Un quatuor pour l'attaque
La réflexion tactique de Roger Lemerre a été considérablement simplifiée, à la fois par l'héritage de son prédécesseur (le bloc et l'esprit) et par l'évidence des nouvelles solutions qui s'imposaient pour pallier aux carences, notamment offensives, des champions du monde. L'Euro a consacré cette évolution du jeu des Bleus, qui n'est pourtant pas achevée. En étudiant les mises en place au coup d'envoi des matches de l'équipe de France depuis le France Pologne du 23 février 2000*, on voit comment le système, match après match, s'est consolidé…
Pour les lignes défensives, la défense à quatre et les deux milieux récupérateurs constituent une assurance tout risque qui semble survivre aux départs de Blanc et Deschamps et pouvoir pallier aux absences ponctuelles (avec Candela, Silvestre, Lamouchi, Makelele et Sagnol en prétendants au banc —voire plus pour le Romain). Le débat qui a longtemps fait rage sur les options d'un duo ou d'un trio de récupérateurs ne semble plus d'actualité, même s'il avait fait son retour à l'Euro. On s'attendait à ce que le sélectionneur, prudent, place systématiquement Zidane derrière deux attaquants de pointe et devant trois milieux défensifs. Il l'a fait à l'Euro contre la République tchèque (Henry et Anelka ont débuté ces parties, devant Zidane), comme pour prendre la revanche des Bleus de Jacquet à l'Euro 96 —avec d'ailleurs une victoire à la Jacquet, obtenue par un "but décisif" de Djorkaeff— puis contre le Portugal en demi-finale. Deux matches compliqués… Mais ce sont les deux seules fois depuis le début de l'année 2000, et il tient vraisemblablement à ne plus revenir au système qui a marqué l'ère Jacquet (et tenait aux qualités des joueurs alors disponibles).
C'est évidemment l'animation offensive qui a laissé au sélectionneur la possibilité d'imprimer sa marque sur la sélection, compte tenu notamment de l'arrivée d'une exceptionnelle génération d'attaquants. Depuis le début de l'année dernière, il a de plus en plus souvent reconduit ce système en "4-2-3-1" qui semblait déjà avoir sa préférence, et qu'il a systématisé avant l'Euro. Zidane étant inamovible dans l'axe, il l'a flanqué de deux joueurs offensifs sur les côtés, avec un attaquant axial devant lui (le plus souvent Henry, mais aussi Anelka et Trezeguet). Quand l'équipe est en possession du ballon, le front de son attaque est garni et quand elle est dominée ou en phase de récupération, elle peut rapidement renforcer son milieu, avec un efficace premier rideau.
Il faut dire que Lemerre dispose d'un bataillon de joueurs polyvalents, idéals dans ce rôle d'"ailiers", à la fois attaquants de soutien —devant déborder et percuter les défenses mais aussi capables de rentrer dans l'axe et de permuter— et milieux de terrains chargés de participer au replacement et à la construction. Dugarry, Pires, Djorkaeff, Wiltord (voire Micoud) ont tous la faculté de jouer aussi bien à droite qu'à gauche, et ils disposent d'une technique très au-dessus de la moyenne qui leur permet de tenir le ballon ou d'orienter le jeu. Henry lui-même peut retrouver son placement de Monaco si le sélectionneur lui préfère Anelka ou Trezeguet en pointe (France-Danemark, France-Angleterre, France-Cameroun). Giuly est un postulant, il avait participé au Ecosse-France de l'an dernier mais n'est plus réapparu en A, ainsi que Robert, qui s'est éloigné du groupe depuis l'automne. Ajoutons que Marlet peut aussi élargir l'éventail des solutions…
Selon le profil des joueurs, plus (Henry, Wiltord) ou moins (Pires, Dugarry) attirés par le but, le centre de gravité se portera plus ou moins vers l'avant. Si l'on recense les titularisations depuis février 2000*, on s'aperçoit que c'est Dugarry qui a le plus souvent figuré à ce poste, à sept reprises, suivi par Djorkaeff (cinq fois, mais Youri a du mal à rester sur le côté, c'est connu), puis Henry et Wiltord (quatre fois) et Pires (trois fois). Notons que Pires et Dugarry ont aussi évolué dans ces zones contre les Pays-Bas, mais dans un 4-4-2 sans Zidane et avec deux attaquants (idem pour Robert et Makelele contre l'Afrique du Sud). Enfin n'oublions pas les fréquentes entrées en jeu des deux néo-Gunners (on ne risque pas d'oublier celles du 2 juillet).
Ce système oblige à choisir entre les trois véritables avant-centre que sont Henry, Anelka et Trezeguet, et instaure une difficile concurrence entre nos trois prodiges, qui tourne pour le moment à l'avantage d'Henry (lequel a aussi la chance d'être plus polyvalent que ses compères et de pouvoir prendre un côté dans le système actuel), même si le Turinois a fait valoir des qualités immenses dans un registre sensiblement différent. Quant au Parisien, il est momentanément distancé.
Autre bémol, Micoud est probablement trouvera moins sa place dans ce système, alors que son association avec Zidane avait fait des merveilles en Turquie. S'il a joué sur le côté à Bordeaux, c'était dans le 4-4-2 de Baup avec deux meneurs excentrés et il semble plus enclin à rester derrière les attaquants qu'à se joindre à eux. Lemerre le considère peut-être plus comme une alternative en cas d'indisponibilité de Zidane (France-Cameroun), qu'il remplace comme le fait occasionnellement Djorkaeff (Ecosse-France).
Il va de soi que les systèmes ont vocation à éclater, ou à ne pas se conformer à la symétrie des schémas et à l'ordre des théories. S'ils prenaient encore plus d'aisance dans les mois qui viennent, les membres du quatuor d'attaque pourraient s'accorder une liberté plus grande et permuter constamment sur le terrain, au plus grand désarroi des défenses adverses. Et Lemerre peut essayer autre chose, mais c'est moins sûr.
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* En excluant les deux rencontres du Tournoi Hassan II de juin 2000.