Carte de stress
Quand un journaliste sportif lance un appel de détresse pour sa profession, c\'est nous qui le recevons... mais lui qui donne le score du match entre football et information.
Un jour, un jour proche même devrais-je écrire, on jettera des pierres à mes enfants quand ils diront à leurs camarades que leur père est journaliste sportif. C'est aussi inéluctable qu'un pointu de Pippo Inzaghi, aussi limpide qu'un coup franc d'Alex, aussi sûr qu’une sortie aérienne de Damien Grégorini. Régulièrement tancée – à juste titre – sur ces pages, bien souvent négligée par les sportifs eux-mêmes, traditionnellement moquée par l'élite de la profession et de plus en plus souvent méprisée par le lecteur/auditeur/téléspectateur, la corporation est devenue, en quelques années, le souffre-douleur de ceux qui la font vivre.
Difficile de croire, aujourd'hui, quand vous vous rendez dans la fameuse "zone mixte" ou aux très réglementés "points presse" qu'il y a quelques années encore, les journalistes qui suivaient une équipe voyageaient avec elle, logeaient même souvent dans l'hôtel des joueurs lors de lointains déplacements. Cette glorieuse époque où les raconteurs côtoyaient de près (de trop près?) les racontés est désormais révolue. Impossible aujourd'hui d'appeler un joueur sur son portable sans l'avoir fait prévenir par l'attaché de presse du club ou par son agent. Impensable même d'oser le contacter par surprise à l'heure où le discours footballistique est si aseptisé, où la communication est autant surveillée. Bien sûr quelques poches de résistance subsistent, vestiges d'une époque révolue, mais c'est rarement pour le meilleur (Ménès et Arsenal, Bielderman et Manchester, etc.).
La faute aux joueurs ?
Plus susceptibles, plus lunatiques, enfants gâtés diront certains... les footballeurs d'aujourd'hui sont aussi, pour la plupart, plus instruits que leurs aînés. Ou, en tous cas, mieux préparés à la vie médiatique ce qui - en l'espèce - relève bien d'une forme d'instruction si l'on considère que l'apprentissage consiste à nous préparer à gérer au mieux les aléas de notre vie professionnelle. Et il faut reconnaître que l'image que les joueurs renvoient en dehors des terrains est devenue presque aussi importante que leurs performances sur la pelouse. Leurs revenus eux-mêmes ne dépendent plus uniquement de leur activité principale, mais proviennent aussi de plus en plus de la gestion de cette image. On comprend donc que celle-ci mérite un lustre permanent et une attention de tous les jours.
Dans cette optique, plus de place à l'improvisation, tout est encadré, régi, planifié. La parole est distribuée au compte-gouttes, sous surveillance. Et finalement, le seul moment de liberté subsistant est la "pastille" mi-temps ou fin de match, orchestrée en télé par les si talentueux Laurent Paganelli ou Daniel Lauclair. Un espace que les joueurs peuvent aussi refuser ou plus simplement remplir de poncifs sur l’équipe qui est bien en place, sur les consignes respectées ou sur l'importance capitale des trois points. À la ligne... Information: 0 - Football: 1.
Le journaliste confident est une espèce en voie de disparition. Tant mieux, s'en réjouiront certains, les médias ne sont pas là pour caresser dans le sens du poil une petit groupe de privilégiés. On peut néanmoins regretter l'époque des interviews fleuves où l'on apprenait réellement quelque chose parce que le joueur était en confiance avec le journaliste. Aujourd'hui, cette confiance n'existe plus tellement ou elle est éphémère: on dément le lendemain ce que l'on a déclaré la veille. Prenons l’exemple d’un joueur au presque hasard: Nicolas Anelka. Le secret, le taiseux, le rebelle, le mutin. On en apprend plus sur lui dans les cinq minutes d’interview qu’il donne à Mélissa Theuriau (l'épouse de son ami d'enfance, faut-il le préciser) dans le documentaire L’entrée des Trappistes, qu’en empilant les kilomètres de papiers et de reportages que le personnage a suscité. Et finalement, que nous dit Anelka, ou que dit-il à Mélissa Theuriau pour être plus exact? Qu’il n’a pas confiance, qu’il se sent utilisé par les médias et jeté en pâture au bon peuple avide de croustillant. Il a compris: pour toujours le rôle du méchant sera pour lui. Donc, les journalistes sont des méchants. Normal.
La faute aux clubs ?
