Zebina, Einstein et la relativité restreinte
Brest-Saint-Étienne, 87e : Aubameyang égalise alors que Zebina, sorti pour changer de chaussure, n’est pas revenu sur le terrain. L\'événement illustre certains principes fondamentaux de la physique moderne.
Comment briller en société et avoir des enfants intelligents grâce au football – À la suite du but stéphanois, les supporters brestois crient avec Alex Dupont à l’incompétence, voire au complot, ceux de Saint-Étienne grommellent qu’ils auraient préféré que l’assesseur siffle deux penalties en faveur des leurs quand l’occasion se présentait, les observateurs neutres trouvent que l’arbitre aurait pu laisser entrer Zebina, mais se demandent si cela aurait empêché les Brestois de commettre les nombreuses fautes défensives qui ont conduit au but, et les journalistes en quête de sensation regrettent déjà que la polémique facile qui s’offre à eux tombe en plein réussite du plan "crise PSG 2011" plutôt qu’en période creuse.
Relativisme référentiel
On le voit, plusieurs observateurs ayant assisté au même événement n’ont pas noté les mêmes choses. Cela s’explique très simplement par un principe posé il y a plus de trois-cents ans par Isaac Newton. Avant toute mesure, on se doit de définir le référentiel dans lequel elle sera faite. Par exemple, en prenant pour référentiel le but, la vitesse d’Aubameyang sera de 20km/h. Imaginons qu’un défenseur court à coté de lui à 5km/h, le poteau de but servant à nouveau de référentiel. Si ce défenseur est pris comme référentiel, la vitesse relative mesurée d’Aubameyang sera de 15km/h, ce qui explique pourquoi il est tout seul lors du but égalisateur.
Revenons à nos observateurs, on comprend que le choix du référentiel (supporter X, supporter Y, journaliste…) aura une influence sur la mesure réalisée. L’observation est relative au référentiel: c’est le fameux "tout est relatif" [1]. Notez que cette affirmation est erronée, la théorie d’Einstein fixe un certain nombre de constantes qui comme leur nom l’indique ne peuvent pas être relative. Le but de ce billet étant de briller en société, cette démonstration ponctuée par la fameuse formule fera des miracles. Veillez tout de même, avant de sortir cette conclusion péremptoire, à ne pas être en présence de chercheurs au CERN ou de lecteurs de Sciences et Vie Junior, afin de vous éviter toute rebuffade humiliante
La dilatation du temps
Après votre brillante démonstration sur les référentiels, vous allez pouvoir enchaîner sur la dilatation du temps. Quoi que vous en pensiez, il ne s’agit de cette sensation de vide intersidéral plus connue sous le nom d’ennui profond qui vous envahit quand votre vieil oncle vous expose par le détail la supériorité de la théorie marxiste sur toute autre, par un dimanche après-midi gris, pluvieux et froid de novembre.
Nous sauterons, ici, les questions concernant les espaces galiléens et tridimensionnels, tant il parait difficile de croire que Ibrahima Bakayoko et Jonathan Pitroipa évoluent dans le même espace et subissent les mêmes lois physiques invariantes. Le lecteur devra pourtant accepter ces principes jamais contredits, sauf par le bon sens populaire cher à Guy Roux et aux paresseux intellectuels qui s’évitent, par son évocation, le fastidieux exercice consistant à trouver et étayer des arguments pour appuyer leurs propos.
Revenons plutôt à la dilatation du temps et au fameux but de la 87e minute. Les deux commentateurs et l’homme de terrain affirment que l’action va susciter la polémique, d’autant que Zebina absent sur cette action avait demandé à rentrer depuis "deux bonnes minutes". Pour ceux d’entre vous qui ne fréquentent jamais de prolétaires, cette expression saugrenue signifie plus de deux minutes.
Le spectateur inattentif au temps se sera forgé rapidement une opinion sur les choix de l’arbitre, c’est le sujet traité en première partie de cet exposé. Sa progéniture, avec la défiance qui caractérise la génération actuelle, aura, quant elle, remis en cause l’autorité journalistique en prétendant qu’il s’est écoulé quarante secondes entre la demande de retour en jeu de Zebina et le but d’Aubameyang. Rempli d’admiration pour ce sens du détail qu’avant lui seul le Dr House, Jarod le Caméléon et Rain Man avaient montré, le géniteur ne peut cependant s’empêcher d’être troublé par les implications de cette découverte.
Swatch de Cris vs Rolex de Cristiano
La perspective de se retrouver avec un génie antisocial, un génie tout le temps sympa ou un autiste de haut niveau n’est en effet guère réjouissante mais le plus effrayant est ce décalage dans le temps. Comment a-t-il pu s’écouler quarante secondes dans votre téléviseur et plus de deux minutes chez les commentateurs?
Les esprits simples diront que c’est impossible et que les commentateurs se sont trompés ou ont menti pour renforcer l’aspect dramatique de l’événement, mais la vérité est tout autre. Depuis Einstein, on sait que c’est tout à fait possible, grâce à un phénomène appelé la dilatation du temps. Pour simplifier, ce principe implique que le temps s’écoule de plus en plus lentement à mesure que l’on se déplace à une vitesse proche de celle de la lumière.
Pour comprendre ce phénomène, prenons deux joueurs: Cris (le policier ou l’opticien, selon le référentiel) portant une Swatch, et Cristiano Ronaldo portant une Rolex, toutes deux réglées exactement à la même heure. CR7, lors d’une de ses accélérations fulgurantes, atteint une vitesse très élevée tandis que Cris reste immobile – jusqu’ici rien de surprenant. Et bien, à cet instant, le temps passe moins vite pour CR7 que pour Cris, et lorsque les joueurs se serrent la main en fin de match on observe que la Swatch de Cris avance sur la Rolex de Ronaldo. Normal, me direz vous, "Swatch c’est de la merde!" Que nenni! C’est la dilatation temporelle qui a fait avancer la montre de Ronaldo moins vite et entraîné le décalage.
Revenons à samedi soir, tels des messieurs Jourdain de la physique relativiste, les spectateurs se déplaçaient à grande vitesse par rapport aux journalistes (ne me demandez pas par quel miracle) et dilataient le temps sans connaître leur bonheur. Le temps passant moins vite pour ceux qui se déplacent à grande vitesse, l’action a duré quarante secondes chez eux et “deux bonnes minutes” dans la tribune du stade brestois, c’est l’explication la plus évidente. Ce phénomène pourrait aussi expliquer les problèmes de certains joueurs africains réputés plus vieux que ce que prétendent leurs documents officiels, ou l’état de dépérissement avancé de Jérémy Toulalan pour qui le monde va trop vite.
Dans un prochain exposé nous tenterons d’expliquer l’intrication de l’espace et du temps si les conditions de jeu et les journalistes facétieux s’y prêtent.
[1] Les psychosociologues prétendront que la différence de vue des observateurs est le produit de leurs attachements émotionnels et du fruit de leur expérience mais les sciences sociales sont aussi fiables que la numérologie, si vous voulez mon avis.