young Perez dans le foot, ou plus encore l'œuvre inachevée Dans l'ombre des étoiles (de Miroslav Dragan, Stéphane Pauwels et Noé Ignacio, éd. Soleil), étaient parus juste avant que je me mette à mon projet, et avaient achevé de me convaincre qu'on pouvait faire ce genre de BD de football.
"Il n'y avait pas grande chose, preuve du fossé qui existait entre le milieu culturel et le football."
Je me suis amusé à placer plusieurs références "culture foot" dans Prolongations, et on peut constater qu'en fait, mis à part Éric Castel ou Olive et Tom - les héros en version française du manga Captain Tsubasa -, ce sont surtout des références cinématographiques. Même si là encore, il n'y avait pas grand-chose, preuve du fossé qui existait entre le milieu culturel et le football. À part Coup de tête et Didier, on n'avait alors pas grand-chose. Un film qui m'avait marqué, en revanche, côté US, c'est L'Enfer du dimanche d'Oliver Stone.C'est davantage l'absence de BD de football qui m'a incité à me lancer là-dedans, l'envie de participer modestement à combler ce fossé.
Sept ans après, alors que sort la version intégrale de Prolongations, penses-tu que ce fossé a été comblé ?
Il y a encore à donner quelques coups de pelle, mais on peut en effet constater une réelle évolution. De nombreux bouquins sortent régulièrement, dans tous les genres, histoire, fiction, sociologie... Alors que j'avais l'impression d'avoir bien ratissé au début des années 2000, j'aurais aujourd'hui du mal à faire le même travail tant le nombre de livres qui sortent semble plus élevé. Après, je suis sûrement plus au fait des sorties grâce à des comptes spécifiques sur les réseaux sociaux. Je pense à "Écrire le sport", par exemple. Mais l'évolution est réelle. En BD par exemple, des albums comme Un maillot pour l'Algérie (de Kris, Galic et Rey) ou La Patrie des frères Werner (de Collin et Goethals) semblent avoir eu un réel impact auprès des libraires et du public. Les éditions Delcourt ont même lancé une collection autour du sport, Coup de tête, dirigée par Kris, scénariste d'Un maillot pour l'Algérie, d'ailleurs. Chez mon éditeur, Des ronds dans l'O, on a pu voir des albums comme Rêves sur le toit du monde (de Nybrandt et Mikkelsen) sur la création de l'équipe du Tibet, ou Zlatan, l'histoire d'un champion (de Paolo Castaldi), sur la jeunesse du Suédois... Et j'en passe.
La littérature et le cinéma ne s'intéressent aussi que sporadiquement au football...
Au ciné, ce fossé semble plus difficile à combler, du moins au niveau de la fiction. Mais les budgets du Septième art ne sont pas ceux du monde du livre, qui est toujours précurseur. On en a eu quelques-uns au milieu des années 2010 : Les Petits Princes, Comme un lion ou encore La Surface de réparation... tous dans des genres différents. Mais il manque toujours au cinéma français LE grand film de foot. On en revient toujours à Coup de tête, qui doit avoir plus de quarante ans. Les meilleurs films de football restent étrangers : Looking for Eric, The Damned United... À l'inverse, on a une richesse de documentaires qui n'existait pas avant. Notamment grâce à Netflix, certains films ou séries ont eu un succès mérité, dans plusieurs sports. Je pense à l'instant à la série The English Game, qui n'est pas un doc, pour le coup. Oui, clairement, le fossé tend à se combler. J'en suis évidemment ravi et je suis curieux de voir l'accueil que vont réserver les libraires et les lecteurs à l'intégrale de Prolongations... On va voir si cette évolution se ressent entre la sortie initiale et celle-ci.
" L'histoire regorge de grands romans sportifs passionnants ou d'anecdotes incroyables. "
Tes autres bandes dessinées (Maria et Salazar, Von Braun, KZ Dora...) indiquent que tu es également passionné d'histoire. Et sur le site Ernest Lire, tu sembles avoir pu associer deux de tes passions (foot et histoire) sur le même support. L'approche entre un album BD et une page web sont-elles vraiment différentes ?
Je mets deux à trois ans de travail pour réaliser un album, scénario et dessin compris. Dans ces livres, j'essaie d'aborder le sujet en profondeur, de développer les personnages... C'est long, passionnant mais fastidieux. Ces petites BD réalisées chaque mois chez Ernest, c'est une vraie récréation. Je me régale à chaque fois. Il y a des récits que j'adore, mais je n'ai pas encore réussi à les placer. L'histoire regorge de grands romans sportifs passionnants ou d'anecdotes incroyables. Je suis vraiment satisfait d'avoir pu intégrer certaines de ces transversales dans cette nouvelle édition de Prolongations. Cela fait vraiment sens pour moi, par rapport à mon travail. Je remercie pour cela, mon éditrice Marie Moinard chez Des ronds dans l'O, et David Medioni, chez Ernest. On a dû repenser le format, bien sûr. Sur le net, elles sont présentées à la manière d'un webtoon, on scrolle l'histoire vers le bas, vignette par vignette. Pour l'intégrale, il a fallu réétudier un peu le truc. Cela donne de la BD assez bavarde, mais ça fonctionne.
Quels sont tes projets, aujourd'hui, comptes-tu revenir vers une série dans l'univers du football ?
Le projet sur lequel je travaille actuellement ne concerne pas le foot ni le sport. Et il est un peu tôt pour en parler puisque j'ai encore deux ans de boulot dessus. Mais un bon nombre de mes projets sont liés au sport et au foot en particulier. Et je pense que celui qui viendra ensuite, sera l'un de ceux-là. J'ai hâte de me replonger dans cet univers. Il s'agira aussi d'Histoire. L'histoire et le football sont finalement mes deux domaines de prédilection dans mes albums pour l'instant. On va essayer de les réunir.

Prolongations, de Robin Walter, éd. Des ronds dans l'O, 26 euros.
[1] Jean Graton est l'auteur de Michel Vaillant et de nombreuses BD sportives. Raymond Reding de Éric Castel, Vincent Larcher, Jari, Section R, etc.