La France aux Français (qui gagnent)
Les mouvements d’extrême-droite français entretiennent un rapport particulier avec le football: outil évident de propagation de leur nationalisme, il constitue aussi un excellent instrument de manipulation populiste, tout autant qu’un vecteur efficace pour diffuser d’autres idées réactionnaires. Les déclarations et productions écrites des Le Pen, Mégret et autres regorgent ainsi d’appels plus ou moins cachés à la discrimination raciale, au retour aux "valeurs traditionnelles", au régionalisme et à l'ordre moral…
L’équipe de France : une relation ambiguë
Des drapeaux tricolores flottants sur les Champs-Élysées, la "Marseillaise" chantée à tue-tête par des millions de personnes aux quatre coins de l’hexagone: la mise en avant de tels symboles nationaux, lors du Mondial 98 et de l’Euro 2000, ne pouvait a priori que remporter l’adhésion des édiles du FN, MNR et autres partis extrémistes français. Dans un communiqué de presse en date du 3 juillet 2000, le Front National saluait ainsi "la superbe victoire que l’équipe nationale de football [avait] offerte à la France" lors de l’Euro 2000. Et en novembre dernier, Bruno Mégret annonçait sa candidature aux Présidentielles depuis le stade de France, "symbole de la victoire française lors de la Coupe du Monde 98" (1).
Pourtant, cet enthousiasme de façade n'a pas été exactement spontané… Il faut tout d’abord se rappeler qu’en 1996, à une époque ou les deux partis — désormais ennemis — distillaient leurs "idées" au sein d’une seule et même structure, le soutien à l’équipe de France n’était pas réellement de mise. Dans un élan de populisme qui lui est caractéristique, Le Pen avait ainsi surfé sur le mécontentement suscité par une compétition que les Bleus allaient forcément rater (encore une victime de L'Equipe). Le Président du Front National s’était clairement positionné en affirmant qu’il était "artificiel que l’on fasse venir des joueurs de l’étranger en les baptisant équipe de France". Dans le même ordre d’idées, le leader d’extrême-droite avait dénoncé le fait que les joueurs ne chantent pas la Marseillaise lors des hymnes en début de match. Même si elles avaient suscité une vive polémique dans le milieu politique, ces déclarations trouvaient à l’époque un certain écho dans une partie de la population, prompte à suivre le FN dans sa lutte contre l'Antifrance.
Avec les victoires de 98 et 2000, et l’incroyable popularité, entre autres, des buteurs Trézéguet, Zidane, ou Wiltord — respectivement immigré, fils d’immigré et antillais d’origine — FN et MNR se sont vus dans l’obligation d’adapter leurs discours. Plus question d’attaquer de front les icônes nationales sous peine de se voir durement sanctionner par l’opinion publique. Un sondage Ifop, paru juste après le Mondial, indiquait ainsi que seuls 11% de la population trouvaient justifiée l’opinion que Jean-Marie Le Pen avait développée deux ans plus tôt sur la composition de l’équipe de France. C'est à peu près la proportion de son électorat, mais au sein même du FN les troupes étaient partagées, puisqu’un tiers de celles-ci jugeait cette déclaration maladroite et 15% l’estimaient ridicule. A la suite de l’Euro 2000, Le Pen s’est donc résolu à souligner "l’excellence des hommes et des qualités physiques et morales exceptionnelles" qui ont permis aux Bleus de l’emporter. Bel exercice de démagogie.
Les clubs : le mythe d’un football "pur"
Les mouvements nationalistes s’expriment finalement assez rarement sur les compétitions de clubs. Si les équipes nationales constituent un terrain évident pour alimenter leurs vues xénophobes, le football de club est plus difficile à manier en terme d’idéologie. Il ne faudrait cependant pas croire que celui-ci leur est totalement étranger: les partis d’extrème-droite n’hésitent jamais à infuser leur fiel quand l’opportunité se présente.
