La Gazette, numéro 75
Effet Biétry
Vous aurez peut-être remarqué la publicité en bas de page de L'Equipe, par laquelle France 2 se félicite d'être "les premiers", "pour les sports". Les plus attentifs auront suivi l'astérisque qui indiquait 24% de taux de satisfaction. Un téléspectateur satisfait sur quatre, il y a de quoi de vanter?
On est d'ailleurs toujours frappé du décalage sidéral entre des journalistes sportifs de télévision qui affichent une constante autosatisfaction, et les réactions haineuses qu'ils suscitent chez une part grandissante de téléspectateurs. Sur la foi des banderoles de ceux qui veulent passer à la télé en acclamant le duo, Larqué et Roland doivent ainsi croire qu'ils ne suscitent de rejet que chez les intellos phraseurs d'extrême gauche. Il semble pourtant impossible que personne n'ait fait savoir à Charles Biétry qu'il passait pour une victime de la sénilité précoce ou pour un imbécile de classe olympique auprès d'innombrables amateurs.
Le poste expose évidemment aux critiques, et il est difficile de plaire à tout le monde. Mais le positionnement au ras des pâquerettes de l'information sportive à la télé trahit une vision du téléspectateur impliquant un QI extrêmement bas. L'Académie de journalisme sportif des Cahiers du football devrait se pencher sur la question.
Grogne dans les tribunes
Les "grèves" des supporters avaient été très pratiquées en 99/2000, notamment à Paris, Lyon et Marseille, avant de devenir plus sporadiques ces derniers mois. Les associations lyonnaises ont renoué avec ce mode de protestation, chaque virage ayant déployé une banderole "Club dénaturé, joueurs démotivés : supporters dégoûtés", et décrété un moratoire sur les encouragements. Le problème de cette démarche, c'est qu'elle est à double tranchant. Si elle réussit trop bien, on assiste à une défaite à domicile qui pourra leur être imputée en partie. Ils font alors valoir leur pouvoir, mais le bénéfice pour le club n'est pas évident. Si elle échoue, un but précoce entraînant un rapide abandon des consignes, c'est un coup d'épée dans l'eau et le mot d'ordre aura semblé là aussi malvenu à la majorité silencieuse (celle qui est toujours silencieuse dans les latérales).
Ceci dit, il est difficile pour les supporters d'agir en dehors de l'enceinte du stade, le parking officiel n'étant pas le lieu idéal d'un dialogue approfondi et serein. La banderole reste donc l'arme principale pour brocarder les dirigeants, ou, de manière plus constructive, pour stigmatiser tel ou tel point de la politique du club. La tribune Auteuil à Paris a ainsi fait savoir son opinion sur le maillot de la saison en cours, avec des messages qui font un contrepoint intéressant aux messages publicitaires univoques du sponsor.
Cela reste certes marginal, surtout en tenant compte du nombre des banderoles sans grand intérêt. Mais il est toujours intéressant de voir que les supporters peuvent se démarquer de l'image de consommateurs passifs auxquels certains voudraient les réduire.
Peur sur les Bleus
Nous n'avions pas voulu en parler auparavant, histoire de ne pas apporter la scoumoune, mais la grande peur des blessures chez les joueurs majeurs de l'équipe de France a brutalement resurgi avec les images de l'entorse de Pires, qui semblaient indiquer une indisponibilité longue. On entre en effet dans la période critique où les blessures n'offriront plus une plage de récupération idéale pour arriver en forme en Corée, mais compromettront nettement les chances de participation de ceux qui en seront victimes.
Le risque est d'autant plus grand que la plupart de ces incontournables sont dans le money time avec leurs clubs, certains étant engagés sur des fronts multiples. L'enchaînement des rencontres à fort enjeu n'est d'ailleurs pas pour rien dans l'accident de Robert Pires, survenu après un début d'année à haute cadence, au cours d'une rencontre disputée… en fin de matinée.
En 1998 et 2000, l'équipe de France avait été remarquablement épargnée par ce genre d'ennuis, en partie en raison d'un suivi très sérieux de la part du staff médical. Ce dernier travaille toujours dans ce sens, et récemment, Jean-Marcel Ferret se montrait confiant. On croise les doigts pour qu'il ait raison, et d'abord pour que Pires soit pleinement rétabli début juin.
Un contrôle de gestion européen
Signes avant-coureurs d'un retour de balancier, après des années de course à la dérégulation, deux mesures étudiées aujourd'hui pourraient s'imposer dans un avenir proche et rétablir dans le football européen un minimum de "police" économique.
L'UEFA a annoncé lors de son récent comité exécutif la mise en place de la "licence" européenne qui conditionnera l'accès des clubs aux compétitions européennes à des garanties de bonne gestion. L'idée n'est pas nouvelle, elle avait été évoquée en octobre 1999 (voir contrôle ta gestion). Les critères financiers ne sont pas encore définis, l'instance chargée de contrôler n'existe pas encore et l'application n'est prévue que pour 2004, mais l'idée d'une "DNCG européenne" sur le modèle français est évidemment une bonne chose. Le contrôle de gestion n'existant pas avec la même rigueur chez tous nos voisins, cette carence contribue à une certaine inégalité de traitement.
On peut douter que — dans un monde où les présidents des gros clubs détiennent le pouvoir politique — cette mesure parvienne à les contraindre réellement à la transparence et à la modération. En effet, osera-t-on prendre la décision d'exclure le Real (exemple pris au hasard) si celui-ci continuait sa politique du funambule? Le secrétaire général de la Confédération, Gerhardt Aigner, s'est montré évasif quand à la rigueur des sanctions.
Le plafonnement salarial contre l'inflation
Le consensus est plus grand, du moins chez ces même dirigeants, à l'égard d'un plafonnement des salaires, selon le modèle nord-américain de salary cap. L'UEFA est prête à soutenir une telle disposition, qui permettrait de limiter une inflation salariale devenue réellement dangereuse pour les grands équilibres économiques du secteur.
La définition des modalités de ce plafonnement salarial fera débat, car selon le système choisi, ses effets seront plus ou moins réels et positifs. Il semble que l'on s'oriente cependant vers la principe d'une masse salariale qui ne pourra dépasser un pourcentage du budget du club. Mais cette option, qui ne fixe pas un montant identique pour tous, n'aurait pas pour effet de rééquilibrer le rapport de force entre les plus riches et les autres (Le Monde, 18/03).
Une solution plus simple consisterait à limiter le nombre de joueurs dans l'effectif, ce qui ne permettrait plus aux ténors de faire la différence sur la profondeur de l'effectif. On a aussi vu en France que les groupes pléthoriques pesaient lourd dans les bilans.