Dix nuances de souffrance postéliminatoire
Une élimination, c'est la décuple peine. Combien de ces douleurs avez-vous éprouvées? Les Cahiers vous accompagnent dans le processus de deuil.
L'incrédulité
Ce n'est pas possible, tout simplement. 3-1 à la 80e minute. Quelque mage noir nous a expédiés dans le seul univers parallèle où la Suisse emporte ce match qu'elle perd neuf fois sur dix. La preuve: on la gagne à chaque fois qu'on le rejoue dans nos têtes. Où est ce foutu portail quantique?
La colère
Comment peut-on laisser filer cette rencontre, se suicider après avoir ressuscité, s'incliner contre la Suisse (la Suisse!). Comme peut-on aligner cette composition, perdre ce ballon, rater cette occasion? Des coupables, on veut des coupables – lisons L'Équipe et allons sur Twitter.
La boucle spatio-temporelle
Et nous revoilà à la 75e minute, après le chef-d'œuvre de Pogba. Le sentiment de plénitude revient, intact, avec l'assurance hilare de l'emporter. On s'y croirait, une vraie téléportation. On refait le match, indéfiniment, toujours avec la victoire au bout. On s'offre même des variantes: Mbappé croise sa frappe du gauche dans le petit filet (110e). Et puis on se réveille, et on repart.
La jalousie
Voir des Anglais baigner dans l'euphorie et la bière parce qu'ils ont sorti l'Allemagne, ça pourrait faire plaisir pour eux si ce n'était pas des Anglais. Et encore, attendons qu'ils remportent le titre. Ou l'Espagne, ou la Belgique, ou l'Italie, ou… Allez, prions ensemble pour le Danemark.
Le seum
Nous y voilà, on n'y coupe pas, on ne vaut pas mieux que ceux dont on se moquait. C'est pas juste, on avait trois jours de récup en moins et Sommer avait un pied décollé de la ligne. Bon, en vérité, l'autodénigrement est bien plus fort que le seum au sein de notre peuple qui, à tout prendre, préfère se flageller plutôt que rejeter la faute sur les autres.
La mélancolie
Le spleen d'aujourd'hui bat le rappel de nos spleens d'hier. Tout comme une grande victoire nous ramène aux grandes victoires du passé, une amère défaite ravive celles que nous avons déjà vécues, tout aussi inoubliables. On quitte la constellation 1984-1998-2000-2018 pour l'autre nébuleuse. De nouveau, on souffre de la finale de 2016.
La nausée
C'était une raison de ne pas perdre. Pas la principale, pas la moindre non plus. Procès à charge, déballages et élucubrations: mauvais sont les jours qui suivent un échec. C'est aussi l'heure où s'épanchent les revanchards, qui perdaient quand cette équipe de France gagnait, et à qui sa défaite donne raison.
Le manque
Comment la compétition peut-elle continuer sans nous? C'est obscène, c'est d'une cruauté sans fond, le tournoi devrait être annulé, déprogrammé par les diffuseurs français. À chaque allusion furtive à la compétition, revient ce réflexe de croire – une fraction de seconde – que nous y sommes encore.
L'abattement
Cette fois, c'est fini, on a compris, on a ingéré la potion à défaut de l'avoir digérée. On fait les comptes, on mesure la désillusion, on classe ce gâchis dans un palmarès. Et, par crises, on repasse par tous les stades précédents, en sachant bien qu'on ne s'en remettra jamais vraiment.
L'espoir
Oui, l'espoir est encore une douleur à cette heure, il est trop mince. Face contre terre au fond du trou, on ne voit pas la lumière. On ne croit pas en l'avenir, on n'a pas encore goût aux prochaines illusions. Qu'est-ce qu'on a à foutre de la Ligue des nations en octobre, franchement?