Chroniques bielsiennes : Critiques et tensions
Épisode 1 – Entraîneur du LOSC depuis le début de la saison, l'Argentin n'a pour l'instant pas les résultats escomptés et les voyants, à l'orange, sont passés au rouge à l'issue d'une drôle de conférence de presse. Bienvenue à Lille, où El Loco interroge plus qu'il ne séduit.
Cela faisait longtemps. Tandis que l'OL tentait une communication hasardeuse sur les réseaux sociaux, faite de glorification d'une défaite et de remise en cause de l'arbitrage, Marcelo Bielsa est revenu sur le devant de la scène. Une heure de questions-réponses face à la presse où, d'abord cordial même si empreint de la traditionnelle méfiance de l'Argentin envers les journalistes, le ton est vite monté. Adieu les regards tournés vers le pupitre, place à ceux droits dans les yeux. Le genre à transformer les critiques en menace. La dernière chose à faire pour s'attirer les faveurs d'une profession qui, malgré les défiances du public, aide à façonner l'opinion.
Deux types de questions, deux types de réponses
Marcelo Bielsa est un homme paradoxal. Lui le cérébral qui aime le football pour le jeu tombe dans la plupart des pièges. Quand on l'interroge sur des aspects hors terrain qu'il pourrait, comme tous ses collègues, esquiver en quelques mots, il discute le fondement de la question. Autopsie le métier des gens en face de lui, la recherche d'un angle avant chaque match et la difficulté de vendre si celui-ci n'est pas assez bon. Puis, jouant le jeu qu'il dénonce, donne à ceux qui le souhaitent la petite phrase qui fera le buzz. Avec un mépris beaucoup trop développé et éloquent pour que la joute s'arrête là.
Qu'il ait raison ou non – voir l'intégralité de la conférence aide à comprendre la situation –, la transformation façon Walter White détonne et secoue. Après tout, la salle de presse utilisée pour les points presse d'avant-match est souvent le lieu de toutes les banalités sur l'importance de gagner, une pièce où chacun joue son rôle et personne n'est dupe. Ici ne se dit généralement pas grand-chose d'important.
"Votre compagnie est méprisable, je fais ça pour vous démasquer face au public" ???? L'énorme coup de gueule de Bielsa face aux journalistes?????? pic.twitter.com/3EA4Z9VKH6
— SFR Sport (@SFR_Sport) 20 septembre 2017
Samedi soir, à l'issue de la défaite 1-0 à Guingamp, les questions ne concernaient ni le classement, ni sa démission à Marseille, mais le terrain. Et les réponses étaient alors marquées d'une autocritique absolue, si rare pour un technicien qu'elles semblent forcément suspectes. Ne pas sortir Kévin Malcuit, diminué par une blessure? "J'ai pensé à tort que la gêne était ponctuelle." Mettre Nicolas Pépé en pointe, lui l'ailier? "Après l'avoir observé (…) j'en ai déduit que c'était un attaquant axial, à l'évidence cette évaluation est difficile à défendre." La stérilité de son équipe? "Je n’ignore pas le fait que la production offensive a été déficitaire, nous aurions dû avoir des occasions plus claires et nous devrions marquer davantage."
Jeu médiatique
Pendant ce temps, une partie des journalistes attendait vainement dans le couloir faisant office de zone mixte, où les joueurs sont censés passer avant de retourner dans leur bus et, s'ils le souhaitent, s'arrêter parler à la presse. À Lille, Marko Basa et tant d'autres ont traversé les lieux si souvent sans prêter attention aux demandes qu'elles ont fini par cesser. De toute façon, Rio Mavuba et Franck Béria étaient toujours là pour parler. Leurs interventions ne révolutionnaient pas le monde mais elles avaient le mérite de contenter les télés et radios qui, contrairement à la presse écrite, ne peuvent pas remplacer les témoignages des acteurs par de longs articles dépourvus de citations.
Samedi donc, après avoir patienté un moment, la petite troupe a appris que les Lillois ne défileraient pas devant elle. Même tête baissée ou en refusant poliment, ce qui, vu de l'extérieur, ne semble pas plus difficile que de mettre un stop à ces gens qui vous arrêtent pour discuter avec vous du sort de la planète, des enfants africains et des pandas. D'un côté, un entraîneur prenant tout sur lui et même plus encore. De l'autre, des joueurs partis par une porte dérobée et faisant silenzio stampa, sur ordre d'en haut selon le syndic de presse breton, très énervé par une situation qu'il n'a visiblement jamais vue.
