10 ans et 6 jours
En ce mois de mai, le football français se trouve contraint de célébrer simultanément l'anniversaire d'une de ses plus grandes victoires et celui de son plus grand scandale. Le malaise a persisté au travers des années…
Auteur : Jamel Attal
le 27 Mai 2003
Les articles et les dossiers n'ont pas manqué ces derniers jours pour marquer le dixième anniversaire de l'affaire VA-OM et la première victoire d'un club français en C1. Mais ce sont-ils multipliés tant que ça? Compte tenu du caractère réellement historique de la première Coupe d'Europe remportée par un club français, et de l'impact, à l'époque, du 1-0 de Munich, on pourrait plutôt s'étonner de la relative discrétion de cet anniversaire. La victoire de Yannick Noah à Roland Garros, événement comparable en importance dans le panthéon sportif français, semble avoir eu un écho plus important (un feuilleton en trois partie dans L'Équipe par exemple), alors qu'elle est plus vieille d'une décade… Penchons-nous un peu plus sur le traitement de l'affaire par la presse — en précisant bien qu'il ne s'agit pas du tout de faire son procès, mais d'aborder un "inconscient" du football français qui est aussi le nôtre. Une éternité de six jours Il faut d'abord se souvenir qu'à l'époque des faits, entre la révélation de la corruption, le soir même à Valenciennes, et la finale de la Ligue des champions, la presse avait observé un très diplomatique silence. Aujourd'hui, les approches varient, mais elles présentent un trait commun significatif: une assez nette séparation des deux événements, qui ne font pas l'objet d'articles dans les mêmes éditions et qui ne sont pas reliés très explicitement. Ainsi de France Football du vendredi 16 mai qui utilise ses rubriques de fin de numéro pour aborder l'affaire de corruption en trois pages: "Il y a…" (dix ans), "Que deviens-tu" (Jacques Glassmann) et "Gros plan" (Jean-Pierre Bernès). Cela peut sembler un peu léger de la part de la "bible" du football, d'autant que c'est un numéro entier qui sera consacré à la victoire de Munich le mardi suivant. De son côté, les rédactions de L'Equipe ont laissé le soin à L'Équipe Mag le soin de consacrer onze pages au scandale, avant que le quotidien en consacre trois à la Coupe d'Europe, ce lundi 26 mai 2003. Cette fois, un des articles, intitulé "L'OM, côté obscur", aborde l'imminence de la chute du "système Tapie", fait de "corruption, fausses factures, prêts fictifs". Les "héros" et l'anti-héros Ce qui frappe aussi dans le traitement de l'affaire VA-OM, c'est le côté "people" des articles, sur le mode "que sont-ils devenus". La simple chronique des faits de l'époque, sous forme de rappels synthétiques ou de chronologie le cède rapidement aux portraits (Bernès, Eydelie, Burruchaga, Robert, Goethals, Mellick, Montgolfier etc). C'est le cas de L'Équipe Magazine (6 pages sur 9 de rédactionnel sont consacrées aux protagonistes) et de France Football, mais aussi du Monde qui s'est distingué en interrogeant Eric de Montgolfier. Cette approche dispose d'un personnage central avec Jacques Glassmann, dont la parution du livre ("Foot et moi la paix") a servi d'angle tout trouvé, voire de figure imposée. L'Équipe Mag en a publié les "bonnes feuilles", Libération, France football l'ont interviewé. Mais l'ex-Valenciennois a résolument pris le contre-pied des clichés dont on l'a affublé depuis 1993, assumant totalement son attitude de l'époque et le fait qu'il a été le déclencheur unique de l'affaire, tout en refusant totalement d'enfiler le costume de la victime expiatoire. Un absent de marque Pourtant, s'il est un personnage au cœur même des deux événement, c'est plus Bernard Tapie que le défenseur nordiste. Il n'a évidemment pas été ignoré, mais la place mineure qu'il occupe dans la commémoration est paradoxale, et témoigne d'abord du discrédit qui l'a finalement frappé. Son importance dans les succès sportifs de "son" OM est ainsi minimisée, à commencer par la fameuse finale. Dans L'Équipe, Raymond Goethals affirme "c'est moi qui l'ai gagnée" et, comme il