Exode, vraiment ?
Le marronnier repousse tous les étés mais en cette intersaison, le couplet rituel sur l’appauvrissement de la L1 et la fuite de ses talents a pris des allures de tsunami. Et l’argumentation reste faible, simpliste et incomplète.
Les articles étaient probablement déjà écrits, et il ne restait plus qu’à attendre l’officialisation des départs d’Abidal et Malouda pour lancer les rotatives. Comme un seul homme, la presse sportive s’est émue d’un nouveau pillage subi par le championnat, à coups de dossiers et d’éditos larmoyants sur la soi-disant faiblesse intrinsèque des moyens de la L1 face à ses concurrents européens. Le 13 juillet, France Football consacrait deux double pages à la "saignée", et cinq jours plus tard, L'Équipe reprenait le flambeau à coup d’affirmations péremptoires comme "Les arrivées annoncées ne compenseront certainement pas cette fuite des talents.", le tout soutenu par moult infographies censées prouver l’affaissement de la compétition. Aujourd'hui en France et tout ce que le web compte de sites plus ou moins en rapport avec le foot se sont également fendus d’un papier alarmiste sur "l’exode".
Le raisonnement, lui, est toujours le même: c’est la faute des salaires, trop élevés, de la fiscalité, pas harmonisée, des droits télés, pas assez importants. Mais à force de vouloir évaluer la qualité d’un championnat et de politiques sportives en poussant des boules sur un boulier, on finit par raconter n’importe quoi.
Recensements contradictoires
Il s’agit d’abord de se pencher sur la réalité de cette fuite, sur le long terme. France Football et L'Équipe se sont chacun fendus de leur recensement, pour des résultats le plus souvent contradictoires avec les thèses avancées dans l’article. L’hebdo du mardi s’est chargé de consigner la liste des départs et arrivées des internationaux français en L1 depuis 1998. Et si la balance de cette intersaison est pour l’instant déficitaire – arrivée définitive de Cissé contre départs d’Abidal, Malouda, Ribéry, Mavuba et Faubert (on note au passage la définition toute relative d’un "international") – on constate que les deux saisons précédentes furent vierges de tout départ à opposer au retour de Dhorasoo depuis Milan. Quant à l’été 2003 il vit le transfert de Bréchet à Milan compensé par les retours de Christanval et Marlet. La théorie de la fuite des talents en prend un coup…
Du côté de L'Équipe, ce sont les "joueurs majeurs" qui sont comptabilisés. Pour des résultats pas plus convaincants. L’été 2006 vit d’un côté Micoud, Cissé, Elmander ou Koller transiter vers la France en croisant Diarra, Gourcuff, Frei et Vieri sur leur route. Pas mieux en 2005: Ribéry, Dhorasoo, Aruna, Tiago, Fred, Carew et Rozenhal arrivaient quand Essien, Saviola, Nonda, Tainio et J. Rodriguez partaient.
En réalité, il n’y a eu qu’un seul véritable exode, en 2004, qui fut la conjonction de facteurs particuliers: la fin d’une génération dorée à Auxerre, le parcours extraordinaire de Monaco en C1, une lubie abramovitchienne et des ratés au PSG. Cette année vit en effet sortir de nos frontières une somme de talent ahurissante: Boumsong, Mexes, Cissé, Kapo, Giuly, Morientes, Prso, Drogba, Heinze, Sorin et Edmilson. Impressionnant, mais toujours pas lié à une supposée infériorité financière de la L1 dans son ensemble par rapport à ses homologues européens.
Et les conséquences sportives?
Au lieu de se lamenter à coup d’argumentaires démagogiques ou risibles (la palme se disputant entre France Football, qui a osé: "Même un champion du monde comme [Laurent Blanc] n’a pu convaincre Mavuba ou Faubert de rester", et L'Équipe qui, pour donner l’impression que les départs de "joueurs majeurs" sont plus nombreux que les arrivées, comptabilise le transfert de Bakayoko à Osasuna dans sa liste) il serait peut-être plus intéressant de se poser la question de l’effet de ces transferts sur le terrain, plutôt que d’aligner des noms sur des graphiques.