Le club. Cette étrange entité. Ce blob, cette association sportive devenue entreprise. Et qui dit entreprise dit marketing, publicité. Comment faire parler de soi, tous les jours, et en bien si possible? Et surtout comment maîtriser ce qui se dit? D’abord en verrouillant la parole. Responsable communication, attaché de presse, relations presse… les clubs sont tous dotés d’une ou plusieurs interfaces. Ensuite en créant des canaux internes: site Internet, chaine, radio officielle… Et en veillant à l’alimenter soi-même et à se réserver la primeur d’une information toujours lisse, propre sur elle. Et si des journalistes outrepassent leur rôle, débordent le temps qui leur est imparti, s’aventurent sur des terrains non-balisés en amont: punir, fermer la source.
C’est courant, et ça ne choque plus personne. On peut même penser que certains se réjouissent des malheurs de leurs petits confrères devenus pour un temps personae-non-gratae. Être bien vu par celui qui distribue les bons points, comme à l’école élémentaire. Ne pas poser la question qui dérange et surtout, surtout, ne pas dire que l’équipe joue mal, qu’elle gagne ou qu’elle perde. En résumé: être un supporter bien obéissant. Et attendre – sagement – sa récompense: son image, son sucre, ou son interview exclusive. Information: 0 – Football: 2.
Et pourtant, sans médias, plus de foot professionnel. Sans histoires à raconter, moins de monde dans les stades. Sans proximité avec le public, plus de produits dérivés? Alors, rassurez-vous, la punition ne dure pas bien longtemps. On fait amende honorable, on met de l’eau dans son jus de raisin, et ça repart. Il faut bien travailler.
La faute aux journalistes ?
Les journalistes ont-ils creusé leur propre tombe? On peut être tenté de le penser tant ils ont multiplié les bavures. Une multiplication proportionnelle à la spectaculaire croissance du nombre de médias consacrés au sport en général et au football en particulier. Avec l'émergence d'Internet et la vague de footixation de la France suite aux succès de 98 et 2000, l'information du ballon rond a pris une ampleur déraisonnable, proportionnelle à la starification de ces messieurs en shorts. Ceux qui attendaient avec impatience les images de Téléfoot, dans les années 80, ont vu leur émission fétiche devenir, au fil des ans, le digestif des agapes footballistiques. Quand arrive le dimanche midi, on a déjà tout vu, tout entendu, tout lu sur les matches qui se sont déroulés la veille, en France et à l'étranger.
Cette profusion a, bien entendu, entraîné une course au scoop bien malheureuse pour la qualité de l'information. On privilégie la quantité, l'exclusivité, il faut faire le "buzz", quitte à se déjuger dès le lendemain. Combien de fois ai-je parlé avec des confrères qui m'avouaient avoir "sorti" une info, sur la base de rumeurs non-vérifiées, sur un supposé "tuyau" d'agent, uniquement pour le plaisir de leur direction qui leur réclame un quota d'infos maisons. Les exemples sont légion: le licenciement de Claude Puel en cours de saison à Lyon, la très régulière vente de l’OM, ou plus récemment l’arrivée moultes fois annoncée et confirmée de Beckham au PSG. Le club, le joueur démentent… non, le journaliste sait, ou plutôt dit. Objectif: avoir la primeur. Récompense: être repris et cité par les concurrents. Peu importe s'il faut déclarer ou écrire le contraire le lendemain. À l'arrivée, cela fait deux infos pour le prix de zéro. Information: 0 - Football: 3.
Symbolique de cet emballement déraisonné : la période des transferts où l'on nous annonce tout et n'importe quoi uniquement pour pouvoir se gargariser d'avoir été les premiers à l’annoncer. Si demain, Tevez signe à l'AS Nancy-Lorraine, vous saurez que la première fois que vous l'avez lu, c'était ici. Et si finalement, et contre toute attente, il préfère le PSG, Milan ou Boca Juniors, peu importe, vous aurez oublié mon scoop déjà recouvert par un autre et un autre, et un autre.
Rassurez-vous, il reste encore des journalistes qui aiment le football et qui aiment l'information. Pour tout dire, il me semble même qu'il n'y a que ça. Il reste aussi des joueurs qui aiment le jeu, si si j’en ai vu de mes yeux. Et des joueurs qui aiment parler du jeu. Peut-on dire la même chose des présidents de clubs? Des directeurs de journaux, de radios, de sites web ou de chaines de télé? Pas sûr...
À l’heure ou chaque club dispose de son site web, de sa radio ou de sa chaîne télé, on est en droit de craindre la disparition totale de l’information "libre". Bien sûr, il ne s’agit que de football, rien de grave. Bien sûr il ne s’agit que d’écouter des joueurs et des entraîneurs nous dire que "À partir de là… bon… le groupe vit bieng", rien de palpitant. Et bien sûr il ne s’agit que de mon petit avis, rien d’important.