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Trente-cinq

Dure limite que la limite d'âge quand on joue au football. D'autant qu'on ne la franchit que progressivement, symptôme après symptôme.

Auteur : Kireg le 3 Nov 2019

 

 

"Nous voici encore seuls. Tout cela est si lent, si lourd, si triste…. Bientôt je serai vieux. Et ce sera enfin fini. Il est venu tant de monde dans ma chambre. Ils ont dit des choses. Ils ne m’ont pas dit grand-chose. Ils sont partis. Ils sont devenus vieux, misérables et lents chacun dans un coin du monde." (Céline, Mort à crédit).

 

Que faire du temps dont on dispose? Un espace sans unité s’étire entre l’endroit où l’on se tient et celui où il aurait fallu être. La durée qui lui est associée permettra ou non de diriger la gestuelle – celle du corps et donc celle du jeu.

 

Le ballon s’écrase sur l’intérieur du pied, la pression ressentie est une récompense qui fait très légèrement partir la jambe en arrière. Les hanches coulissent dans la suite du mouvement. Déjà le geste s’est enclenché sans qu’aucune décision ne semblât être prise.

 

Il y a quelque chose du ballet, de la chorégraphie dans tout ça; la dynamique des circuits neuronaux préférentiels, ces réseaux nés du goudron défoncé et des semelles qui baillent, entretenus depuis, renforcés à longueur d’après-midi. Un peu trop tard… le ballon s’échappe en touche.

 

Je sais toute la masse de mon corps en chute libre vers le centre de la planète. Mon poids est inchangé, la gravité constante, l’altération est en moi. Je comprends sans comprendre.

 

 

 

 

Oxydation de la carcasse

Gamin, quelqu’un m’avait dit que s’acharner à regarder la rose mourir était le meilleur moyen de ne rien en voir. Qu’il fallait plutôt l’oublier pour la retrouver fanée. Putain, mais qui dit ça à un môme de dix ans? Une vieille prof de SVT. Ou alors un parent quelconque paumé dans une fête de famille à la con – genre communion – qui avait déjà lâché la rampe. Je ne sais plus.

 

C’est loin tout ça. J’ai récemment lu que les enfants avaient un métabolisme équivalent à celui d’athlètes accomplis. Leur utilisation musculaire du dioxygène est optimale, leur récupération rapide. Ils ont une capacité à éliminer la lactate d’une efficacité totale, sans acidose. Du rendement!

 

Ce n’est peut-être que de ça dont il est question, au final: une lente dégradation de la mécanique du corps, une perte d’efficacité qui interdit un coulissement répété du couple actine-myosine par l’hydrolyse des liaisons à haut potentiel de transfert de l’ATP.

 

Oh, on peut se la jouer biochimiste, ça ne reste qu’une pauvre et triste oxydation de la carcasse. Nous sommes des machines conscientes. Et nous rouillons.

 

Si l’on creuse encore, que l’on regarde dans le détail, les diagrammes de physiologie sont implacables. Ils pointent une perte des capacités physiques selon le sexe et l’âge. Pour l’homme, le climax est atteint à trente ans. Chez la femme, il est retardé de quelques années, probablement sous l’effet d’un métabolisme basal moindre (masse musculaire réduite, production plus faible de radicaux libres, j’en sais foutre rien).

 

 

Âges théoriques

Vivre comme un Suisse allongerait donc l’espérance de vie. Les études conduites chez les nématodes (meilleur modèle connu d’étude du Suisse) sont par ailleurs très claires et mettent en avant la superbe idée selon laquelle c’est bien vivre qui ferait mourir.

 

Les courbes de performance physique plongent ensuite en pente de plus en plus douce vers des âges théoriques. Elles sont pudiquement annotées d’un astérisque rappelant le caractère prépondérant des variations individuelles. "C’est moche, mais ce sera peut-être encore pire pour toi, et juste pour toi."

 

D’ailleurs, les jours où ça ne va pas fort, il est possible, de sérendipité en glandage home-officien, de finir sur un site en .ch qui vous confirmera qu’il "existe dans la population un petit nombre d'individus qui parviennent à maintenir au cours de leur existence une capacité physique exceptionnelle".

 

Mais que cherche ce peuple, exactement? C’est parce qu’ils ont plus de temps et qu’ils s’ennuient qu’ils nous pondent tous les articles francophones sur la taille des bites et les types de calvitie? Ou alors c’est leur façon à eux de nous faire chier, pour ne plus être seuls. Qui veut être seul? Quelle est la différence entre la solitude et la mort? Les audiences de France 3, certainement.