Quelles sont les équipes qui ont régressé ces deux dernières années? Monaco, Lille, Paris, et dans une moindre mesure Bordeaux, voire Lens. Les trois premiers cas, dont la chute fut la plus spectaculaire, concernent étrangement des équipes qui ne furent pas pillées pendant la période concernée. Monaco a terminé troisième l’année suivant les départs de Giuly, Prso et Morientes, et n’a chuté qu’a partir de la saison suivante, alors même que le club princier se faisait remarquer dans la colonne "arrivées", avec les recrutements de Koller, Cufré (de l’AS Roma), Kapo, Saviola, Vieri ou Chevanton. Si le salut passe par une baisse de la fiscalité, avouons qu’il est dommage que Monaco fasse tout pour prouver le contraire. Lille, de son côté, a réussi l’exploit de conserver Makoun, Keita et Bodmer, sans enrayer pour autant une chute spectaculaire, et Paris fait partie des équipes qui attirent plus de soi-disant "stars" de l’étranger qu’elles n’en perdent.
À l’inverse, parmi les équipes dont le jeu a le plus progressé lors de ces deux dernières années, on trouve Rennes, dépouillé de Frei, Gourcuff et Källström; Marseille, totalement absent de la colonne "arrivées de stars étrangères" depuis Mido; Toulouse; et Lyon, dont on ne cesse de prédire l’inéluctable régression à chacun des départs d’un de ses joueurs pour l’étranger, mais qui continue à jouer de mieux en mieux au football – tant que les joueurs ne se mettent pas sur la gueule dans le vestiaire.
Auto-apitoiement fiscal
Il ne s’agit pas de faire preuve de candeur, d’évacuer la question des salaires ou de considérer que la richesse de la Premier League n’a aucun effet sur le marché des transferts, mais plutôt de contester des constats souvent erronés, ainsi que des conclusions qui font la part belle à un auto-apitoiement fiscal à la mode. Car mettre les départs des joueurs pour l’étranger sur le dos des impôts, c’est oublier une multitude de facteurs tout aussi déterminants.
Difficile de reprocher à la L1 de ne pas retenir des joueurs qui reçoivent des offres de clubs mythiques. La Juve, le Bayern, ou Manchester, c’est une histoire du foot que les clubs français mettront des années à écrire, et ça n’a rien à voir avec l’argent. Il y a quelque chose de risible à s'émouvoir que Faubert n’aille "que" vers West Ham, ou que Kaboul quitte Auxerre "seulement" pour Tottenham. West Ham a deux coupes d’Europe dans l’armoire à trophées, et Tottenham, c’est huit Cups, trois League Cups, et trois coupes d’Europe – soit un meilleur palmarès que le meilleur des clubs français, sans parler du public, qui doit valoir celui de Marseille si on le fusionne avec celui de Saint-Étienne et de Lens. Tous les joueurs partis en Angleterre, sans exception, ont d’ailleurs évoqué l’ambiance des stades et le respect des supporters comme étant un élément déterminant de leur décision de traverser la Manche.
Pourtant, la presse s’émeut, comme une fiancée éconduite, et enchaîne les jérémiades en annonçant une baisse de niveau sans précédent, fait le lien avec les échecs français en coupe d’Europe, sans en chercher ailleurs les raisons (lire Peut-on gagner la coupe d’Europe en pleurnichant? et "La France gagnera-t-elle un jour la C3?", Cdf #29). Baisse de niveau? Y a-t-il vraiment de quoi se lamenter du départ de joueurs comme Mavuba à Villareal quand on constate que, des milieux de ce calibre, la L1 en produit à la pelle, et que pour un Mavuba qui s’en va, il y a chaque année un Toulalan, un Alou Diarra, un Cana, un Clément, un Keita, un Benoît Cheyrou ou un Kovacevic qui apparaît (et parfois, certes, un Edouard Cissé)? C’est l’écueil principal des argumentations développées: elles n’évaluent la qualité de la population de la L1 qu’à l’aune de son solde migratoire, sans prendre la peine de mentionner son exceptionnel taux de natalité.
Cependant, toutes concluent – plus ou moins vigoureusement – par l’importance de la formation, comme l’une des manières de résister au phénomène. Mais visiblement, ça n’est venu à personne que la formation française, si souvent louée, reposait entre autres sur les charges payées par les clubs…