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Rennes, la victoire aux yeux rouges

C'est l'histoire d'un club à qui on affublait une image de perdant mais qui l'a quittée avec fracas ce week-end. Et celle de supporters qui ont vécu une soirée forcément à part.

Auteur : Nicolas Sarzeaud le 29 Avr 2019

 

 

Peu avant minuit, le sixième tireur s’avance jusqu’au point de penalty. Il vaut mieux ne pas trop réfléchir à ce problème de géométrie basique dessiné sous nos yeux, triangulation entre le joueur, la balle et l’espace d’un rectangle blanc à couvrir. D’ici, le but nous semble trop grand et notre gardien de deux mètres un peu petit. Le tireur prend son élan et le ballon prend son envol, signifiant tout ce qu’un ballon de foot peut signifier. Le but était trop petit et l’espace autour de lui gigantesque, aspirant le ballon bien au-delà de nos espérances: nous avons gagné.

 

 

Viennent les cris, ou plutôt un cri collectif dont les modulations stridentes se fondent les unes dans les autres, les accolades à s’en déboîter l’épaule et les larmes. C’est donc ça, gagner? Comme l’amour, la mort et toute cette sorte de choses, on croit tant qu’on ne l’a pas vécu que la victoire est une sorte d’entité générique, universelle. Enchanté de te rencontrer, ô Victoire, nous n’avions pas été présentés.

 

Mais, évidemment, faire l’expérience de la victoire, c’est connaître les inflexions subtiles qui donnent du relief à ce qui, de loin, paraissait indistinct. Comme aimer et mourir, chacun gagne à sa façon, porté par ses rêves et ses peurs, une longue histoire et un scénario.

 

À minuit, c’est donc notre victoire que nous avons rencontrée, avec son souffle et sa couleur propre, sa texture, produit d’une frappe mal dosée et de tout ce qui fut vécu d’espoirs et de déceptions, d’humiliations et de fiertés, de joies et de douleurs, avant ce moment précis où le ballon s’envola.

 

Onze joueurs ont mué la complainte du Stade rennais, tantôt élégiaque tantôt burlesque, en chant épique. Il faut maintenant faire le récit, subjectif évidemment, de cette victoire singulière, une victoire aux yeux rouges comme ceux de Nielsen, taulier du Roazhon Celtic Kop, que la réalisation de France 2 a eu le bon goût de cadrer pour illustrer notre joie.

 

 

Venus ici pour souffrir

Au bout de vingt-cinq minutes, Rennes est déjà mené 2-0. Trop naïfs, trop d’espaces, trop d’erreurs techniques, trop forts en face, mais on le savait. "On le savait, tonne le capo du RCK, on savait que ce serait dur", et toutes les mains se lèvent pour chanter encore, emportant une partie des tribunes supérieures.

 

Ce n’est pas un vent de révolte qui souffle sur le virage nord du Stade de France, c’est un vent d’orgueil: ce soir nous allons perdre notre quatrième finale en dix ans, peut-être même allons-nous essuyer un score humiliant, encaissant une ribambelle de buts avant les moqueries sur la culture de la lose, mais nous continuerons de chanter notre amour du Stade rennais.

 

Qui voudrait comprendre la singularité de notre joie au dénouement de cette finale devrait cerner la disposition d’esprit de ce public, venu au Stade de France pour la quatrième fois en dix ans, conscient que s’il existait une chance de vivre le grand soir, elle était bien maigre, cotée à 1 contre 12 selon les sites de paris sportifs. Venus pour souffrir donc, nous étions pourtant mystérieusement heureux d’être là, de sorte que nous prîmes avec avidité la réduction de l'écart qui nous fût gracieusement offerte, comme un plaisir délectable, rare et précieux, un de plus dans une saison merveilleuse: célébrer un but de son équipe au stade de France.

 

Il faut dire que les joueurs étaient bel et bien venus pour gagner, mystérieusement sûrs d’eux: à l’échelle de leur groupe, ce n’était pas la quatrième finale mais la seule, l’opportunité unique de faire de cette saison déjà réussie non pas seulement un joyeux roman-photo qu’on feuillète avec le sourire, mais un chapitre de la geste glorieuse du club. Sur un de nos temps forts, Mexer cogna le ballon et même ceux qui, comme moi, se caparaçonnaient derrière leur fatalisme furent bien forcés de se mettre à y croire.