 

 

Des choses humides et molles

C’est en général par une photo que s’annonce la débâcle. Un cliché aléatoire qui défile sur l’écran d’un téléphone. "Attends, reviens voir en arrière deux secondes…" Les pixels dessinent les reflets d’une piscine, des sourires d’été, un éclaircissement nouveau au sommet du crâne. Merde…

 

La médecine parle de fin de phase asymptomatique, le mal déclaré en somme. Le terme convient bien à cette prise de conscience physique, phénotypique, de la décrépitude qui s’amorce. Chez certains individus, les premiers symptômes sont plus tardifs et d’autant plus violents; ils tournent en général autour de la prostate. Des choses humides et molles, comme un retour à l’état d’amibe.

 

Et moi, aujourd’hui, où est-ce que je me tiens sur cette ligne du temps au extrémités floues: un mécanisme vicieux mais salutaire du processus évolutif; une façon de préserver l’espèce. Oublie d’où tu viens, ignore où tu vas, ça t’évitera de finir les bras attachés dans le dos. Permanence de l’objet: douze mois. Premiers souvenirs: cinq ans. Dernier souvenir: 1984-XXXX.

 

La douleur et la lassitude, lancinantes, têtues, s’écrasent sur le front du quotidien, comme autant de coups de boutoir assénés par des soldats observateurs et impatients.

 

"You know this job is quite demanding, you may not be able to keep playing football on a weekly basis.
– Well, you know, the moment I will give up on this will be a very sad day for me, but also for you.
– I see… Look, I think we’re going to work together."

 

 

 

 

Érosion de l'envie

Si je veux m’accrocher, c’est que j’ai compris depuis longtemps que c’est par l’érosion de l’envie que le jeu prendrait fin. La psyché avant le soma. Pousser la représentation pour que le scénario déraille. Juste un peu. J’ai toujours été un emmerdeur.

 

Je ne me sens pas particulièrement mieux dans cette salle obscure qu’ailleurs, elle est froide et pue la sueur, mais elle est loin du reste et je sais qu’elle me manquera. Allez! Prendre l’espace. Attendre le ballon en profondeur. Feinter le contrôle et décaler le pied un peu vers l’extérieur.

 

Oui! Le ramener pour crocheter. Garder le cuir long de ligne avec l’extérieur du droit. Accélérer. Ralentir. Le défenseur se cale sur ce rythme-là pour intervenir. Quand il est prêt, remettre un coup de rein. Bloquer tout et crochet extérieur. Un pas d’élan. Frappe de l’intérieur du droit petit filet opposé! Arfff le con, il a trop ouvert le pied.

 

Ses potes se foutent de sa gueule. Ces mecs-là sont bons. Ils sont bien plus techniques que nous à leur âge, moins endurants, plus gras aussi. Ils gesticulent, se la racontent avec des feintes inutiles; tout se passe dans la vivacité et le dribble: c’est un autre sport.

 

J’aimerais les voir bouffer du kilomètre sur un vrai terrain avec des coups d’épaules et des alus dans les mollets. On a grandi dans la cambrousse, on s’étalonnait sur du stabilisé et du Teddy Bertin, ils ont du synthétique; il faut savoir être autre chose qu’un vieux con.

 

Je me lève des tribunes avec une grimace. Il va falloir que j’accélère si je veux être à l’heure.

 

 

Réactions

  • Kireg le 04/11/2019 à 17h04
    Je me suis fait exactement la même réflexion Metzallica. Et je suis certain que c'est assez classique comme idée au sein des communautés de footeux du dimanche.

  • balashov22 le 04/11/2019 à 18h21
    Je confirme, on se compare avec les joueurs de son équipe (ou de sa sélection) préférée, on se dit d'abord qu'ils sont plus âgés, puis qu'on a le même âge, puis qu'ils sont un peu plus jeunes, et vient le moment fatidique ou l'écart se creuse vraiment. L'avantage d'être mauvais, c'est que je m'étais fait très tôt à l'idée que ces mecs-là (et ces nanas-là, plus tard) étaient dans un autre monde que le mien. Du reste, avec un corps qui a sérieusement commencé à défaillir dès 30 ans, j'avais également eu cinq ans de préparation mentale supplémentaire.

    Merci en tout cas pour l'article Kireg, tu mets comme souvent des mots sur des pensées qu'on est plusieurs à avoir sans réussir à les exprimer.

  • McManaman le 04/11/2019 à 20h40
    Moi je m'en fous, j'ai décidé d'arrêter de vieillir quand j'ai eu 30 ans. Je ne suis plus concerné depuis 7 ans, mais c'est bien écrit, merci Kireg !

