Vices et vertus de la faute utile
Faut-il condamner ces petites vicieuses que sont les fautes utiles? Ou bien sont-elles l’arme secrète de ceux qui ont "du métier"? Mais à quoi sont-elles utiles, au fait?
La faute utile est un vice. Elle consiste à faire une faute volontairement, en vertu de motifs tactiques: l’équipe adverse part en contre, la défense n’est pas replacée, il faut alors faire faute sur celui qui a le ballon, pour briser les velléités de contre-attaques.
Pour le néophyte et le moraliste, il n’y a pas de faute utile. Toute faute est scandaleuse, dans quelque domaine que ce soit. Pour les entraîneurs, joueurs et supporters, connaisseurs, twittos, au contraire, il arrive seulement qu’il y ait des fautes inutiles. Et la faute utile est un art délicieux. Ceux qui excellent dans la faute utile parviennent même à ne pas recevoir un carton, et des félicitations enjouées dans les stades et les bars.
Pourquoi utile ?
"Utile": on suppose donc que la faute est avantageuse, voire nécessaire. Marquer de la main n’est-il pas, alors, une faute utile? Non, car la faute utile s’affiche davantage, se revendique comme une faute, et si les milieux défensifs (car ce sont eux) qui les commettent font mine de rouler par terre avec le joueur qu’ils ont subtilement crocheté, c’est davantage pour échapper au carton que pour éviter le coup franc. On n’a pas le sentiment de tricher avec la faute utile. On fait tout ce qu’on peut pour qu’il n’y ait pas faute, mais s’il y a faute, après tout, c’est normal. La faute utile s’assume. La main pour marquer… bref, n’y revenons pas.
Le coup franc est préférable au laisser faire de l’action: la faute utile est donc "efficace" au sens où elle est un moindre mal. Dangereuse ni pour le joueur qui la subit, ni pour l’équipe qui la commet, la faute utile digne de ce nom est effectuée dans les environs du rond central. Elle est toutefois de plus en plus risquée pour l’auteur: les Makelele, Gattuso et autres spécialistes de la faute utile recevaient déjà des cartons pour des fautes utiles, et cela arrive de plus en plus souvent aujourd’hui, malgré le savoir-faire des joueurs. Mêmes pour des petites obstructions de rien du tout. Les arbitres considèrent presque systématiquement que la faute utile mérite un jaune, car la faute utile, ce n’est pas beau – c’est même très méchant, car un contre est toujours "un bon coup à jouer".
Faut-il dénigrer les fautes utiles?
La recrudescence de cartons jaunes a permis un rééquilibrage pertinent. La faute utile reste une arme, et elle est même une arme plus subtile et attachante qu’avant. Le milieu défensif doit être capable d’évaluer la dangerosité d’un contre, de peser le pour et le contre, et décider de risquer ou non le carton jaune. Il doit en outre, désormais, exceller dans l’impression que la faute n’est pas si volontaire que cela.
La "gravité" de la faute ne correspond évidemment pas qu’à la brutalité d’un coup. La gravité est souvent d’ordre éthique ou symbolique: tout comme le petit croche-patte involontaire au mec qui partait seul face au goal, la faute utile est une chose condamnable pour le tort qui est causé non au joueur, mais au jeu. Interrompre un joli contre est chose immorale, bien que cela soit camouflé derrière une appellation connotée plutôt positivement (la connotation positive n’est assumée que lorsque l’auteur est un joueur célèbre; on parle alors du "métier"). Mais l’arbitre ne perd pas de vue le jeu: lui arrive même de sanctionner la faute utile avec le second jaune qui fait rouge.
Rien de tout cela n’explique, en revanche, quelle "gravité" légitime le carton jaune pour le maillot enlevé après le but. Les danses, chenilles, bandelettes dans la chaussette et autres cirages de pompes du buteur qui célèbrent leurs buts sont manifestement beaucoup plus graves. Mais il faudrait, pour les sanctionner, qu’interviennent des critères esthétiques, qui d’une part seraient délicats à imposer, et qui d’autre part disqualifieraient, en plus de l’intégralité des maillots third, la quasi-totalité des maillots allemands. Cela poserait donc des problèmes économiques, voire politiques, et les relations franco-allemandes s’aggraveraient – ce n’est pas le moment.
On s’autorisera néanmoins à user d’un vocabulaire esthétique pour caractériser définitivement la faute utile: c’est une faute de mauvais goût. Mais cette qualification est loin d’être une disqualification de la faute utile. Au contraire.