On lâche rien ! (ou presque)
Toutes les équipes de foot se font engueuler à la mi-temps. Il y a cependant des mots plus justes que d’autres pour entretenir ou décupler la motivation des joueurs.
Parmi la grande diversité des mots forts et mobilisateurs, il y a le fameux: "On lâche rien, les gars, hein", prononcé lorsqu’on mène au score (par l’entraîneur, par le capitaine ou par Patrice Évra). Car il faut savoir que le joueur de foot qui mène au score a une tendance certaine à l’alanguissement. Sans le vouloir, sans même s’en rendre compte, l’équipe est plus décontractée quand elle a marqué. Elle lâche. Soulagée d’avoir "fait le plus dur", elle n’est plus tendue vers un objectif excitant. Comparé au fait de marquer, tenir le score consiste moins, dans la tête des joueurs, à aller chercher quelque chose. L’équipe est alors moins vaillante. Elle vient d’ailleurs de manquer de peu de prendre un but, mais heureusement c’est la mi-temps, et elle va pouvoir se faire gueuler dessus.
Y mettre le ton
Évidemment, c’est surtout lorsque les deux équipes préservent un "score de parité" qu’elles ne doivent rien lâcher du tout. Qu’elles dominent ou pas, les équipes doivent alors être encouragées, car la fatigue nerveuse, causée par l’appréhension de prendre un but et de réaliser que le temps disponible pour égaliser s’est amenuisé, s’ajoute à la fatigue physique. Si l'on domine, il faut être encouragé à pousser, car les arrêts du gardien adverse, les barres et les sauvetages sur la ligne peuvent enfoncer dans l’imagination fébrile et superstitieuse des footballeurs l’idée qu’une fatalité est en train de s’abattre, qu’il n’y a décidemment rien à faire, qu’on ne marquera pas. Un joueur de foot est une petite chose fragile. À l’équipe dominée, il est a contrario nécessaire d’expliquer qu’il va y avoir des occasions de contre, qu’il faudra être tranchant, mais qu’en attendant, il faut tenir bon. "Allez les gars, putain on lâche rien!" dira alors l’entraîneur expérimenté à l’une comme à l’autre, sur un ton à la fois convaincu et exigeant.
Notons qu’une équipe est parfois plus motivée quand elle doit revenir au score qu’à 0-0. Elle peut être transcendée, et pratiquer un football bien meilleur. C’est à se demander pourquoi les équipes ne jouent pas dès le début du match comme lorsqu’elles sont menées au score. De toute évidence, c’est psychologiquement qu’elles ne le peuvent pas (puisqu’elles le peuvent physiquement, une fois menée). On peut tromper ses coéquipiers, son entraîneur ou l’arbitre, mais pas sa conscience: impossible de faire comme s’il fallait absolument marquer s’il ne faut pas absolument marquer.
Il n’y a que le Barça qui joue, quand il n’est pas mené, comme s’il l’était. Mais c’est tout simplement parce que Barcelone joue toujours pareil. D’ailleurs le Barça ne peut être mené au score que contre le cours du jeu [1]. Barcelone joue; de temps en temps les mecs prennent un but. De temps en temps (mais bien plus souvent) ils en mettent un. Donc même les joueurs du Barça ne jouent pas comme s’ils étaient menés – ils font même le contraire: quand ils sont menés, ils jouent comme s’ils ne l’étaient pas. En fait, le Barça ne tient pas compte du tableau d’affichage. On ne leur dit rien à la mi-temps.
Y mettre les arguments
À part au Camp Nou et en Angleterre, les joueurs peuvent aussi avoir tendance à lâcher, bien sûr, lorsqu’ils sont menés au score. À 0-1, ça va encore. À 0-2, ça devient rude. À 0-3 ça semble mort. À 0-4, pour espérer revenir au score, il faut se transcender, et affronter une équipe qui a tout lâché (notamment parce que l’entraîneur n’a pas su dire avec crédibilité, à la mi-temps, qu’il fallait ne rien lâcher, qu’il fallait faire comme s’il y avait 0-0). Dans les contextes plus classiques (un ou deux buts de retard à la mi-temps), l’entraîneur doit savoir trouver les mots, parce que les renversements sont largement à la portée des équipes menées. Il dira alors: "C’est pas fini, alors on y croit! Allez on lâche rien!" Ces mots doivent avoir valeur de coup de fouet. Être un tissu rouge pour énerver le taureau. Ils sont dit sur un ton menaçant.
En pupille, contre une équipe largement supérieure, l’entraîneur avait essayé, avant le match, de relativiser pour rassurer les joueurs: "Oh les gars, ils ont deux bras deux jambes comme tout le monde, hein, les gars. C’est onze mecs comme vous, alors on lâche rien", sur un ton encourageant. Mais à la mi-temps, quand on en a pris trois contre les onze mecs comme soi, il faut d’autres ressources. Beaucoup d’entraîneurs tentent alors le fameux: "Bon les gars on rentre sur le terrain comme si y avait 0-0, OK les gars? Allez putain, on lâche rien" (sur un ton un peu désespéré).
Ah?! On m’informe à l’instant que le président descend parfois dans les vestiaires pour compenser l’éventuelle insuffisance de la rhétorique de l’entraîneur, et proposer son discours à lui: "Prime de cas de victoire! Double prime! Alors on lâche rien!", éructerait-il. Je n’ose croire que cela existe. Je n’ose croire que des mecs aussi bien payés puissent lâchement trouver dans la perspective de salaire augmenté une motivation supérieure... Si?
[1] Expression relativement absurde, on le sait. S’il y a but, c’est que le cours du jeu a mené au but. Dans tous les cas.