Les cinq petits cochons (2)
Matchbox conceptuelle: OL-PSG, 0-0 – Après sa déconvenue face à l\'insolent Bof-Bof, comment a réagi le Grand Méchant Lion?
Comme il s'enfuyait loin du Haillan, perdant son sang et rugissant sa colère, le Roi de Ligain réfléchissait. Car, contrairement à ce qu'on laisse accroire aux enfants, les Grands Méchants Lions sont loin d'être stupides: ils peuvent être aigris, paranoïaques, de mauvaise foi, manipulateurs... mais stupides, non.
Donc le Roi Lion réfléchit longuement et se tint à peu près ce langage:
"Analysons calmement la situation. Si Bof-Bof ose me défier, c'est qu'il se sent fort. Je doute qu'un cochon isolé, aussi fin bretteur soit-il, s'estime de taille à m'affronter s'il n'a pas noué des alliances préalables... Et si c'était toute la cochonnerie qui se soulevait? Je suspecte une révolte, c'est peut-être une révolution?
Je dois en avoir le cœur net et savoir ce qui se trame chez les cochons. J'en connais un, le brave Paf-Paf, qui m'a bien servi durant trois ans à la Cour – un bon gars, pas disert mais digne de confiance. Aux dernières nouvelles, il habite un algeco minable dans la forêt de Saint-Germain... Sitôt que j'aurai repris des forces, je m'en irai le trouver."
Allez, viens, viens à Saint-Germain
Après quelques jours de repos, le Grand Méchant Lion s'en fut donc chez Paf-Paf. Quelle ne fut pas sa surprise, en arrivant, de voir que l'algeco qu'il croyait trouver était en fait un fortin aux murs solides, illuminé de mille bougies, avec dans le parc une drôle de construction métallique pointant sa flèche vers le ciel, et à l'entrée un écriteau disant: "Ici c'est chez Paf-Paf!".
Le Roi Lion franchit la grille du parc et, comme il s'avançait vers le fortin, il entendit s'élever le chant qui lui était désormais tristement familier:
Qui craint le Grand Méchant Lion,
Pas l'cochon, pas l'cochon,
Qui craint le Grand Méchant Lion,
C'est pas le p'tit cochon!
Le premier mouvement du Roi aurait été d'agonir d'injures le misérable rebelle. Mais il sut se raisonner: Du calme, se dit-il, je dois maîtriser ma colère. Je suis ici pour finement tirer les vers du nez de l'adversaire: du doigté, de la diplomatie, pas d'emportement hâtif... Et puis, que diable, c'est devant l'Histoire que je comparais! Des chroniqueurs vont narrer mes hauts-faits, les transmettre aux lecteurs du futur, dont certains me pourraient reprocher mes écarts de langage. Eh quoi? Je laisserais des faquins me mal juger, sous prétexte que, confondant pudibonderie et bonne éducation, ils prennent des airs de demoiselles sitôt que résonne la langue verte? Non! Je ne ferai pas à ces précieux ridicules le plaisir de se sentir distingués en me trouvant vulgaire – désormais, je n'aurai pas un mot plus haut que l'autre.
Où Paf-Paf n'est pas Bof-Bof
C'est sur cette bonne résolution que le Grand Méchant Lion frappa à la porte de Paf-Paf. Qui cessa de chanter pour demander:
– Qui est-ce?
– C'est moi, mon bon Paf-Paf, ton Seigneur, avec qui tu as passé trois merveilleuses années – t'en souvient-il? Ouvre, j'ai à te parler.
– Euh, je crois que ça va pas être possible, possible...
– Allez donc, et pourquoi ça?
– Eh bien, je préfère que l'on se parle avec la porte fermée.
– Fichtre! Te déroberais-tu aux ordres de ton Roi?
– Euh... Oui, c'est ça! Je me dérobe! Et pour preuve, ma petite chanson: "Qui craint le..."
– Il suffit! Les oreilles me chauffent de ce refrain! Mais au moins ton complice Bof-Bof avait-il le courage de sortir de son antre et de me dire ces billevesées en face!
– Bof-Bof, c'est Bof-Bof, moi c'est moi... Et moi je préfère rester dedans mes murs.
– Très bien, dit le Roi, il va donc falloir que ce soit moi qui entre!
