Dream Team, nightmare football
Il se tient sur l'estrade le Zizou, raide dans son costume, emprunté, au milieu du cirque "Zidane en el Real", un peu otage de cette transaction à 500 millions de francs qui le place en tête de ce palmarès obscène des plus gros transferts de l'histoire, alors qu'il voulait juste jouer à Madrid. Un top 10 (dans lequel Nicolas Anelka n'est plus que 10e) que l'on pourra bientôt graver tel quel dans le marbre, puisque la réforme du système des transferts devrait mettre un terme à l'escalade (FIFA : un congrès historique?). Sans fleurs ni couronnes, parce qu'un demi-milliard de francs pour un joueur de football, ça n'a plus grand chose à voir avec le football.
Le syndrome d'Hollywood
Ce n'est évidemment pas la première fois qu'un club européen compose, avec des moyens financiers hors norme, une équipe de rêve réunissant une fraction significative des plus grands noms de l'élite mondiale. Il suffirait de remonter au Real de la fin des années 50, ou encore au Milan AC des années 88/94 pour trouver d'autres exemples. Mais la symbolique d'une réunion des deux meilleurs joueurs mondiaux (toutes élections confondues) n'a pas le même sens en notre époque, et donne l'impression qu'une étape supplémentaire a été franchie.
Les sports américains représentent pour beaucoup d'entre nous un repoussoir, ou le contre-modèle des sports européens, mais on remarque qu'outre-Atlantique des dispositifs existent pour réguler le marché des joueurs : salary cap pour plafonner les masses salariales et draft pour répartir les meilleurs jeunes en favorisant les clubs les moins bien classés. Rien de tel dans un football européen qui laisse des dirigeants comme Florentino Pérez s'octroyer des marges de manœuvre que les autres n'ont pas.
Irreal de Madrid
Le Real semble d'ailleurs condamné à ce genre de fuite en avant, dans un exercice d'équilibriste qui consiste à échapper aux échéances d'un déficit chronique. Le débat est ancien, particulièrement sur les Cahiers du foot, concernant ce régime d'exception. Les rumeurs d'un coup d'éponge royal passé sur les dettes abyssales du club ont beaucoup fait parler, sans être confirmées. Par contre, la revente du centre d'entraînement, pour quatre milliards de francs, à la ville de Madrid est bien réelle et a suffi à rétablir l'équilibre apparent des comptes, apportant de l'eau au moulin de ceux qui assuraient que le patrimoine du Real était une caution suffisante. Mais au rythme des dépenses madrilènes, les deux milliards de francs de solde positif ne constituent pas une réserve de très longue durée… Le jour où le Real vendra Santiago Bernabeu, les supporters pourront s'inquiéter.
Un contrat mystérieux
En attendant, des points importants sont restés dans l'ombre du montant spectaculaire de la transaction. On sait que le transfert de Figo l'été dernier impliquait la cession par le joueur de ses droits d'images au profit du club madrilène, en contrepartie d'une rémunération globale qui bat aussi des records. Si le départ de Zidane vers le Real avait avorté dans le passé, ce n'était pas seulement en raison de désaccords entre les clubs, mais aussi à cause du refus du joueur de céder l'exploitation de ces droits. Quelles dispositions ont a été trouvées, sachant que Pérez prône presque exclusivement ce type d'arrangement ? Et quel fut le rôle d'Adidas dans les négociations entre les deux parties, fleurons de la vitrine publicitaire de l'équipementier ?
L'excès de stars nuit-il au jeu ?
L'antithèse du Real ce n'est pas Sedan, mais plutôt Manchester United, qui dans la transparence financière gère la continuité d'une équipe en donnant la primauté aux critères sportifs. Si l'intérêt sportif du football européen en général n'est pas prouvé dans cette opération, celui du Real ne l'est pas non plus. Car au-delà du marketing, y a-t-il un réel intérêt à aligner sur le terrain un tel duo? Deux talents comme ceux-ci s'additionnent-ils, ou risquent-ils de se marcher sur les pieds? Même si le caractère des deux hommes incite à penser qu'il n'y aura pas entre eux de conflits d'ego, il aurait semblé nettement plus logique (et efficace) d'adjoindre à Figo, plutôt qu'un autre meneur de jeu, un attaquant hors norme comme Batistuta. L'opportunité de faire venir Zidane relève de considérations assez étrangères au jeu, et le "choix du président" a pris le pas sur celui de l'entraîneur, extraordinairement muet dans l'histoire. Y a-t-il un projet de jeu dans ce transfert, ou Del Bosque est-il chargé d'improviser avec ses All-stars?
Le véritable bilan de ce transfert sera fait dès la fin de saison prochaine, sachant que la pression sur cette équipe sera énorme, et que ses résultats seront guettés avec jalousie.
Ce choix appartient pour partie à Zidane lui-même, et il faut bien le respecter, spectateurs que nous sommes. Pour positiver, disons qu'il y a des raisons de penser que la Liga et le Real lui offriront des conditions plus favorables à l'expression que le Calcio et une Juve qui ne s'est pas toujours mise à son service. Dommage pour Thuram et Trezeguet. L'autre truc sympa, ce sont les montages de ses plus belles actions qui défilent à la télé en ce moment.
