Débarquer, être débarqué…
La houleuse arrivée de Vahid Halilhodzic à Rennes souligne à quel point le métier d'entraîneur relève de la psychologie de combat et requiert toujours un solide fatalisme face à la duplicité des dirigeants. Les méthodes autoritaires semblent en tout cas avoir de l'avenir.
Auteur : Pierre Martini
le 22 Oct 2002
Un rituel bien rodé Philippe Bergeroo a donc remporté le challenge Alain Giresse de l'entraîneur viré le plus vite, devançant Angel Marcos, Jacky Bonnevay ou Henri Stambouli qui semblent bien partis pour suivre le même chemin. On pourrait instituer le proverbe "président au micro, entraîneur sur le billot", tant la multiplication des interviews donnés par les dirigeants précèdent généralement un limogeage, quelle que soient les protestations préalables. Quand l'entraîneur a "toute la confiance" de son président, et même s'il est "en contact quotidien avec lui", il peut préparer ses valises. La chaîne de décision a d'ailleurs changé ces dernières années. Aujourd'hui, un coup de fil de l'actionnaire excédé et le président exécutif calcule les indemnités. "Tout le monde est responsable", mais c'est forcément l'entraîneur qui porte le chapeau. Voire même la casquette. Elie Baup doit lire avec un peu d'inquiétude les déclarations ambiguës de Dominique Imbault, président des Girondins qui sent le souffle de M6 sur sa nuque. Le président du directoire Nicolas de Tavernost avait d'ailleurs fait le déplacement à Sochaux. Effet de la cause, dans L'Equipe de lundi, Imbault taxe ses joueurs de sénateurs et menace: "Ou ils se battent ou des mesures seront prises". Il est amusant de constater que les dirigeants partagent avec les supporters le même principe universel d'explication. Si ça va pas, c'est qu'ils ne mouillent pas le maillot, ces footballeurs surpayés. Le tragique, c'est que toutes les équipes supportent des enjeux croissants et la pression qui s'ensuit. Elles sont toutes fortes tactiquement et physiquement, elles sont toutes obligées de tout donner sur le terrain et elles veulent toutes gagner. L'entraîneur à durée limitée Les entraîneurs les mieux établis sont donc, eux aussi, menacés. En fait, la longévité est un handicap dans le foot industriel, selon Jean-Michel Aulas tout du moins, qui considère que les entraîneurs sont périmés au bout de deux ans. C'est surtout vrai à Lyon, où le technicien ne doit surtout pas faire de l'ombre au patron, mais on peut tout de même se demander si effectivement, étant donnée l'évolution de la mentalité des joueurs, le coach ne doit pas être régulièrement renouvelé pour briser la routine et retrouver son autorité. Les entreprises de football sont-elles devenues ingérables? En tout cas, le cercle vicieux est bien huilé: sans résultats immédiats, les projets sportifs sont avortés, et sans projet sportif durable, les résultats ne viennent pas. Il est frappant qu'à Nantes ou à Metz, on ait récemment brisé une continuité exceptionnelle. D'autres clubs comme Lens ou la Real Sociedad peuvent toutefois en profiter et privilégier la démarche inverse... Vahid Halilhodzic est un constructeur, assorti d'un redresseur. Mais à Lille, c'est lui a écourté l'expérience, faute de garanties sur les moyens consacrés à la poursuite de la croissance. Il a en tout cas compris qu'il fallait construire très vite, à l'image de la fulgurante ascension du LOSC, pour avoir une chance d'échapper à la première crise. Comme Alain Perrin, il sait que dans ce métier il faut surfer sur une vague ascendante et bondir sur la suivante sans attendre (un autre avantage est que les déboires de votre ancienne équipe prouvent rétroactivement votre compétence). Dans le cas du Bosniaque, le problème est qu'il n'y pas eu de vague, ou alors qu'il les a laissées passer, tel le héron de la fable. Le challenge du maintien en L1 remplacera celui de la Ligue des champions que le technicien désirait découvrir. Le qualificatif d'ingérable paraissant lui coller à la peau, il n'est pas surprenant qu'il se retrouve à la tête d'un club ingéré. Débarquer, être débarqué Son arrivée à Rennes n'a pas été d'une totale discrétion, entre les polémiques sur son manque de respect à l'égard de son prédécesseur et le cirque médiatique autour de sa reprise en main musclée. Sur le premier item, il faut bien dire que Halilhodzic n'a pas brillé par les scrupules. Cela faisait quelques semaines qu'il s'exprimait sans grande retenue dans les médias, notamment à propos de la situation nantaise et en évoquant les mauvais entraîneurs qui ne tarderaient pas à être démasqués — ce qui l'a fait apparaître comme étant à l'affût de la première place qui se libérerait. La réaction de Joël Muller, en tant que président de l'UNECATEF, était donc parfaitement justifiée, faisant suite aux remarques additionnelles du nouvel entraîneur rennais quant à l'état général catastrophique de l'équipe. Halilhodzic s'en est d'ailleurs excusé à l'issue du match contre Sedan, après avoir tout de même souligné que le syndicat des entraîneurs ne s'était pas occupé de lui pendant son chômage (en aurait-il eu besoin?). Luis Fernandez, nouveau Salomon, a pris une position médiane, reprochant à l'un son manque de tact et à l'autre le fait que lui non plus ne s'est pas senti assisté lors de sa suspension. Le romantisme n'étant pas de mise dans ce milieu, on ne s'étonnera pas de telles circonstances. Les places sont chères, et très convoitées. Une main de fer dans un gant de fer Quant au fameux "choc psychologique", il ne marche que si le choc est de taille, comme avec l'apparition de l'épouvantail bosniaque sur les terrains d'entraînement du Stade rennais, accompagné de son cortège d'imprécations et de lourdes haltères. Mais la ruse doit impérativement compléter l'impact, le coach ayant commencé par réveiller l'orgueil des joueurs, avec un résultat immédiat qui va nourrir la légende du sorcier. Là encore, on peut se demander ce qui se passe dans la tête des joueurs s'il suffit de les secouer virilement pour qu'ils évoluent à leur juste niveau. Le profil d'administrateur pénitentiaire d'Halilhodzic semble avoir un avenir dans le monde indiscipliné du foot professionnel, surtout dans les clubs où ce qui ne peut être obtenu par l'état d'esprit comme à Nice semble l'être par un management très autoritaire.