Sortir des bois
Invité : When Saturday Comes – Pourquoi si peu d'anciens gardiens se voient donner une chance de devenir entraîneurs?
Nouvel épisode de notre partenariat avec When Saturday Comes avec un article extrait du numéro de mars. Titre original : Keeping Faith.
* * *
Joey Barton a peut-être eu le sentiment d'insulter Neil Warnock en le comparant au héros éponyme de la comédie Mike Bassett, England Manager [1], mais il n'existe pas de portrait-robot de l'entraîneur. Toutes sortes de spécimens ont ainsi foulé les abords des bancs de touche en Angleterre... mais seulement deux anciens gardiens de but ont exercé en Premier League. Presque deux décennies après le limogeage de Mike Walker à Everton, il est certainement temps de nous poser la question: où sont les gardiens de but entraîneurs?
Goethals et Zoff, contre-exemples
Il y a d'évidentes raisons pratiques à cette sous-représentation. D'abord, bien entendu, les gardiens sont moins nombreux que les joueurs de champ. De plus, leur carrière généralement plus longue peut compromettre la transition naturelle vers le coaching, beaucoup d'entre eux jouant encore à un âge où leurs contemporains ont déjà reçu leur première lettre de mission. Un cursus classique passe par la fonction spécialisée d'entraîneur des gardiens, étape logique qui leur permet de transposer leurs compétences, mais qui désigne aussi le nœud du problème: peut-être un gardien de but n'est-il pas qualifié pour diriger des joueurs de champ.
On dispose pourtant de nombreux exemples de réussite, le plus notable étant celui du controversé Raymond Goethals. La carrière du Belge a été ternie par des scandales de corruption aussi bien au Standard de Liège à l'Olympique de Marseille, mais ces talents d'entraîneur ne font pas de doute. Il a connu sa plus belle heure quand son équipe a triomphé du Milan en finale la Ligue des champions 1993. À l'âge très avancé de soixante-et-onze ans, il s'était permis de mystifier Fabio Capello.
La carrière de Dino Zoff sur le terrain a retardé son entrée dans celle d'entraîneur. À quarante ans, il était encore occupé à gagner la Coupe du monde1982 avec l'Italie. Son patron Enzo Bearzot a dit de lui: "Il était capable de rester calme durant les moments les plus durs comme les plus exaltants." Il eut sans aucun doute besoin de cette capacité quand, à quelques instants de remporter l'Euro 2000, il assista à une égalisation dans le temps additionnel, puis au but en or de David Trezeguet en prolongation.
L'intensité et le détachement
De nos jours, des personnalités aussi flegmatiques que le coach du LA Galaxy Bruce Arena ou le champion de Belgique Michel Preud'homme poursuivent la tradition. Ces qualités humaines ne devraient-elles pas rendre les gardiens d'autant plus éligibles au management? "Garder un but relève déjà du management, estime Peter Shilton. La plupart des gardiens ont de fortes personnalités. Vous devez encaisser les hauts et les bas. Vous devez être capable d'endosser des responsabilités."
Le gardien, comme l'entraîneur, passe son temps à observer le jeu. Les deux fonctions demandent de l'intensité et du détachement. David James écrivait dans l'Observer en 2009: "Peut-être que ce détachement est aussi un signe de notre force. Les managers n'ont pas besoin d'un vestiaire plein de copains. Ils ont besoin de prendre du recul, d'adopter un autre point de vue. Quand Eddie, le gars des stats à Portsmouth, rentre une nouvelle série de données, il sait que je suis le seul qui voudra se plonger dedans. Je m'intéresse à la science du sport et aux statistiques, aux méthodes d'entraînement et à l'analyse de match."
Le cérébral David James n'ignore rien des embuches qui se présenteront devant l'ancien-gardien-devenu-entraîneur. Si jamais il réussissait à surmonter les préjugés du conseil d'administration, il y aurait encore une bataille à livrer sur les terrains d'entraînement. Comme James le résume: "Je détesterais finir dans l'impasse d'un vestiaire avec une bande de joueurs de champ qui me regarderaient en pensant: 'Ferme-là, tu ne sais même pas de quoi tu parles, tu n'es qu'un gardien de but'."
"Le kiné devenu entraîneur"
S'il est un homme qui ne craint pas de donner tort aux sceptiques, c'est bien l'actuel patron de Southampton Nigel Adkins. L'ancien gardien de Wigan se trouvait dans les cages de Bangor City en League of Wales lorsqu'il décrocha le job d'entraîneur du club, à l'issue d'un entretien au cours duquel il fit sensation. Mais gagner deux fois le championnat gallois [2] ne constitua qu'une consécration trompeuse puisqu'il dut ensuite se rabattre sur un emploi de kiné au sein de Scunthorpe United. Où il était d'ailleurs plus que kiné: "J'exerçais aussi comme coach, assistant-manager, soigneur et occasionnellement gardien remplaçant. Je me suis impliqué de tout mon cœur à Scunthorpe, et cela m'a aidé à appréhender toutes les fonctions."
Au moment du départ de Brian Laws, la connaissance encyclopédique du club par Adkins – sans doute aidé par cette fameuse intensité du gardien – en fit l'homme parfait pour reprendre les rênes. Il conduisit Scunthorpe en Championship [3], avant de rejoindre Southampton où il accomplit la même montée.
Southampton pointant en tête du classement de Championship, Adkins a fait les gros titres, présenté comme "le kiné devenu entraîneur". Mais la plus grande surprise résiderait moins dans une nouvelle promotion du club que dans le fait que, pour la première fois en près de vingt ans, la Premier League pourrait bientôt compter dans ses rangs un gardien devenu entraîneur.
[1] Comédie satirique réalisée par Steve Barron 2001 qui raconte, sous la forme d'un faux documentaire, l'accession inopinée au poste de sélectionneur national de l'entraîneur de Norwich City. Neil Warnock, démis de ses fonctions aux Queens Park Rangers en début d'année, a été l'objet de tweets plutôt vindicatifs de la part de son ex-capitaine Joey Barton, après que le coach eut justement désigné les joueurs ayant pourri la situation en s'épanchant sur les réseaux sociaux (lire l'article du Guardian).
[2] En 1994 et 1995.
[3] Football League Championship, le second échelon national.
SI VOUS LISEZ LES CAHIERS DU FOOT ET SI VOUS ÊTES ANGLOPHONE, WHAT THE F**K ARE YOU WAITING FOR TO PRENDRE UN ABONNEMENT À WSC?