La lente émergence du football gabonais
Par volonté politique, tout ce qui touche le Gabon aujourd’hui se doit d’être "émergent". Y compris le foot et l’équipe nationale, tenue de remporter la CAN 2012 que le pays accueille dès samedi.
Depuis son indépendance acquise en 1960, le Gabon n’a connu que trois chefs d’état. Une stabilité politique règne en apparence sur ce petit bout d’Afrique que les gouvernements français couvent toujours d’un œil maternel. Ceux-ci tiennent à cette stabilité car le pays est riche, en pétrole, en gaz, en bois. Pour ces raisons, et pour bien d’autres aussi, le pouvoir veille à ce que rien ne vienne troubler la quiétude gabonaise, au point de maintenir durant quarante-deux ans le même homme au pouvoir. L’illustre Omar Bongo est décédé en 2009 et c’est son fils qui aujourd’hui dirige le pays.
Gagner la CAN
Ali Bongo Ondimba a axé sa politique sur un mot-clé: l’émergence. À travers ce mot répété à l’envi dans tous les médias gabonais, Bongo-fils rêve de hisser son pays au niveau des outsiders de l’économie mondiale qui menacent le leadership des grandes puissances. Le nouveau président se détache donc un peu de la vieille France et commerce plus volontiers avec la Chine et le Brésil. La première lui construit des stades, le second vient y jouer.
Le Gabon a-t-il les moyens de ses ambitions? Ce n’est pas sur le plan économique que ce papier a la prétention de répondre. En revanche, sur le plan footballistique, la question est tout aussi pertinente. Car si le Gabon co-organise la 28e Coupe d’Afrique des Nations, c’est avec la volonté de démontrer son savoir-faire aux médias du monde entier, mais aussi avec le secret espoir de voir triompher sa sélection nationale.
Le défi est de taille. L’équipe gabonaise a rarement brillé jusqu’à présent sur la scène footballistique et son émergence dans le haut niveau du foot africain est très récente. L’Azingo - c’était le surnom de la sélection gabonaise le siècle dernier [1] - n’a participé qu’à quatre phases finales de CAN, la première seulement en 1994. Avant cela, les faits d’armes se comptaient sur les doigts de la main.
Azingo
La sélection est née en 1960, c’est-à-dire avant même que l’indépendance ne soit vraiment proclamée. Mais elle n’a conquis son premier titre qu’en 1985. C’était une Coupe de l'UDEAC [2] organisée à domicile et remportée après avoir battu en finale le Congo-Brazzaville (3-0). Les Gabonais remporteront une nouvelle fois cette épreuve, trois ans plus tard, de manière plus significative. La sélection emmenée par Alain Da Costa Soarès s’impose au Cameroun, chez le rival aussi prestigieux qu’honni, qu’elle bat en finale (1-0) dans une ambiance hostile.
C’est historiquement la première fois que les Gabonais battent les Lions Indomptables et cette victoire les a quelque peu décomplexés. Suffisamment en tout cas pour s’inscrire à leurs premières éliminatoires de Coupe du monde. À défaut de se qualifier pour le Mondiale 1990, l’Azingo provoque une grosse surprise en battant (2-1) le Nigeria et l’empêchant donc de s’envoler vers l’Italie.
Les progrès du foot gabonais se concrétisent en 1994 avec une première qualification à la CAN. L’équipe dirigée par le belge Jean Thissen n’y fait que passer. Placée dans un groupe à trois plutôt musclé (avec Egypte et Nigeria), l’Azingo n’arrive pas à inscrire le moindre but et enregistre deux sévères défaites (3-0 et 4-0).
Durban, comme Séville
Les résultats seront meilleurs deux ans plus tard en Afrique du Sud. Le Gabon atteint les quarts de finale, ce qui reste sa meilleure performance dans l’épreuve. Les hommes de Da Costa Soarès, revenu aux affaires, sont bien aidés il est vrai par le forfait de dernière minute du Nigeria [3]. Malgré une défaite d’entrée (1-2) contre le Liberia de George Weah, les Gabonais terminent en tête de leur groupe après avoir dominé (2-0) le Zaïre. Le quart de finale à Durban contre la Tunisie est gravé dans la légende locale. Les Gabonais réalisent un match plein, épique, courageux, qu’ils perdent après avoir poussé le futur finaliste jusqu’aux tirs aux but. Durban devient un Séville à la gabonaise.
Malheureusement, cette belle performance n'aura pas de lendemains. Pas de CAN en 1998, encore moins de Coupe du monde en France, l’émergence du foot gabonais est remise à plus tard. On retrouve bien le Gabon à la CAN, en l’an 2000, sous la direction du brésilien Antonio Dumas. Mais les Panthères – c’est le nouveau nom de la sélection – n’y font que passer, après deux nettes défaites (deux fois 3-1) contre l’Afrique du Sud et l’Algérie.
Dix longues années ponctuées de contre-performances, de déceptions et d’entraîneurs limogés passent jusqu’au retour du Gabon en phase finale d’une CAN. Nous sommes en 2010 et l’équipe emmenée par Alain Giresse est en Angola. Elle démarre même par une victoire retentissante face au Cameroun (1-0, but d'Olivier Cousin). Un exploit à nouveau sans suite. Les Panthères concèdent un nul (0-0) contre la Tunisie puis s’inclinent (1-2) face à la Zambie. Retour tête basse à Libreville.
Football d'État
La sélection gabonaise tarde à décoller. Lorsque l’on en cherche les raisons, on pointe du doigt le fonctionnement du foot gabonais qui est à l’image du reste de la société: ultra-étatisé. Les hommes de sa Fédération sont nommés par le ministère de tutelle et les clubs sont entièrement financés par l’état. Ce football "fonctionnaire", cette "élite restreinte et routinière" comme le dénonçait Jean Thissen, est pour beaucoup un frein à la confirmation d’une sélection compétitive.
Peut-être le foot gabonais n’a-t-il pas eu, non plus, la chance de voir éclore un Roger Milla ou un Didier Drogba, une locomotive à laquelle pourrait s’accrocher médias et sponsors. Peu de joueurs gabonais s’exportent vraiment bien dans le foot de haut niveau. Le plus grand joueur gabonais récent reste Daniel Cousin dont la carrière, sans lui faire injure, reste finalement assez confidentielle.
Les Gabonais savent, grâce à leur équipe de foot, que l’émergence est un processus long qui ne se décrète. Mais en fins connaisseurs des choses du foot, ils connaissent aussi la force que peut acquérir une équipe qui dispute un tournoi à domicile, pour peu que les événements lui soient favorables. Gernot Rohr, le sélectionneur en charge de l’exploit, a longtemps joué à Bordeaux sous les ordres d’Aimé Jacquet. C’est peut-être un signe.
[1] L’Azingo était le surnom de l’équipe nationale gabonaise jusqu’en l’an 2000. Ce nom provenait d’un lac du Moyen-Ogooué mais portait également, en langage myènè, une connotation négative. C’est pourquoi il a été remplacé par un surnom plus conventionnel : Les Panthères.
[2] UDEAC : Union Douanière des Etats de l’Afrique Centrale, devenue aujourd’hui la CEMAC, Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale. Cela regroupe le Gabon, le Cameroun, le Congo-Brazzaville, la Guinée Equatoriale, la République Centrafricaine et le Tchad.
[3] Lire l'article de Libération.