Un siège pour un trône
Il avait prononcé ces mots avec beaucoup de conviction, mais ne voyait pas très bien comment il allait s'y prendre. Il se dit d'abord: un Lion ne doit-il pas faire parler sa force? Qu'est-il besoin pour moi de finasser? Et il se précipita violemment contre la porte du fortin. "Aïe, ça fait mal", rouspéta le Roi en frottant son épaule endolorie, tandis que Paf-Paf, de l'intérieur, se permettait des commentaires ironiques sur l'impact physique du monarque en titre.
Ne faisons pas les mêmes erreurs, pensa ensuite le Grand Méchant Lion. Je ne vais pas m'obstiner à attaquer au centre alors que l'adversaire m'y attend de pied ferme... Je vais plutôt utiliser les ailes, ha ha, quel génie, quel sens tactique, ça va complètement déstabiliser ce cochon besogneux!
En disant cela, néanmoins, le Roi Lion se rendit compte que cela faisait à peu près deux ans qu'il n'avait plus porté une seule attaque sur une aile et que, bizarrement, ça ne s'improvisait pas comme ça... Il se souvenait bien de quelques feintes de lionceau, et il tenta de s'introduire par une lucarne à gauche, par un soupirail à droite... Mais à chaque fois, Paf-Paf veillait au grain et verrouillait les issues avant qu'elles ne pussent être exploitées.
Bon, eh bien je ne vois plus qu'une seule solution, conclut le Grand Méchant Lion, c'est de monter à l'abordage... Et il lança son grappin, lui trouva une prise et entreprit de se hisser par-dessus le mur du fortin.
Le dilemme de Paf-Paf
Oh! Pénible montée! Spectacle pathétique que celui de ce monarque lourdaud tentant de grimper à la corde, et han, et han, il y met de la bonne volonté, sans doute, il s'applique, mais quelle lenteur, quel manque de vigueur, où est le fauve qui faisait régner la terreur sur le Royaume de Ligain? Et comme le Grand Méchant Lion escalade pesamment son mur, Paf-Paf se décide, pour la première fois, à mettre le nez à la fenêtre, et voit se balancer au-dessus de lui le gros popotin du Roi... Et là, tempête sous un crâne:
– Ouh la ouh la, se dit le cochon, n'est-ce pas l'occasion rêvée de prendre à revers le tyran et de lui porter un coup fatal? Je n'ai qu'à saisir cette pique, ouvrir la fenêtre, et shlak, je la lui plante dans l'arrière-train!
– Quoi? Malheureux! Ouvrir la fenêtre? Tu n'y penses pas! On a dit que le plus important c'était de rester bien en place, de faire bloc, de ne pas laisser d'espaces non défendus... Ouvrir la fenêtre, c'est bon pour ce fou de Bof-Bof, pour ce malade de Maf-Maf, moi je ne mange pas de ce maïs-là, je ne suis pas une tête brûlée, je m'en tiens à mon plan initial.
– Oui mais bon, quand même, regarde-le se balancer au-dessus de toi en ahanant, n'est-il pas risible et vulnérable, allez, ça ne prend que deux minutes, tu ouvres la fenêtre, tu prends la pique et shlak, tu frappes un bon coup!
Chute sur l'arrière
Mû par on ne sait quelle pulsion qui ne lui ressemblait guère, Paf-Paf finit par se décider pour une offensive aussi inconsidérée: il ouvrit la fenêtre, prit d'abord la pique, ensuite prit son temps, et puis encore son temps, visa bien, ouvrit sa main pour donner un effet circulaire à son coup, puis frappa.
Et rata le postérieur du Lion – on se demande encore comment.
Alors vite vite, plutôt que de retenter sa chance, il referma la fenêtre, et le volet, et remit la barre de sûreté... Et il poussa un grand ouf de soulagement.
Et c'est alors qu'il entendit un grand cri: le Grand Méchant Lion, qui n'en était qu'à mi-ascension, venait de glisser et de tomber lourdement en arrière. "Haaa, je me suis cassé les reins, gémit-il... Oh et puis j'en ai marre, je vais pas passer la semaine à essayer d'entrer dans ce fortin, en plus je peux même pas dire de gros mots pour me défouler, je me casse d'ici, voilà, c'est tout! On n'a qu'à dire que c'est match nul, Paf-Paf, mais je te retrouverai!"
Et le Grand Méchant Lion reprit en boitant la route de son château, laquelle – coïncidence ou présage? – s'enfonçait dans la nuit.