  • valdo le 04/11/2019 à 23h17
    Quand je pense que quelqu'un m'avait vendu que tu étais drôle. Un jeune inconséquent sans aucun doute. 35 ? C'est quand même pas un hasard si aucun mot n'existe pour qualifier un mec de 35 ans...
    Ah si, un jeune, un type en cours d'amélioration.
    Non merci

  • valdo le 04/11/2019 à 23h17
    Un grand merci malgré tout

  • Redalert le 05/11/2019 à 05h30
    Bravo Kireg.

    Comme d'hab' avec toi il y a des moments où on ne sais plus si on parle encore bien de foot ou d'autres choses un peu moins futiles mais je ne chercherai surtout pas à te psychanalyser (hihi). Vu que tu as l'air de bosser dans un environnement scientifique parmi les 10 environnements les plus complexes du monde (j'ai arrêté la biologie en 2nde)...

    35 ans, 35 un nombre qui te poursuit jusqu'à Bruxelles.

    Bref, allez R....

  • Jankulowski Desailly Galasek le 05/11/2019 à 12h27
    Moi ça m'avait déjà fait drôle quand j'ai réalisé que ne pouvais plus être sélectionné chez les espoirs. Là, je viens de passer ce cap où on est considéré comme un vétéran.

    Le pire c'est que dans mon métier aussi, on finit généralement notre première partie de carrière vers 35 ans. Le seul moyen de voir le terrain sans être spectateur, c'est de devenir coach, mais les places sont très chères.

    Et oui, la recherche et le foot, même combat.

  • Sens de la dérision le 05/11/2019 à 13h25
    Depuis la retraite de Buffon, je suis mal : il était le dernier de mon classe d'âge. Même Federer a 3 ans de moins. Du coup je regarde beaucoup de tournois de coinche. Ça me rassure.

  • Espinas le 05/11/2019 à 16h35
    Sens de la dérision
    aujourd'hui à 13h25
    Depuis la retraite de Buffon, je suis mal : il était le dernier de mon classe d'âge. Même Federer a 3 ans de moins. Du coup je regarde beaucoup de tournois de coinche. Ça me rassure.
    ----
    Sauf que Buffon n'est pas à la retraite, il est à la Juve.

  • 12 mai 76 le 05/11/2019 à 16h49
    Très bel article Kireg avec cette magnifique incise de Mort à crédit que je n’avais jamais pourtant vu sur l’angle du vieux footballeur.
    Et pourtant il y a un secret pour ne pas vieillir sur le terrain, celui de sentir que sur un geste, une passe, un déplacement, une frappe, un dribble, on y arrive encore un peu, encore et encore, même contre des plus jeunes, des plus rapides, des plus techniques. Même si c’est de plus en plus rare, de plus en plus difficile. Mais la sensation reste, de vivre avec le ballon, de le maîtriser une fois de plus. A 35 ans tu te dis que ça sera bientôt la fin mais rien n’est certain. Tu es sur l’herbe encore à 40 ans . A 45 tu poursuis le bonheur de courir de tacler, d’un coup de tête, ou d’un geste défensif. Tu gagnes encore le match vieux- jeunes de fin de saison. Plus pour longtemps... mais tu as toujours envie de marquer ton dernier but, de gagner du temps sur le souffle qui manque et les jambes qui souffrent.
    Arrive 50 et la c’est clair, le match de fin de saison contre ces jeunes qui te maintiennent en vie sur le terrain, tu le perds de plus en plus cher chaque année et tu ne le gagneras plus jamais. Mais tout au long de la saison le mélange jeunes- vieux te fais croire que tu es encore utile. Et tu l’es. Un peu. Beaucoup parfois à tes yeux et aux leurs.
    Et lundi dernier tu as 57 bientôt. Ce soir là je cours, je vole, et ce putain de ballon obéis à mes pieds carrés. Et je marque, une fois, deux fois, trois, quatre, et cinq. Ma première, et certainement dernière manita.
    Et je me dis, non , pas encore ma mort de footballeur du lundi, pas encore le dernier match, le dernier entraînement. Ça sera un peu plus tard, bientôt mais toujours trop tôt. Mais putain de jambes portez moi un peu plus loin, donnez moi encore l’envie et le plaisir, jusqu’à 58, 60....
    Mais ne me lâchez pas. Pas tout de suite. Faites moi croire que le terrain, la boue, la pluie, la chaleur, la sueur ce n’est pas fini. Faites moi croire que je sais jouer, faites moi rêver à des exploits sur les terrains du monde entier.
    Footballeur amateur sans génie, c’est le plus beau métier du monde.

La revue des Cahiers du football