l'a déjà fait à maintes reprises, rétablit son entière responsabilité tactique aux dépens de celle de son président de l'époque. Comme l'écrit très justement Vincent Duluc ans le quotidien sportif, "le président marseillais avait tout fait pour que l'on imagine que le jeu était également son domaine et pour diminuer publiquement l'influence de ses entraîneurs. Il avait tout fait pour que l'on imagine que la réussite était la sienne, plus que celle d'un projet de jeu". France Football compose sa commémoration autour de 14 acteurs, mais Tapie est absent du casting… Mais cette faible exposition de l'ex-président des années de feu résulte-t-elle seulement de la réévaluation à la baisse de son importance "sportive", ou bien d'un certain embarras et d'une volonté plus ou moins consciente d'occulter une grande partie de son œuvre? (1) La part d'ombre En définitive, dix ans après, les deux matches, Valenciennes-Marseille et Milan-Marseille se parasitent, se téléscopent... mais ne se rencontrent toujours pas. La gêne manifeste et le manque d'entrain dans la médiatisation de ce double anniversaire en témoignent, les flamboyantes années Tapie et son apothéose munichoise restent voilées par "l'avant-dernier acte" que fut l'affaire VA-OM. Mais inversement, l'apothéose munichoise interdit de jeter une lumière trop désenchanteresse sur les années Tapie… Pour revenir à ces six jours qui séparent les deux rencontres, on peut au moins admettre que la première ne fut pas sans incidence sur la seconde. Au-delà, en l'absence de preuve (mais avec une foule de présomptions), chacun se fera sa propre idée du caractère exceptionnel ou non de la corruption à la mode valenciennoise au cours de l'ère Tapie. Mais quoi qu'il en soit, tout le monde — et pas seulement les moins objectifs des supporters phocéens — reste embarrassé pour se pencher sans complaisance sur le "système" et les années Tapie. Car ouvrir cette boîte de Pandore, c'est s'engager sur trois points essentiels qui ont justement été ignorés par cette commémoration light: le lien entre l'affaire VA-OM et la finale du Stade Olympique, les pratiques de l'ère Tapie et, évidemment, le rôle de la presse avant et pendant les événements. D'où un consensus tacite pour rester en surface et ne pas enquêter en profondeur. On peut le regretter, mais surtout pas s'en étonner. Au moins les progrès sont-ils réels depuis quelques années. L'un des tout premiers articles des Cahiers, daté de décembre 1997 et que nous venons tout juste d'archiver, déplorait l'occultation totale par certains médias sportifs de la face sombre de l'histoire de l'OM (L'OM et son passé, amnésie et amnistie). "Quand la légende est plus belle que la vérité, imprimez la légende", faisait dire John Ford à James Stewart dans L'Homme qui tua Liberty Valance. Le football est infiniment plus à l'aise dans la légende que dans la vérité, et il ressemble parfois à un western… (1) L'erreur majeure de Tapie a été de croire, dans la pure logique populiste et démagogique qui fut constamment la sienne à Marseille et ailleurs, que l'obtention de la Coupe d'Europe lui vaudrait une totale immunité. Autre expert en cynisme, François Mitterrand n'hésitera d'ailleurs pas à lui apporter son soutien en pleine instruction, au cours de l'été du "feuilleton". Sanctifié par une victoire derrière laquelle le football français courait en vain depuis plusieurs décennies, il a cru pouvoir tout se permettre, comme en témoignent la grotesque tentative de subornation de Boro Primorac et son non moins périlleux arrangement avec Jacques Mellick, qui ont précipité sa chute. Tapie n'a pas tout perdu cependant, car aux yeux de beaucoup, peu regardants sur les moyens, il reste celui par qui la gloire est arrivée. Pour ceux-là, il fut évidemment la victime d'un complot, la théorie de la conspiration n'ayant pas été le moindre des arguments du président pour se défausser de ses responsabilités et servir ses propres intérêts. Et même si son retour raté en 2001 a renforcé sa déconsidération, il conserve une partie de son aura.