 

Il y eut alors un moment d’effarement et, pour ma part, je dois l’avouer, un frisson d’angoisse. À nouveau, nous commencions à envisager le rêve et, avec l’espoir, pointait sous nos poitrines une lancinante appréhension. Par des biais détournés, le sort avait réussi à nous faire y croire; par des biais détournés, il avait trouvé son chemin jusqu’à nos cœurs; maintenant, nous ne savions que trop bien ce qu’il comptait en faire.

 

2-2, encore vingt minutes en prolongation, je ne chante plus, pardon, je me décompose. On dit que l’animal à abattre ne doit pas voir le poignard: je ne vois que lui, brillant dans les mains du sacrificateur. On dit qu’on apprend des défaites, mais c’est un lieu commun sans substance. Nous, Rennais, sommes bien placés pour le savoir et nos adversaires du soir aussi – nous aurions pu organiser un grand colloque sur la question en marge de la confrontation. On n’apprend pas grand-chose de la défaite, elle traumatise, elle pétrifie, elle ne prépare que son retour, plus cruelle encore, au prochain rendez-vous. En perdant, on apprend à perdre, tout au plus.

 

 

S’aimer sans promesses

À propos de la fin des temps, Walter Benjamin écrit: "On sait qu’il était interdit aux juifs de sonder l’avenir. (...) Mais l’avenir ne devenait pas pour autant, aux yeux des juifs, un temps homogène et vide. Car en lui, chaque seconde était la porte étroite par laquelle le Messie pouvait entrer." [1]

 

Ils ont raison, évidemment, on devrait faire taire tous les pronostiqueurs à la petite semaine et les lanceurs de promesses qui piétinent notre avenir. Le Messie entre toujours à l’improviste et son visage ne ressemble jamais à celui qu’on imaginait. C’est pourquoi j’avais décidé, cette fois-ci, de ne pas jouer avec l’avenir. Avant les finales passées, je rêvais jour et nuit du moment où l’équipe brandirait le trophée, je calculais nos chances, je décryptais les signes. Cette fois, j’ai laissé mon rêve sur le seuil, en espérant qu’il entrerait de lui-même, sans trop y croire.

 

Alors que la victoire tapait à ma porte, au cours des prolongations, je maintenais mon esprit fermé et je disciplinais mes espoirs, croyant encore à une mauvaise blague. Et voici que la victoire advient, à la fin d’une séance de tirs au but dont j’imaginais, jusqu’à ce dernier coup de pied, une issue tragique: autant dire que je ne suis pas prêt pour elle, alors que je l’aie attendue pendant toute ma vie de supporter.

 

À ce moment, il m’est difficile d’articuler l’un de ces comportements qui siéent au triomphateur. Je reste hagard comme Nielsen, comme Vincent et tous mes amis qui se tiennent la tête ou gardent les bras en l’air, les yeux grands ouverts, incrédules. Des larmes tièdes coulent sur les plaies du passé, elles voudraient traverser le voile imperméable du temps pour atteindre l’adolescent brisé qui perdait il y a dix ans sa première finale. J’ouvre et je ferme mes bras sur cette joie qui aurait pu ne jamais venir.

 

 

"Rennes tient enfin ses promesses!" Quelles promesses, sinon celle que d'autres prêtent à ce club, calibré à tout point de vue pour la place qu’il occupe dans le championnat français? Moi, on ne m’a rien promis. Les supporters de clubs moyens aiment leur club, pas pour ce qu'il a été, puisque jamais il ne fût grand, pas non plus dans l'espoir de ce qu'il sera: ils aiment leurs clubs. Voilà la raison de notre ahurissement joyeux aujourd'hui: nous étions d’accord pour aimer toute notre vie ce club et ne jamais vivre ça.

 

Et alors survint notre victoire, comme une vieille amie surgissant au détour d’un long chemin, alors qu’on était prêt à continuer de marcher encore longtemps vers elle, peut-être comme on attend Godot, à jamais.

 

 

Le rien d’où l’on vient

Ils avaient raison, ceux qui tempéraient notre enthousiasme en ce soir du 7 mars 2019, alors que nous chantions route de Lorient la victoire du Stade rennais contre Arsenal. "Calmez-vous, vous n’avez encore rien fait!" Après tout, ça n’est pas une ligne sur un palmarès, autant dire que ça n’est rien. Deux mois et un penalty manqué plus tard, qu’est-ce qui a changé? Tout et rien.

