Comment Doyen Sports joue à cash-cash
Le fonds d’investissement au cœur de la bataille du TPO, qui a ses entrées à l’OM, est un modèle d’opacité: montage de douze sociétés, prête-noms, sociétés écrans… Enquête sur ce brouillage de pistes à l’aide des documents révélés par Football Leaks.
Depuis cet été, Doyen Sports n’a cessé de faire l’actualité: bataille juridique à propos du TPO, transfert d'Imbula à Porto, entrée retardée d’actionnaires dans le capital de l'AC Milan, arrivée de Míchel et mercato à l’OM, sanctions contre le FC Twente.... Mais on ne sait, de fait, pas grand-chose de cette société qui se cache derrière l’activisme de son directeur général, Nelio Lucas.
Doyen, une nébuleuse obscure
Football Leaks, le site qui distille depuis l’automne des masses de documents confidentiels sur le monde du football (lire aussi l'interview de ses créateurs), permet aujourd’hui d’en savoir plus sur Doyen Sports [1], même si les zones d’ombre restent nombreuses. Doyen Sports Investments Limited a été créé le 30 mai 2011 à Malte. Avec quel financement?
Dès l’origine, on constate le système de poupées russes:
• un accord de prêt renouvelable de 100 millions d'euros, sur sept ans, est passé en juillet entre Refik Arif, au nom de Doyen Capital LLP, et Benington Group Assets, dont l'actionnaire unique est Malik Ali... également lui-même directeur de Doyen Capital LLP (aux côtés, donc, de Refik Arif).
• Benington Group Assets détient 80% des parts de Doyen Sports Investments Limited, qui a quatre actionnaires: Malik Ali, Claudio Tonolla, Nelio Lucas et Ali Lüftü Ethem Kadirgan.
En résumé, Doyen Capital LLP est à l’origine du financement de Doyen Sports.
Est-ce la maison-mère du groupe Doyen? Le groupe est pour le moins avare en communication, et le mystère demeure sur la holding Doyen Group. Avant la publication des documents Football Leaks, trois actionnaires ont été cités: Fettah Tamince (milliardaire turc lié à Recep Tayyip Erdogan, le président de la Turquie), Tevfik Arif (milliardaire kazakho-turc en relation d’affaires avec Donald Trump) et Erick Thorir (milliardaire indonésien propriétaire de l’Inter Milan).
Une capacité d'investissement de cinq à six milliards
Si l’hypothèse de ces trois actionnaires n’est pas à écarter, la famille Arif semble constituer le noyau dur de Doyen Group, avec le père, Tevfik, et trois de ses fils:
- Refik (Doyen Capital LLP et Doyen Global Limited)
- Efendi (Doyen Capital Services Limited)
- Kemal (à Doyen Capital de 2011 à 2013).
La capacité de financement des frères Arif est très grande dans une holding, Ravana, basée à Curaçao, qui regroupe des sociétés opérationnelles dans l’exploitation du chrome, du charbon et du pétrole, ainsi que dans le conseil et les investissements financiers.
En 2014, Nelio Lucas affirmait: "Le groupe est basé sur plusieurs familles, avec une grande capacité d’investissements en milliards.” Une capacité d’investissement estimée à cinq ou six milliards. Doyen Capital LLP, basé à Londres, en capte l’essentiel: minerai, charbon, pétrole, transports maritimes, immobilier, conseils et investissements financiers.
Avec 170 millions d'euros d’investissement dans le foot depuis 2011, Doyen Sports et ses sociétés satellites ne représentent qu’un pourcentage infime du groupe. Sa structure est d’une complexité folle, manifestement destinée à des circuits financiers opaques, à des bénéficiaires cachés et à rester à distance des autorités de contrôle. Où l'on revient à l'origine de la création de Doyen Sports, à Malte, une implantation stratégique: les résidents de l'île peuvent en effet ne pas être imposés sur des revenus de sociétés étrangères non rapatriés.
Une hydre à douze têtes
Claudio Tonolla est ainsi résident à Malte, et il est au cœur du système Doyen, en tant qu’actionnaire, directeur, associé ou conseiller selon les cas. De nationalité suisse, il est au départ spécialiste en gestion de portefeuille et patrimoine. Il est, en fait, beaucoup plus que cela. C’est lui qui a ficelé le montage particulièrement complexe de Doyen Sports, une entité qui comprend douze sociétés. Un montage qui commence par le "pont" entre Doyen Capital LLP et Doyen Sports Investments Limited, par lequel circule l’approvisionnement financier de la division sportive. On l'a dit, Doyen Sports est détenu à 80% par Benington Group Assets (80%). Les 20% restants sont détenus par Wood, Gibbins&Partners. Claudio Tonolla est actionnaire des deux sociétés, en tant que représentant de Credence Holdings pour la seconde...
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Credence Holdings distille ses conseils à une dizaine de sociétés à Malte, en Suisse et à Panama. L'entreprise appartient à un groupe qui fait office de conseil dans l’investissement financier, les activités maritimes et les jeux en ligne (paris sportifs inclus), dont Malte est une des places fortes. Le montage complexe permettant de financer Doyen Sports est clairement établi (prêts à versements mensuels) afin de produire des intérêts et commissions, y compris pour les banques partenaires.
