Le bûcher des vanités
La Berezina parisienne va beaucoup faire parler d'elle, parce qu'elle était attendue (voire désirée), peut-être aussi parce que la plupart des journalistes sportifs n'a qu'à prendre le métro pour y assister aux premières loges. L'OM et le PSG, qui connaissent de fréquentes déroutes, attirent régulièrement sur eux l'envie malsaine des médias de les voir "plonger" (jusqu'au moment où ils prennent peur de les voir se désintégrer totalement). Des médias qui collaborent parfois activement aux révolutions de palais dans nos clubs (lire l'excellent Presse qui coule de mon ami Clément).
Il est arrivé à Laurent Perpère le contraire de ce qui est arrivé à René Ruello. Ils avaient tous les deux planifié et organisé le départ de leur entraîneur, mais la victoire du Stade Rennais au Parc a mis un bâton dans les roues du président (qui pourrait bien changer d'avis), alors que le carton sedanais a permis de précipiter la mise en œuvre du programme. La vitesse (celle de la nuit suivant le match) à laquelle ont été conclues les tractations avec Fernandez indique clairement que l'affaire était déjà dans le sac (voir Le serment d'hypocrite).
Paris n'est en fait ni plus ni moins médiocre que ses éminents homologues du Club Europe, qui se signalent cette saison par le grand écart entre leurs ambitions (indexées à leur budget) et leurs résultats (sanctionnés par le classement). De la 8è à la 15è place, on dirait que le fameux lobby des Aulas-Darmon s'est donné rendez-vous, avec une brochette d'indignes cadors: Lyon, Paris, Rennes, Monaco, Saint-Etienne et Marseille... Seuls Bordeaux et Lens sont à la lutte avec les meilleures équipes. On dira à juste titre que la saison est encore indécise, avec encore une moitié de parcours à effectuer et un classement trop serré pour en tirer des conclusions. Elie Baup pronostiquait récemment que l'on retrouverait les équipes engagées en Ligue des champions dans les cinq premières à la fin de la saison (FF 01/12). Mais les dirigeants concernés eux ont eux-mêmes reconnu un échec, puisqu'ils ont procédé à des changements, ou sont sur le point d'en faire.
Comme lu dernièrement dans les réactions à nos articles, on avance souvent que le changement d'entraîneur est la seule solution réaliste qui s'offre aux dirigeants (devant notamment l'impossibilité de virer l'effectif). Mais ce qui est inquiétant, c'est de voir à quel point elle se systématise, se banalise et intervient de plus en plus tôt dans le cours des saisons.
Depuis plusieurs années, il apparaît pourtant plus nettement que les équipes ont besoin de continuité, de temps pour se constituer une expérience collective, tant sur le plan technique que sur le plan humain. L'arrêt Bosman, qui a favorisé des mouvements de plus en plus anarchiques, a paradoxalement permis de mieux mesurer les vertus de la stabilité. Les réussites actuelles de Nantes et Sedan, qui ne doivent rien au hasard, soulignent de façon assez éclatante ce principe. Par contraste, la gestion de crise permanente de certains gros clubs montre leur incapacité à agir autrement que par des opérations successives de sauvetage, plus ou moins désespérées. La pression et l'intransigeance qui entoure les clubs les plus riches ne rend pas les choses faciles, mais il serait temps que nos dirigeants mènent des politiques adaptées à ce statut particulier, mais surtout cohérentes sur le plan sportif.
A Paris et Marseille, les crises observent des cycles tellement rapprochés qu'elles finissent pas s'enchaîner, comme si ces deux clubs ne parvenaient plus à en sortir. Les saisons de transition sont suivies de saisons de bouleversement, ou s'abrègent en nouvelles saisons-catastrophes, interdisant toute reconstruction dans la durée.
Même quand les choses ne vont pas trop mal, les dirigeants adoptent délibérément de type de management, à l'image de Jean-Michel Aulas (qui par ailleurs mène sa barque plutôt mieux que ses confrères) déclarant qu'un entraîneur est périmé au bout de deux ans. Comme de plus les nouveaux "actionnaires majoritaires" ont multiplié les "présidents délégués" (dont le statut est à peine moins précaire que celui des entraîneurs), toutes les conditions d'une instabilité chronique sont réunies. La difficulté à retenir les joueurs, aussi valable pour Monaco que pour Sedan, est aggravée dans les clubs à gros budget par la faillite des projets sportifs successifs qui leur sont proposés. Ces clubs se sont souvent montrés incapables de conserver leurs acquis d'une saison à l'autre, pas seulement du fait de moyens inférieurs (et d'une Ligue des champions exténuante), mais aussi à cause de mauvais choix et de stratégies discutables.
On imagine donc difficilement qu'un technicien ait prochainement les moyens d'établir un véritable projet, d'imposer un style de jeu et une organisation tactique, d'écrire une longue page de l'histoire de son club, comme purent le faire Sacchi et Capello à Milan, Cruiyff à Barcelone ou aujourd'hui Wenger à Arsenal.
Luis Fernandez arrive pourtant à Paris avec de genre d'ambition, au poste de manager sportif à l'anglaise dont il rêvait depuis quelque temps et dans le club de son cœur. Il a suffisamment d'expérience, de crédit et de charisme pour être l'homme qui parviendrait à imprimer une identité au PSG et à le mener vers ses ambitions dans une certaine continuité. Mais sa marge de manœuvre sera étroite, s'il se confirme qu'aucune mauvaise série, qu'aucune période creuse n'est plus tolérée nulle part. Fernandez se souvient que ceux qui le rappellent aujourd'hui sont presque les mêmes que ceux qui, à la suite d'une des déprimes hivernales les plus spectaculaires du club en 95/96 (Auxerre devenant champion après avoir comblé un retard impressionnant sur Paris), l'avaient placé sous tutelle, ce qu'il avait très mal pris. La victoire en Coupe d'Europe n'avait pas remis en cause le divorce programmé.
On fera en fin de saison le bilan des Clemente, Fernandez, Toshack, Nouzaret, Pouliquen et autres invités à venir, ne serait-ce qu'en regardant si leurs contrats sont reconduits, ou si un nouveau chantier s'ouvre dans leurs clubs. Cela n'épargnera certainement pas aux présidents, délégués ou non, de s'interroger sur leurs propres responsabilités.