 

Les souvenirs heureux d’une saison gargantuesque se bousculent dans la panse des Rennais, mais c’est tout juste assez pour des supporters affamés. Il faudra un moment pour tous les digérer et ce sera un délicieux travail narratif: mettre chaque moment à sa place dans cette formidable saison dont nous ne pouvions imaginer qu’elle serait à ce point "la bonne" [2]. Attribuer à chacun de ces joueurs devenus nos héros son haut-fait dans la légende. Pas un ne sera oublié.

 

Aujourd’hui, avec ce titre dont nous sommes décorés, enfant gâtés après un long sevrage, que faire des revers et des moqueries passées? Mon parti, ce serait de cultiver ce rien dont nous cueillons aujourd’hui la fleur, par goût de revanche d’abord, envers tous ceux qui nous y ont assigné, mais aussi pour observer le commandement avisé de papa-maman: "N’oublie pas d’où tu viens".

 

Mon parti serait de ne pas nous croire sortis de cette matrice, de ne pas nous croire devenus autres. De garder ce rien comme boussole, comme hygiène et comme emblème pour la suite de notre histoire, comme stigmate de nos défaites passées. Le garder comme méthode pour persévérer dans la joie quotidienne d’aimer sans promesses, de quérir obstinément ce qu’un sort malicieux refuse puis finit par donner. Le garder comme philosophie car, après tout, le rien est l’âme du foot, un jeu qui ne change rien ni à la face du monde ni au cours de nos vies, un jeu qu’on joue pour rien et qui se joue à rien.

 

Mon parti serait d’arborer à la boutonnière ce rien avec lequel le poète allemand Paul Celan peignait notre humanité belle et inconséquente: "Un rien nous étions, nous sommes, nous resterons, en fleur: la rose de rien, de personne" [3]. Le Stade rennais, un rien en fleur.

 

[1] Walter Benjamin, "Sur le concept d’histoire", Œuvres. III, Paris, Gallimard, 2000 [écrit en 1940], p.443.
[2] Signalons que par une formidable coïncidence, le documentariste Antoine Biard a choisi cette saison pour réaliser un documentaire sur le kop rennais, Tu ne seras jamais seul, qui s’annonce gargantuesque: en voici le générique, et le crowdfunding.
[3] Paul Celan, "Psalm" dans Psalm, La rose de personne (première éd. 1963), traduction Martine Broda, Paris, Points, 2007, p.36: citons-le en allemand pour les germanophiles raffinés: "Ein Nichts / waren wir, sind wir, werden / wir bleiben, blühend: /die Nichts-, die /Niemandsrose."

 

Réactions

  • Yul rit cramé le 30/04/2019 à 14h33
    J'attends le témoignage du supporter Rennais qui a quitté La Tribune dépité à 0-2 et qui a appris la victoire le lendemain matin par une notification sur son téléphone en se réveillant. Mais en attendant, je me contenterai de ce joli témoignage.

    Pour l'ambiance qui faiblit quand la tension monte, j'ai souvenir du dernier Bordeaux - Marseille joué à Lescure, c'était La meme chose.
    On avait gagné 1-0 sur un but de Yambere (oui oui), et les chants avaient du mal à tenir alors que tout le monde était chauffé à blanc parce qu'on serrait tous les fesses en même temps.

    En comparaison, le dernier match à Lescure quelques semaines plus tard à atteint des sommets du point de vue ambiance parce que l'événement était totalement détaché du résultat du match. Même si la victoire avait rendu la fête encore plus belle.

  • 12 mai 76 le 30/04/2019 à 15h02
    Il y a beaucoup de très belles choses dans ce texte. J’aime particulièrement ce passage que je trouve très juste, très touchant:

    « Les supporters de clubs moyens aiment leur club, pas pour ce qu'il a été, puisque jamais il ne fût grand, pas non plus dans l'espoir de ce qu'il sera: ils aiment leurs clubs. Voilà la raison de notre ahurissement joyeux aujourd'hui: nous étions d’accord pour aimer toute notre vie ce club et ne jamais vivre ça. »

    Quelle belle explication de l’amour qu’on a pour un club, quelle belle définition du supporter. Merci Nicolas.

  • Citron Merengue le 30/04/2019 à 17h14
    Ce texte me semble d'autant plus intéressant qu'il contient en filigranes le fameux paradoxe du "Omne animal triste post coïtum" (toutes proportions gardées bien sûr).

