Était-ce une "connerie" d'arrêter les compétitions en France ?
Minichro – On peut défendre la reprise des championnats sans se mentir sur ses motivations, ni conclure que la non-reprise était un mauvais choix.
La minichronique pose une question, elle n'y répond pas toujours et, à la fin, elle en pose une autre.
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Peu de choses ont été aussi certaines, ces dernières semaines, que le débat sur la non-reprise des compétitions qui nous attendait en bas de la courbe des contaminations. L'Équipe de vendredi pose la question: "Comme des cons?". Clairement la meilleure une avec gros mot de son histoire.
Ce sont les termes de la thèse de Jean-Michel Aulas: "On est vraiment trop cons". Les propos traduisent une indignation assez générale, dont l'éditorial du quotidien prend le parti et qui a de puissants porte-voix dans les médias.
Le redémarrage des quatre grands championnats européens donne en effet une vigueur nouvelle aux partisans de la reprise. La décision – dont la LFP et le gouvernement se renvoient la paternité – est sévèrement critiquée, sa révocation encore demandée.
Il faut cependant se méfier du french french bashing. On condamne l'idée de faire "exception" (française), on se lamente du "retard" (français), on loue le "modèle" (étranger), on accable notre pas-pays-de-football. Le sport n'aurait "pas été défendu" par les politiques [1].
Au lieu de postuler (et de conclure) que la France a fait le mauvais choix, rappelons d'abord que c'était un choix, et qu'il n'y en avait pas de bon. Ici, celui d'un principe de précaution en regard des incertitudes et des risques sanitaires – assorti d'aides publiques: prêt garanti par l'État, chômage partiel.
On a tort de voir dans la reprise des championnats voisins la preuve de notre erreur. D'abord parce que la messe n'est pas dite (on en jugera dans quelques mois), ensuite parce qu'il s'agit simplement d'un autre choix.
On aura tort, aussi, de voir dans la suite des événements une validation du redémarrage: le principe de précaution n'est pas invalidé quand le risque s'avère finalement moindre qu'on ne l'avait craint. Comme une assurance, on le paye même quand on n'a pas de pépin.
Ceux qui estiment que la décision a été trop précoce, qu'il fallait attendre de voir, sont en réalité partisans de la reprise. Ceux qui approuvent la décision ne voient aucune raison de l'avoir retardée ni de rouvrir le dossier – et arguent de la possibilité de mieux préparer la saison suivante.
Décantés, les arguments pro-reprise se résument en deux points. Il faut redonner de la "joie" aux fans (satisfaire leur addiction?) et le moral au pays ; il faut sauver l'économie du football. Allons, il s'agit surtout de sauver l'économie du football, et il faudrait l'assumer [2]. L'arrêt général des compétitions féminines, hormis en Allemagne, est assez parlant à cet égard.
Un football aux stades clos et aux ambiances artificielles se soucie fort peu des fans, sinon en tant que consommateurs. Les "protocoles" sanitaires oscillent entre l'ubuesque et l'hypocrite, les risques pris avec la santé des joueurs sont réels. Dans ces pays, le football bénéficie d'une exception politique.
Le débat gagnerait à être éclairci. Aucune des deux options n'est injustifiable, mais on ne devrait pas les justifier avec des arguments hypocrites. La question reste: "Fallait-il faire une exception pour sauver l'économie du football en prenant des risques sanitaires?"
[1] La surcharge des calendriers, la gouvernance déplorable des clubs et de la Ligue, comme d'autres problèmes mis en lumière par la crise, sont laissés de côté.
[2] Amusons-nous du fait que l'égérie libérale Emmanuelle Ducros, dans L'Opinion, ne se trompe pas de parti.