Un mode opératoire démultiplié avec les sociétés associées, en particulier celles de Nelio Lucas, le directeur général de Doyen Sports, et Mariano Aguilar – agent, entre autres, de Míchel, l’entraîneur de l’OM. Les deux hommes sont ainsi actionnaires d' Assets 4 Sports SL, société basée à Madrid, et Vela Management, basée à Malte. Les deux masqués derrière Contineo Limited (Credence Holdings, donc Tonolla) pour Aguilar, et de nouveau Credence Holdings (donc Tonolla) pour Lucas.
Nelio Lucas, au cœur du réseau
Ces deux sociétés sont liées à Doyen Sports par le même contrat. En échange de l’apport de joueurs dans le portefeuille Doyen Sports, elles perçoivent annuellement un pourcentage progressif selon le nombre de joueurs, avec un minimum garanti de 900.000 euros. Nelio Lucas, en tant qu’actionnaire de Doyen Sports, Assets 4 Sports SL et Vela Management, est à la fois donneur d’ordres et prestataire, un motif sérieux de conflit d’intérêts. Vela Management (via Nelio Lucas) apparait ainsi en tant qu’agent dans les comptes du FC Porto au 30 juin. Contineo Limited est signataire (via Mariano Aguilar et Claudio Tonolla) du contrat de transfert de Roberto de l’Atlético Madrid à Olympiakos début 2014.
Nelio Lucas dispose d’une grande marge d’autonomie à Doyen Sports, très vraisemblablement négociée en raison d'un carnet d’adresses qu’il valorise à l’envi. Dans un projet de contrat (Project Imbula) destiné à être signé par lui, on lit: "Dispose d’une extraordinaire expérience dans la valorisation de joueurs", "a tissé un réseau mondial de collaborateurs et agents au professionnalisme reconnu".
Actionnaire de Doyen Sports, Wood Gibbins&Partners LTD, Credence Holdings, Vela Management et Assets 4 Sports SL, Nelio Lucas dispose de deux autres casquettes dans le groupe Doyen:
- la première en tant que "conseiller exclusif pour de nombreux marchés, plus particulièrement anglais". Une sobre définition qui recouvre 30.000 euros d’honoraires mensuels versés à une société londonienne, Principal Sports, avec Nelio Lucas en tant qu’actionnaire unique [2].
- la seconde nous emmène à Panama, où Nelio Lucas est actionnaire de Doyen Natural Resources, une société de trading. Dans un groupe qui pratique le secret, on peut tout imaginer. Est-il actionnaire en nom propre? En prête-nom? Afin de bénéficier et de faire bénéficier du statut de Panama, qui figure sur la liste noire des paradis fiscaux établie par l’Europe en juin 2015?
Structure tentaculaire et profits offshores
Déjà confuse, la liste des sociétés estampillées Doyen Sports n’est pas complète. Il faut y ajouter Denos Limited, basée à Dubaï, rémunérée à hauteur de 10% sur le solde positif des transferts de Falcao, Kondogbia et Miguel de Las Cuevas. Denos Limited a également été rémunéré, en juillet 2014, à hauteur d’1,5 million d'euros pour un mandat de recherche de joueur par le FC Porto concernant Yacine Brahimi.
Restent encore trois sociétés de l’univers Doyen:
- Doyen Sports Investments 2 Limited, créée en décembre 2013 à Malte
- Doyen Marketing (Malte), détenue à 80% par Doyen Sports
- Doyen Global Ltd (Londres)
On retrouve des figures récurrentes. Simon Oliveira et Matthew Kay sont ainsi actionnaires de Doyen Marketing et Doyen Global. Oliveira gère les droits d’images de Neymar et Beckham, Kay les activités publicitaires de Ronaldo et Mourinho. Les deux hommes sont également directeurs de Squawka Limited (Doyen Marketing Ltd étant actionnaire), un site qui évalue statistiquement les joueurs. Ce qui boucle parfaitement le paysage Doyen Sports.
Un univers opaque, un montage complexe, une machine à produire des intérêts, des commissions, qui font cracher au bassinet sans vergogne le monde du foot en spéculant sur les joueurs. Une structure tentaculaire qui lubrifie la circulation de ses profits par des transferts de fonds incessants dans des paradis fiscaux. Un monde qui pratique allègrement le mélange des genres. À Malte,des accointances avec les sociétés de paris sportifs en ligne. À Londres dans une société qui évalue les joueurs, y compris ceux dont Doyen Sports détient un pourcentage. Un effarant et cynique jeu de cash cash.
[1] Lire en particulier le dossier en trois parties: "Doyen Sports Offshore Scheme: 2011 –"
[2] À noter qu'au Brésil, Doyen Sports est représenté par Renato Duprat. Il a été impliqué en 2005 dans la gigantesque carambouille de blanchiment entre MSI (un fonds d’investissement londonien), les Corinthians de Sao Paulo et West Ham, avec dans le paysage Pini Zahavi, agent sulfureux et l’employeur de Nelio Lucas de 2002 à 2011.