Ultras : la parole à la défense
Au centre d'une campagne politique et médiatique dont ils sont largement responsables, les Ultras parisiens se sont rassemblés pour exprimer leur point de vue et réclamer un dialogue...
Auteur : Jamel Attal
le 17 Jan 2005
L'actualité des supporters a toutefois connu une sorte de tournant en fin de semaine dernière, à l'endroit qui cristallise l'attention, Paris. C'est là en effet qu'a évolué le conflit entre le PSG et ses supporters, avec notamment une conférence de presse de ces derniers, et une esquisse de reprise du dialogue. Le changement, c'est surtout un début de visibilité de la parole des Ultras, auxquels certains médias ont enfin donné la parole. Il reste du boulot, tant les stéréotypes ont la peau dure. Lors de Téléfoot ce dimanche, on a pu ainsi entendre Thierry Gilardi s'esclaffer en déclarant "il y a aussi des supporters sympas". Quant au pourtant sympathique Érick Mombaerts, il est intervenu à la fin de PSG-TFC en disant "Cette violence autour de la pelouse me dérange vraiment"… alors que le match s'est déroulé sans incident. Mais dans L'Équipe ou Le Parisien, sur les ondes des radios et de certaines chaînes sportives, on a enfin entendu la voix des supporters autrement que braillée dans les sonos des tribunes. Du mégaphone aux micros Le collectif d'associations parisiennes (Lutèce Falco, Boulogne Boys, Tigris Mystic, Authentiks, Supras Auteuil, Rangers) a donc exprimé son point de vue, le jour même où la Commission de discipline de la LFP infligeait à leur club la sanction d'un match à huis clos, à la suite des incidents de PSG-Metz le 18 décembre (1). Les Ultras ont également édité une plaquette consignant leurs revendications et mis en ligne un site bien fourni (verite-supporters.net, sur lequel il est possible de télécharger ledit dossier de presse en PDF), mais aussi de consulter le "Contrat local de sécurité" signé en juin 2004 entre le club et les pouvoirs publics. Parmi les griefs des supporters : l'obligation de présenter une carte d'identité pour l'achat d'un billet à l'extérieur, la résiliation "préventive" de certains abonnements, la répression accrue des fumigènes (2), la saisie de certaines banderoles hostiles aux dirigeants et une série de "mesures vexatoires" (restriction des accès aux locaux des associations, ou au stade pour préparer les animations, refus d'éclairer les animations dans les tribunes, accès insuffisant à la billetterie de PSG-Chelsea, etc.). Arbitrage demandé La nomination de Jean-Pierre Larrue au poste de responsable sécurité cristallise les ressentiments, cet ancien du GIPN (Groupement d'intervention de la police nationale) étant accusé d'être le principal auteur des brimades et de la rupture de tout dialogue. En "tendant la perche" au président du PSG, les supporters lui ménagent la possibilité de faire jouer à Larrue le rôle du fusible, en guise d'issue politique à la crise. Me Virginie Lapp, représentant les associations, a exprimé leur souhait d'une médiation judiciaire, consistant à se tourner vers un juge des référés pour qu'il désigne "un ou plusieurs tiers de bonne foi" afin de créer un dialogue susceptible de résoudre le conflit. Cette démarche est conditionnée à l'accord de Francis Graille, qui a déclaré "Certains m'insultent. Mais si on me tend la main, je n'ai pas le droit de la refuser. S'ils veulent discuter avec moi, ma porte est ouverte", précisant toutefois que "puisqu'on parle de médiation judiciaire, il faudra d'abord qu'un juge décide qu'il y a matière à cela" (AFP). Ayant parfois donné l'impression de se servir du conflit et de dresser les supporters les uns contre les autres (virages contre latérales) dans le but de gagner un bras de fer aux côtés des autorités, le président (toujours pas actionnaire) du PSG a un choix crucial à effectuer, qui détermine plus que son propre avenir. Responsabilisation imitée La démarche des Ultras parisiens a donc le mérite de mettre au clair leurs revendications, qui méritent au moins d'être discutées. Elle illustre aussi, malheureusement, les travers des associations parisiennes, incapables de se dissocier des débordements qui contribuent à les décrédibiliser. Ainsi, tout discutable et dangereux qu'il fut, le jet de fumigènes sur la pelouse de PSG-Metz entrait encore dans une certaine logique revendicative poussée à l'extrême. Mais le déplacement d'une buvette dans la partie haute de Boulogne, menaçant de chuter sur les spectateurs en contrebas, n'a fait l'objet d'aucune condamnation de la part de supporters qui voudraient se présenter comme responsables... Rien non plus sur des cris racistes intolérables, eux aussi émis lors de ce match. L'union des différents groupes se fait malheureusement au profit des moins recommandables d'entre eux. L'engagement commun d'un "refus de la violence" pour la suite des événements ne suffit pas à dissiper l'ambiguïté. L'amalgame entre les revendications et les résultats insuffisants du PSG prête aussi le flanc aux accusations d'opportunisme et de manque de soutien à un club qui en aurait bien besoin (difficile de ne pas penser que la grève du soutien lors de la réception de Toulouse a contribué à bloquer la balance du résultat final). Quant à l'obsessionnel "Graille démission", il continue à témoigner d'une forme d'immaturité assez alarmante en plus, là aussi, d'une logique autodestructrice pour leurs propres couleurs. Les sonos tonnent Significatif à défaut d'être exemplaire, le cas parisien illustre un "malaise" présent dans de nombreux clubs, et la crainte qu'inspirent les Ultras au-delà de la "terreur" qu'ils sont censés faire régner dans les stades. On ne reviendra pas ici sur les points abordés dans le n°12 des Cahiers, mais rappelons que l'année 2004 a montré que la fronde des tribunes pouvait avoir un impact direct sur le destin des dirigeants. Les Ultras peinent à distinguer eux-mêmes ce qui relève de frustrations sportives souvent puériles, et d'un refus plus profond des évolutions de leurs clubs et du football en général. S'ils doivent apprendre à formuler — ensemble et de manière argumentée — leurs revendications, il appartient aussi aux clubs, à la Ligue, aux médias et aux pouvoirs publics de les écouter et de leur donner une place qui ne soit pas toujours celle des cons. (1) La Commission de discipline a opté pour le match à huis clos en prenant argument du fait que les supporters visaient explicitement le paiement d'une amende par le club (comme en attestait la banderole "Graille, cette amende t'es offerte par le virage Auteuil"). Le PSG peut faire appel, comme il l'avait fait en tout début de saison lorsque le club avait été condamné à disputer son match contre Caen (2e journée) à huis clos, puis en Commission d'appel sur terrain neutre. Le CNOSF (Comité national olympique et sportif français) avait ensuite converti cette sanction en amende. Cette procédure faisait suite aux bagarres ayant éclaté le 1er mai 2004 à Strasbourg, entre Tigris Mystic et Boulogne Boys. (2) Avec la politique d'amendes très lourdes édictées par la Ligue depuis la saison dernière (le PSG a dû régler plus de 300.000 euros en 2003/2004), les fumigènes sont devenus un point de discorde majeur. Alors que l'an passé, les pouvoirs publics et la LFP semblaient pouvoir accepter une utilisation sécurisée et encadrée de ces moyens pyrotechniques, on est passé à une tolérance zéro qui offre un angle aux dirigeants de clubs pour stigmatiser les débordements et exaspérer les associations. Lesquelles, en retour, s'en servent pour radicaliser leurs positions et "faire payer" les dirigeants.