Raffaele Poli : «La Premier League n’a peur de rien…»
Le responsable de l’Observatoire du Football du CIES décrypte la portée du Brexit sur la Premier League et le football européen en général. Elle sera minime, selon lui, dans un secteur important pour l’économie anglaise.
Raffaele Poli est docteur en sciences humaines des universités de Neuchâtel et de Franche-Comté. Il dirige l’Observatoire du football du Centre international d'étude du sport (CIES), qui analyse le marché des transferts et les performances des joueurs.
Quelle va être, selon vous, l’ampleur du Brexit sur le foot anglais et européen ?
J’ai quelques doutes sur son impact réel dans une industrie spécifique comme celle du football. Les questions liées à l’immigration sont certes au cœur de cette décision. Mais l’Angleterre va-t-elle imposer des contraintes plus fortes sur un des secteurs qui fait la richesse de ses clubs, de son économie, et qui représente un des premiers produits d’exportation? Je vois mal comment, même politiquement, ce pays irait entraver la liberté de la concurrence, du marché, de la libre circulation dans la mesure où ce ne sont pas les autres qui vont interdire à leurs ressortissants d’aller en Angleterre, et bien au contraire. Donc ce point de vue-là, cela m’étonnerait que la Premier League ou l’État anglais aillent restreindre de manière trop importante la libre circulation des joueurs.
« Le Brexit ne va pas changer grand-chose »
En mars 2015, la Fédération anglaise a pourtant durci les conditions d’obtention du permis de travail par les joueurs extracommunautaires…
Franchement, cela s’est toujours joué aux marges. Soi-disant ils ont mis des contraintes un peu plus élevées pour les joueurs non communautaires. Et au final, il y a toujours des exceptions. Le cœur du principe d’ouverture aux étrangers est resté. En réalité, comme d’habitude, les Anglais font en sorte de ne pas restreindre l’accès. Il y a une petite tendance à être un peu plus restrictif, mais mon impression est que le Brexit ne va pas changer grand-chose.
Est-ce que le Brexit n’a pas traduit un repli d’une partie des classes populaires, représentées dans le public du foot par ceux qui ont du mal à accepter la mondialisation de la Premier League?
Il est clair que le but de La Premier League a consisté à en réserver l’accès à un milieu plutôt aisé. En Angleterre, il y a une paupérisation des classes moyennes, avec beaucoup de pression sur les salariés, avec un capital qui circule librement et se concentre de plus en plus, avec des États qui perdent de leurs prérogatives, sont mis en concurrence entre eux ou contrôlés par des lobbies. Il y a des cercles de privilégiés. L’Union européenne a probablement symbolisé tous ces aspects-là.
La Premier League aussi, pour une partie de la population ?
À mon avis non. Les stades sont pleins, les gens sont tout autant attachés à leur club et ne restent pas passifs, on le voit avec les supporters qui se groupent pour racheter des clubs. De fait, la Premier League sert d’apprentissage aux bienfaits de la mondialisation. Ce sont les clubs anglais qui sont devenus dominants, en tout cas d’un point de vue économique.
« La Premier League a suivi une logique impériale »
Mais pas l’équipe d’Angleterre…
Il y a plus de vingt ans, avant l’arrêt Bosman, la Fédération anglaise a donné beaucoup d’importance et de droits à la Ligue, et elle le regrette aujourd’hui. Elle pensait qu’une Premier League forte ferait une équipe nationale forte. C’était une erreur stratégique qui est aujourd’hui difficilement rattrapable. La Premier League est le chantre du libre marché et d’une certaine forme d’impérialisme. Elle est devenue tellement puissante que si la Fédération a des velléités de restreindre trop la libre circulation des joueurs étrangers, la Ligue trouvera le moyen de contrecarrer ses velléités.
Le Brexit va donc illustrer peut-être encore plus la puissance du foot anglais?
La Premier League est arrivée à un niveau tel de puissance globale… S’il y avait une vraie volonté de la Fédération anglaise, de l’État, de l’UEFA, de la FIFA, des autres fédérations de l’amoindrir, OK. Mais puisqu’il n’y a pas en face de front uni, la Premier League n’a peur de rien. Et elle a raison: les Anglais ont occupé un marché, ont planté un drapeau, et ils sont loin d’avoir exploité tout le potentiel. Évidemment, le Brexit affaiblit la livre, mais cela ne va pas stopper l’inflation, juste la freiner.
La Premier League serait donc devenue le porte-drapeau de l’empire britannique?
Pas à elle seule, il y a d’autres secteurs – par exemple la City. En tout cas, oui, la stratégie de la Premier League a suivi une logique impériale.
Le Brexit ne va donc pas changer grand-chose à la marche de cet "empire"?
L’économie britannique va être évidemment impactée. En ce qui concerne le secteur spécifique du football, on ne peut pas dire que la Premier League soit contente du Brexit. Mais elle n’est pas non plus franchement préoccupée…
Photo cc Adam Haworth