La première des critiques qui est faite au football professionnel de club reprend l’idée d’une perte d’identité du football français, et surfe sur la libéralisation des règles de nationalité. Un récent communiqué du Mouvement National de la Jeunesse, émanation "jeune" du parti de Bruno Mégret, vantait ainsi les mérites de Sylvain Kastendeuch, digne représentant de la "fidélité à une équipe, à une région et à des couleurs avec lesquelles il [avait] remporté de nombreux titres". On peut déjà souligner le fait assez risible que l'excellent libéro du FC Metz n’a remporté pour tout titre qu’une Coupe de France et une Coupe de la Ligue avec les Lorrains. Par ailleurs, si l’ex-défenseur des Grenats a effectivement vécu de nombreuses saisons dans ce club, il avait également porté les couleurs de St Etienne, de Toulouse ou du Red-Star par le passé. Mais dans leurs tentatives régulières de mobiliser la population, les partis d’extrème-droite ne sont jamais à une approximation près (quand on voit la taille de leurs "détails", on comprend).
La deuxième des critiques, assez prévisible dans le cadre de la libéralisation européenne, est la dénonciation du football-business. Dans ce même communiqué à la gloire de l’ex-capitaine mosellan, "Anelka, Wiltord et consorts" sont ainsi présentés comme "des gamins richissimes et irresponsables pourri-gâtés de la société de consommation". Cette désignation laisse entendre que soit les jeunes mégrétistes n’aiment pas la Danette, soit ils n’aiment pas les Noirs… En fait le choix de ces deux joueurs cache un argumentaire nettement plus tendancieux. Si Zidane, Djorkaeff ou Desailly, tous trentenaires, échappent à l’ire du MNR — alors qu’ils changent de club et participent à des pubs de la même manière — c’est pour diagnostiquer l’impossible intégration des jeunes d’aujourd’hui dans la société. Suite à un France-Algérie qui fut du pain béni pour son camp, un conseiller régional de ce parti soulignait ainsi "la honte peinte sur le visage de certains Algériens plus âgés qui, dégoûtés par le comportement de leurs jeunes générations, [avaient] préféré ranger leur drapeau". Cette affirmation n’est pas anodine: elle tend à démontrer que le péril vient des "jeunes", qui plus est originaires de banlieue. En conséquence, cette généralisation, condamnant "la racaille", justifie insidieusement une répression plus importante dans les banlieues. Bref, le football au service d’un discours sécuritaire beaucoup plus général, dont nos amis n'ont malheureusement pas le monopole…
Enfin, visiblement très gênés par le fait que les Bleus, équipe cosmopolite (mélange de blacks, de blancs, de beurs et autres Arméniens), réussissent aussi bien, les nationalistes ont longtemps cherché un contre-exemple. Ils l’ont trouvé en 2000, avec l’épopée calaisienne en Coupe de France. Jean-Yves le Gallou, idéologue du parti mégrétiste se réjouissait ainsi des résultats d’un club "représentatif des valeurs de la France profonde dans la mesure ou il [n’était] pas touché par (…) le politiquement correct qui voudrait que seul l’hypothétique "France métissée" puisse accéder aux podiums et aux micros". Notons dans ces propos deux déformations notoires de la réalité, dans la plus pure lignée de la propagande et de la désinformation propre aux régimes fascisants. D’une part, la réussite du cosmopolitisme est censée être présentée comme inéluctable. Pourtant, personne n’a jamais prononcé de telles affirmations: présenter le cosmopolitisme comme une chance n’a rien à voir avec le fait de le désigner comme une condition sine qua non de réussite. Ensuite, le petit club est censé avoir été éloigné de tout soutien médiatique. Cette thèse du complot, récurrente dans le discours de l’extrême-droite française, est tout de même grotesque au regard du battage médiatique qui a accompagné l’épopée des amateurs Nordistes en Coupe de France. En présentant les faits de la sorte, le MNR entend établir un parallèle avec sa propre situation (prétendue) et justifier ainsi la nécessité d’un égal soutien populaire à sa cause… Il doit prouver également un soit-disant comportement anti-français des médias nationaux, évidemment infirmé par les faits.
Les supporters de foot doivent donc rester vigilants quant à l’utilisation qui est faite de leur sport favori. Le danger n’est pas uniquement dans les stades, il est aussi dans les mots.
(1) On notera le peu de scrupules du Consortium du Stade de France, prêt à manger à tous les râteliers — des subventions d’Etat aux partis extrémistes — pour faire fonctionner la caisse enregistreuse…