La tête dans la Coupe de la Ligue
Comment se déroule une journée-type de Coupe de la Ligue chez France Télévisions? Sous couvert d’anonymat, et contre un antidépresseur, un journaliste du service public raconte... Confidences extraites du n°23 des Cahiers, février 2006.
Auteur : Recueilli par Sylvain Zorzin
le 28 Mars 2007
9h30. Convocation au service des sports.
J’arrive un peu à l’avance, histoire d’avoir le dossier de presse, il paraît qu’on y voit une photo de Benoît Pedretti en train de sourire. Patrick de Carolis, le président de France Télévisions, finit de coller des bouts de papier coloriés à la main partout sur les murs de la salle de réunion. Dessus, c’est écrit Coupe de la League 2005-2006. On reconnaît même la typographie de la Champions League, mais il ne faut pas se leurrer: c’est bien la Coupe de la Ligue, et on nous fera jamais croire que l’Allianz Arena c’est un produit dérivé des Mariés de l’A2.
10h05. Arrivée du directeur du service des sports.
Il tient un ballon à moitié jaune à moitié blanc, mais comme ce sont les couleurs habituelles de Daniel Bilalian depuis qu’on l’a nommé à ce poste, on se dit que c’est un effet de l’éclairage. Il nous dit que "des matches sans intérêt national peuvent entraîner un grand engouement régional" (1). Du coup, Gérard Holtz est content parce qu’il croit qu’il n’aura plus jamais à diffuser de résumé dans Stade 2, mais c’est une fausse joie. En même temps, lui, il suscite à peine un engouement cantonal, et on lui confie une émission...
10h30. Séance vidéo.
Un type en costume croisé floqué du logo Point P entre dans la pièce avec un air sévère. L’ambiance devient tendue, comme si les couleurs du sponsor nous transformaient tous en abonnés du Stade lavallois. Le type glisse une VHS dans le magnétoscope, on entend la voix de Christophe Josse et les fautes de syntaxe de Jean-Marc Ferreri. On écoute attentivement, c’est dingue, on dirait qu’ils commentent France-Brésil 1986. En fait c’est un huitième de finale de la Coupe Intertoto, une compétition qu’on a laissée à M6 en pensant qu’ils la diffuseraient en alternance avec Une nounou d’enfer et La petite maison dans la prairie. Finalement, c’est un peu le mélange des deux, avec de vieux gazons et des rires prévisibles.
10h50. Débriefing.
Le type à l’air sévère et au sac à dos RMC rallume la lumière. Gérard Holtz se réveille. "Bien. Vous avez tous entendu ça. Je veux que ce soir, à côté de vos commentaires, ceux de Christophe Josse ressemblent à une publicité pour de l’Euphytose". En pensant à Jean-Marc Ferreri assis à ses côtés, on se dit que Josse aurait plutôt évoqué le syndrome Préparation H, mais on prend tous des notes. Puis on répète en chœur "La Coupe de la Ligue, nous sommes ses enfants prodigues". Enfants prodigues. Vu nos salaires, c’est le genre de phrases à justifier le non-lieu pour les époux Cartier.
11h30. Les équipes sont affichées à côté de la machine à café.
Pas celles des clubs de foot: les nôtres. C’est-à-dire qui fera commentateur, qui fera consultant superflu, et qui restera à arpenter la touche pour que les entraîneurs se sentent un minimum concernés. Moi je me retrouve assis à côté de Xavier Gravelaine, et un gars de France 3 Île-de-France qui n’a toujours pas digéré la défaite du PSG face à Gueugnon, en 2000. Je découvre que la Coupe de la Ligue existait déjà en 2000.
19h00. Arrivée au stade.
Je relis mes fiches, notamment celle intitulée "Phrases à prononcer obligatoirement":
1/ Nous sommes fiers de vous présenter la Coupe de la Ligue, et c’est une exclusivité France Télévisions.
2/ Tous les ingrédients sont réunis pour nous offrir une rencontre spectaculaire, c’est qu’il y a une place en coupe d’Europe au bout!
3/ Quel suspense!
4/ Quel but exceptionnel! Je n’ai jamais vu un penalty aussi bien tiré.
5/ C’est chaud bouillant dans les tribunes, qu’on ne vienne pas nous dire que la Coupe de la Ligue n’est pas une compétition populaire.
J’espère qu’il y a le nom des joueurs sur le dos de leur maillot, sinon Xavier Gravelaine va tous les appeler Télé Poche.
20h55. Préchauffage.
À cinq minutes du coup d’envoi, je dis: "Nous sommes fiers de vous présenter la Coupe de la Ligue, et c’est une exclusivité France Télévisions. Tous les ingrédients sont réunis pour nous offrir une rencontre spectaculaire, c’est qu’il y a une place en coupe d’Europe au bout!" C’était moins une que je dise que le but était exceptionnel, mais Xavier Gravelaine m’interrompt à temps pour faire remarquer aux téléspectateurs que c’est chaud bouillant dans les tribunes, il y a même Raymond Keruzoré de passage à la buvette.
21h32. Statu quo.
Xavier G. ne se contente pas de qualifier les cartons jaunes de biscottes, il les dessine aussi en même temps. Je constate également qu’il note mes blagues. C’est pas évident, ça m’encourage à faire des jeux de mots foireux. Il est bon public, Xavier Gravelaine. On pourra dire tout ce qu’on voudra de lui, au moins, c’est quelqu’un de spontané. On dirait que ça va directement du nerf optique à la bouche. Exactement le genre de gars capable de craquer une allumette dans une pièce qui sent le gaz sous prétexte qu’il fait sombre. Sinon, toujours 0-0. Et il pleut sur les tribunes populaires.
22h47. Fin du match.
1-0. C’était chiant, mais je dis le contraire. J’ai honte mais je ne le montre pas. Au mieux, on nous privatise, au pire, on a un papier dans les Cahiers du football.
(1) Extrait du dossier de presse de la LFP.