    Je m'explique : l'auteur décrit superbement bien l'incrédulité et la joie profonde qu'il ressent, proportionnelles à son refus d'y croire pendant 90 minutes (et pendant de nombreuses semaines sans doute, c'est à dire dès la qualif pour la finale acquise).

    Mais dans la fin de l'article, il laisse aussi entrevoir un désarroi, certes léger, mais réel : comment va-t-il vivre le fait que son club qu'il aime change brusquement de statut? Parce que son Stade Rennais il l'aimait aussi beaucoup tel qu'il était, et donc avec son statut de looser. Et d'ailleurs il le précise bien, que c'était une fierté que de supporter ce club malgré son statut. Il va maintenant falloir s'habituer à un nouveau statut. Ce sentiment me semble finalement assez classique chez tout supporter qui supporte l'équipe qui a gagné : la nostalgie de la victoire arrive très tôt après celle-ci.

    Dans mon lointain souvenir, c'est aussi un petit sentiment qui est remonté en moi quelques jours après la victoire de 98. qui pouvait se matérialiser par des pensées du type "ah ben merde, maintenant on a un statut à défendre..." avec la pointe de stress qui vient avec. Voire le sentiment de ne pas en avoir profité pendant l'événement (surtout en voyant quelques heures ou jours après les images des supporteurs célébrant la victoire, avec la nostalgie que ce moment fut trop court et déjà passé).

    Bref, chers rennais, profitez bien de votre victoire car elle fut belle !

  • Elmander mon cher Larsson le 30/04/2019 à 20h27
    Très bon article.
    En tant que supporter du TFC, j'ai toujours trouvé injuste cette étiquette de loser qui était accolée au Stade Rennais (avant la finale de samedi). Parce que le TFC mérite largement plus ce qualificatif. Vous voulez des exemples ? Dernier titre du TFC : coupe de France 1957. Dernier tit… Avant-dernier titre du Stade Rennais : coupe de France 1971. Nombre de présence pour des finales au Stade de France : pour le TFC 0, pour le Stade Rennais 4.
    Alors qui c'est les vrais losers ?

  • Kireg le 30/04/2019 à 20h34
    Mais...
    Ça va nous manquer.

  • Toni Turek le 30/04/2019 à 20h59
    La lose, c'est de se qualifier pour des finales et les perdre, ou ne pas arriver en finale ?

    Vous avez 4 heures.
    (Plus des prolongations si besoin).

  • 12 mai 76 le 30/04/2019 à 22h32
    La loose c’est de se croire un grand club alors qu’on ne l’est plus depuis des décennies. Et que tout en tas de quinquagénaires sympas te parle de ta gloire passée.

  • revlog le 01/05/2019 à 00h24
    Je me joins au concert des louanges, texte très juste et très bien écrit. Je guettais depuis la victoire rennaise l'article en une qui viendrait raconter ce grand-soir rennais, les supporters rennais ayant visiblement le goût de l'écriture. Faut dire que leur club ouvre à merveille les possibilités de narrer le foot, de disserter sur ses joies et ses peines, de philosopher sur ses drames et sur la vie en général.

    Puisse-t-il y avoir d'autres occasions pour de si bons articles en une.

  • Mama, Rama & Papa Yade le 02/05/2019 à 12h43
    Toni Turek
    30/04/2019 à 20h59

    La lose, c'est de se qualifier pour des finales et les perdre, ou ne pas arriver en finale ?

    _____________________________

    La lose c'est tellement plus que ça, que ça mériterait un article sur l'ensemble des clubs de L1.

    Comment la lose se manifeste-t-elle au sein du club en question :
    - absence pluri-décennale du moindre titre
    - tendance remarquée au poulidorisme
    - science de la remontada subie, basée sur le principe qu'une bonne remontada, c'est comme une bonne cuite, tout un art.
    - fidélité à une bête noire et éventuels records du genre (Montpellier contre Monaco, Marseille à Bordeaux, mais bien sûr comme dirait Touco dans "Le Bon,...", les bêtes noires c'est comme les anus, tout le monde en a un)
    - maestria dans l'avalement de sabres au moment de la magie-de-la-coupe-de-France
    - contribution à la lose nationale en coupes d'Europe de clubs (c'est là où on rivalise d'ingéniosité d'un club à l'autre)

    Quels en sont les momentums?

    Quels en sont les joueurs/entraîneurs clés?

    Je verrais bien un article-tour de France et me propose pour le volet montpelliérain, fait de remontadas et de série record contre Monaco.

La revue des Cahiers du football