Les benêts du culte
S’il est une chose insupportable dans les commentaires et les analyses a posteriori des compétitions internationales, c’est bien le culte de la victoire qu'elles révèlent. Malgré les métaphores plus que douteuses dont usent et abusent les fins analystes, le sport n’est pas la guerre: la défaite n’a rien de tragique et la victoire n’a rien d’écrasant. Plutôt que de perdre son temps en vaines recherches de responsabilités, pourquoi ne pas admettre la première des vérités: lors de ce Mondial 2002, l’Equipe de France est tombée sur plus fort qu’elle.
Perdre fait encore partie du jeu
Quand on entend ou qu’on lit les multiples réactions après l’élimination de l’Equipe de France, on est tenté de se dire que, finalement, les deux titres de 1998 et 2000 ont un revers de médaille bien encombrant. Car en gagnant les deux dernières grandes compétitions auxquelles ils ont participé, les Bleus ont semble-t-il créé une addiction à la victoire un peu malsaine chez les amateurs (plus ou moins fervents) de ballon rond.
Si la France a perdu il faut se rappeler que d’autres n’ont même pas eu le plaisir de voir leurs favoris fouler les pelouses du Japon et de Corée. Bien sûr, la frustration est belle et bien présente de ne pas avoir assisté à des matches de grande qualité, mais le football a cela de plaisant qu’on ne sait jamais de quoi il sera fait. Il faut se dire surtout que l’élimination est un risque inhérent à une telle compétition et que le fait d’avoir gagné l’édition précédente ne donne pas automatiquement droit à un billet pour la finale de la suivante. C’est d’ailleurs le sens des déclarations de David Trezeguet hier, qui soulignait avec fatalisme mais sincérité qu’il fallait aussi savoir accepter ce genre de verdict.
Mais tout cela, les divers esprits critiques du petit monde footbalistique préfèrent le laisser de côté le temps d’exorciser leur ressentiment, plus ou moins directement, plus ou moins finement.
Le règne des nombrilistes
Partout, dans les rédactions, chez les supporters et même dans les émissions humoristiques, on entend parler de honte ou de déshonneur, après la contre-performance française en Corée.
Comme si les Bleus nous devaient quelque chose, alors qu’ils se devaient d’abord quelque chose à eux-mêmes. Mais surtout, ou est l’humiliation dans deux (courtes) défaites face au Danemark et au Sénégal, dans un match nul obtenu à dix contre onze, et en dominant tout le match face à l’Uruguay? Par ailleurs, on entend systématiquement parler de débâcle de nos héros, mais jamais ou presque de la belle performance de nos deux tombeurs. Curieuse façon d’aborder les choses. Et quel mépris ouvertement affiché pour nos adversaires! Comme si les Nordiques étaient de simples faire-valoir et les Africains de sympathiques sparring-partners! C’est oublier que le collectif danois est apparu particulièrement bien huilé, au moins lors de son premier et de son dernier match, et que quelques-uns de ses joueurs sont de remarquables buteurs (Sand, Tomason) ou manieurs de ballon (Gronkjaer par exemple). C’est oublier l’enthousiasme et la force de percussion des vice-champions d’Afrique. Mais que le Danemark et le Sénégal fassent deux beaux qualifiés pour le second tour semble n’intéresser qu’une part infime des suiveurs et des suivistes de la compétition.
Finalement, comment reprocher aux joueurs de manquer de respect au football quand on manque soi-même du plus élémentaire des égards qui est dû à notre sport favori, en voulant gommer ce qu’il a finalement de plus beau: l’incertitude du résultat?
Le retour des vieilles habitudes
Cette suffisance des observateurs vis-à-vis des adversaires vainqueurs de notre équipe nationale ne date cependant pas d’hier. En 1994, déjà, un sélectionneur avait fait les frais de la "honte" consécutive au piètre final des qualifications pour la World Cup. Gérard Houllier avait à l’époque été mis au pilori pour son coaching prétendument défectueux d’une équipe de star (Papin et Cantona entre autres…). Déjà, l’élimination par la Suède et la Bulgarie avait été considérée comme une "humiliation" (comme le rappelait hier encore Vincent Hardy dans "Tous ensemble"). Il est évident que se faire sortir par l’Allemagne ou l’Italie aurait eu plus de cachet, hier comme aujourd’hui. Et pourtant, dans les deux cas, c’est faire preuve d’une méconnaissance totale du football: en 94, les deux équipes tombeuses des Bleus avaient finalement atteint le stade des demi-finales de la compétition américaine en proposant, comme lors des éliminatoires, un jeu particulièrement brillant. Nous ne présagerons pas des résultats futurs du Danemark et du Sénégal. Mais il y a fort à parier que ceux-ci offriront une opposition des plus ardues aux deux qualifiés du très relevé groupe F. En tout cas, on ne peut que leur souhaiter de faire aussi bien que leurs prédécesseurs suédois et bulgares.