Une mission à poursuivre
Ainsi va le quotidien du LOSC en cette deuxième partie du mois de septembre, et alors qu'arrive un match face à des Monégasques autrement plus en confiance. Une défaite annoncée qui pourrait amener les Lillois dans la zone rouge et encore fragiliser la position d'un entraîneur qui semble pourtant difficile à déloger. Contrairement à la croyance populaire, qui veut qu'il démissionne à la moindre contrariété – la même qui s'étonne que trois ans à Bilbao et un à Marseille n'aient pas suffi à remplir son palmarès –, l'instabilité de Bielsa dépend avant tout de celle de ses interlocuteurs, de leur capacité à honorer la parole donnée. Ce qui, dans le football, peut vite relever de l'utopie.
À Lille, il n'y a pour l'instant eu aucune rupture de confiance, au contraire. Tout a été fait pour quelqu'un dont les méthodes doivent fonctionner et, maintenant que tout a été installé, il est impensable de revenir en arrière. Pas tant au niveau du style, celui-ci étant trop tâtonnant pour ne pas être changé en cours de route, mais parce que le groupe a été construit pour plaire à El Loco. On ne rajeunit et réduit pas autant un effectif, en recrutant autant de Sud-américains qui plus est, pour confier les clés à quelqu'un d'autre. Le LOSC version Laurent Blanc, premier choix de Luis Campos selon L'Équipe, n'aurait probablement rien eu de commun avec celui-ci. Et si Bielsa n'arrive pas à valoriser des jeunes talents, une qualité que même ses détracteurs lui reconnaissent, pas sûr que beaucoup d'entraîneurs libres y arrivent.
Limites et axes de progression
Retour au point de départ. Après l'article de Libération, qui traduisait une certaine réalité malgré plusieurs approximations factuelles, Lille est un peu revenu dans une lumière bien vite abandonnée, mais pas forcément pour les bonnes raisons. La dernière conférence de presse agrandit encore la loupe sur un LOSC Unlimited qui, galères de l'OM Champions Project obligent, ratait ses débuts dans un anonymat poli. Et fait ressurgir les nombreux débats sur la personnalité d'un homme en décalage avec les codes du milieu, tout autant que ceux sur son talent supposé.
Quid d'un coach vanté par les plus grands qui sous-performe? Ont-ils tort ou voient-ils autre chose que les résultats? Et si ses principes étaient en décalage avec un football où le jeu en transition devient essentiel? L'homme, à qui une partie du public et des observateurs prête un énorme melon, passe en tout cas son temps à s'accuser de tout. Avec un peu de malice, comme quand il se dit moins bon que Laurent Blanc, et une modestie si grande qu'elle peut sembler suspecte. Là aussi, l'appréciation est personnelle.
Pour l'instant, Marcelo Bielsa rate beaucoup de choses. Certaines, où sa responsabilité est totalement engagée, sont irréfutables, à commencer par la titularisation du milieu Thiago Maia au poste de latéral gauche face à Malcom, vite sanctionnée d'une expulsion que tout le monde avait vue venir. D'autres sont au moins en partie sa faute, notamment la composition d'un effectif très jeune, où la qualité de plusieurs recrues semble discutable et qui ne tolère pas les absences, le banc étant réduit à peau de chagrin.
Pourtant, on voit quelque chose. Du jeu au sol, de la création d'espace, de l'ambition. Des embryons avortés par le niveau pour l'instant pathétique des ailiers Luiz Araujo et Anwar El Ghazi, symboles du n'importe quoi général à l'approche du but adverse. Un niveau que Nicolas Pépé, intégré tardivement à cause d'une blessure et signalé cinq fois hors-jeux contre Guingamp (record européen, qu'il aurait encore amélioré sans quelques passes trop longues), ne tire pour l'instant pas vers le haut.
Tant que les individualités offensives, qui n'ont pas vraiment de concurrence – encore moins avec le départ inexpliqué et sur le gong de Nicolas de Préville –, seront à ce point inefficaces, Lille ne marquera pas car il n'y aura personne pour créer des occasions. Et c'est bien là le vrai problème d'une équipe qui souhaite, conviction profonde du coach pouvant virer au péché d'ego, marquer parce qu'elle crée le déséquilibre. "Pour construire nos occasions nous n’avons pas compté sur la chance ou des erreurs de l’autre", disait ainsi Bielsa après Guingamp. Provoquer des erreurs et les exploiter, c'est pourtant ce qu'il faudrait apprendre à faire pour enfin trouver la faille. Car, même si le retour de Thiago Mendes, blessé depuis le premier match où il fut immense, fera du bien au milieu, la plus parfaite des animations deviendra vaine si personne n'est capable de donner la dernière passe. Et que tous les blocs bas deviennent des murs infranchissables.