La fission de l'Hatem
Hatem Ben Arfa accomplit un énième come-back. Jean-Patrick Sacdefiel, autre grand incompris, lui avait fait un sort il y a deux ans.
Extrait du numéro 3 de la revue des Cahiers du football, juin 2019.
Ce que j'aime le plus dans Hatem Ben Arfa, ce n'est pas tellement Hatem Ben Arfa. Il a pourtant beaucoup pour me plaire. Comme moi, il est tombé dans la mauvaise époque, et il aurait sans doute brillé en des âges moins ténébreux.
C'est virtuellement un beau footballeur, pour lequel le ballon n'est pas un problème, qui a refusé de désapprendre le football et de se fondre dans des dispositifs sans âme et des consignes castratrices.
Je lui concède le panache d'avoir décidé de pratiquer le football comme un sport individuel. Je ne peux pas l'en blâmer, quand le football est collectivement si désespérant, ni lui reprocher son éloge de l'inutilité, quand l'utilitarisme a contaminé la morale commune.

Constatant que peu d'équipes voudraient jouer pour lui, il a décidé de s'en charger, préférant perdre les ballons en solo plutôt que de les abandonner à des utilisateurs moins doués. Et, incapable de s'intégrer dans un grand orchestre, il s'est condamné à occuper la position du violoniste virtuose dans diverses fanfares municipales.
Alors, de grève en arrêt de travail, de bouderie en année sabbatique, il n'a presque rien fait de son immense talent. Sabotant consciencieusement sa carrière, il a traîné son irrépressible flemme de contrat en contrat, ne consentant que les efforts nécessaires pour continuer à faire illusion et à laisser penser qu'il aurait pu être un grand footballeur.
Idiots utiles de son imposture
Un footballeur au conditionnel passé, dont il faut regarder les compilations YouTube, pas les stats ni le palmarès. Au moins a-t-il laissé l'impression que quelque chose a failli se produire. Ben Arfa, c'est la possibilité du football dans un temps qui l'a rendu impossible. Ben Arfa est un reproche.
Non, ce que j'aime le plus dans Hatem Ben Arfa, c'est vous. Vous le comprenez de travers, comme le reste, et ce malentendu a fait de vous les idiots utiles de sa belle imposture. Il fait tomber dans son panneau les journalistes pâmés qui lui attribuent des notes invraisemblables pour des performances insignifiantes, et lui servent des interviewes à faire passer Laurent Delahousse pour Élice Lucet.
Tous, vous vous contentez du peu qu'il donne, vous l'en félicitez, vous récompensez sa désinvolture par vos acclamations à chaque action sporadiquement réussie, vous le poussez au crime pour l'en absoudre ensuite.
Je l'ai vu, contre Arsenal à Londres, attendre la 85e minute pour sortir du néant où il s'était planqué et placer deux accélérations qui ont failli faire la différence. Le filou était à deux doigts de rafler la mise. Je l'ai entendu, après une finale de Coupe de France durant laquelle il ne se signala que par une perte de balle qui amena un but adverse, monter sur ses ergots et donner la leçon. Peu importe, vous êtes embobinés, vous lui tressez des lauriers, vous y voyez sa revanche.
Comble d'ignorance, vous en faites un inadapté, alors qu'il a magistralement mené sa non-carrière ; un "génie incompris" alors que c'est vous qui n'avez pas compris son génie. Ou qui n'avez pas le cran de le célébrer pour ce qu'il est : un branleur céleste, un brillant fumiste, un illusionniste. Il se fout de vous, mais vous l'avez bien mérité.
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