Retour vers le footoir [2]
Uchronies - Biff Tannen a mis la main sur votre collection de France Football et a décidé de changer vos meilleurs souvenirs en cauchemars… Seconde partie de nos uchronies: les victoires en défaites.
Que serait-il advenu après les plus grandes victoires du football français… si elles s'étaient achevées sur des défaites? Après une première partie qui transformait nos plus douloureuses défaites en grandes victoires, la seconde fait le chemin inverse.
France-Espagne, 27 juin 1984
Luis Arconada se fait une belle frayeur en laissant glisser sous son corps ce coup franc de Michel Platini à la 57e minute, mais il rattrape le ballon avant qu’il n’ait franchi la ligne. Les Bleus demandent la validation du but, en vain. C’est le début d’une succession d’occasions ratées pour l’équipe de France, qui bute sans cesse sur un gardien en état de grâce.
L’Espagne s’impose sur un penalty de Paco Carrasco après une faute de Maxime Bossis sur Carlos Santillana, alors que la France est réduite à dix depuis l’exclusion d’Yvon Le Roux. Arconada réalise un arrêt invraisemblable sur un ballon piqué de Bruno Bellone, idéalement lancé par Jean Tigana. Depuis lors, en Espagne, une Arconada désigne ce type de parade indescriptible.
“La France ne gagnera donc jamais rien d’autre que des matches amicaux?”, tonne Jacques Ferran dans un éditorial cinglant. Michel Hidalgo se retire sur cet échec. Son successeur Henri Michel propose de “tourner la page des années Platini” et s’appuie sur ses champions olympiques. Le Mundial 1986, encourageant, s’achève par une élimination en quart de finale face à l’intouchable Brésil du futur président Socrates.
L’heure de la France sonne en 1990, Jean-Pierre Papin inscrivant le seul but de la finale à Rome face à l’Italie… de la main. Le scandale est à son comble, les Transalpins s’en prennent à l’arbitre M. Van Lagenhove, puis votent L’Uscita: ils quittent l’UE. Papin n’en a cure. Lui qui tient sa revanche sur la main de Vata finit sa carrière à l’OM, avec lequel il remporte six Ballons d’Or et trois C1.
Olympique de Marseille-Milan AC, 26 mai 1993
La tête de Basile Boli à la 43e minute heurte le poteau de Sebastiano Rossi. L’OM rate sa plus grosse occasion de la finale et laisse passer sa chance. En deuxième période, Daniele Massaro et Jean-Pierre Papin emportent froidement la décision (2-0). “Pourquoi ne parvenons-nous pas, nous Français, à comprendre comment remporter une finale de coupe d’Europe?” tonne Jacques Thibert dans un éditorial cinglant.
Au retour à Marseille, Bernard Tapie annonce qu’il est fatigué et qu’il quitte le club. Alors que la plupart des joueurs l’imitent, Jean-Pierre Bernès hérite de la présidence. Il n’a rien vu venir: l’affaire VA-OM éclate alors que le Phocéa croise déjà dans les eaux du Pacifique.
Bernès devient la cible de l’affaire et déballe tout: l’hôtel de Valenciennes, les adversaires contactés, les jus d’orange frelatés… Les cinq derniers titres de champion de France sont retirés au club marseillais, de même que la Coupe de France 1989.
L’OM démarre une nouvelle saison de D1 sans le moindre sou avec une équipe de joueurs locaux. Les “Minots” bousculent tout sur leur passage et deviennent la coqueluche du continent. Alors que le club se qualifie pour la C1, il parvient à attirer Zinédine Zidane qui snobe un pont d’or du Real Madrid pour défendre l’équipe de sa ville natale. Un soir de mai 2002 à Glasgow, il lui offre d’une sublime reprise de volée cette C1 tant attendue.
Paris Saint-Germain-Rapid Vienne, 8 mai 1996
La frappe de Bruno N’Gotty a été repoussée par le mur viennois et sur la contre-attaque, Carsten Jancker a trompé Bernard Lama d’une puissante tête plongeante. Patrice Loko et Dely Valdés manquent de franches occasions et, en toute fin de match, Trifon Ivanov double la mise sur penalty et donne la Coupe des vainqueurs de coupes au Rapid Vienne.
“Combien faut-il encore que Canal débourse pour faire de Paris un grand club européen?”, tonne Charles Biétry dans un éditorial... cinglant. À la rentrée, Canal+ diffuse une auto-interview de Michel Denisot, les traits tirés: “Je ne suis pas sûr que l’arrivée de notre chaîne ait été bénéfique au PSG. Nous avons détruit son jeu spectaculaire avec Artur Jorge. J’ai cru qu’avec Luis, on reviendrait à quelque chose de plus joyeux, mais même Yannick Noah a chopé une dépression quand il est venu nous coacher avant la finale. Le PSG d’avant-Canal manque au football français”.
Denisot fait appel à Mustapha Dahleb, d’abord comme entraîneur puis comme directeur sportif, avec un seul mot d’ordre: “Mouss, fais-nous rêver”. Le club recrute des joueurs plus spectaculaires que vraiment efficaces, d’anciennes gloires aux jambes rouillées mais au mental de junior. Le PSG redevient une équipe de milieu de tableau, mais le Parc est plein et la tribune officielle voit revenir de nombreuses célébrités.
À l’extérieur, l’équipe parisienne fait également le plein pour sa tendance à finir ses rencontres sur des scores fleuves. Bien sûr, beaucoup font la fine bouche: “On dirait le Cosmos de New York” ou encore “Avec tous ces vieux, on croirait un club du Qatar”.
Italie-France, 3 juillet 1998
La reprise de Roberto Baggio claque dans la lucarne de Fabien Barthez, un but en or qui élimine la France de son Mondial dès les quarts de finale. "On vous l’avait bien dit", tonne Jérôme Bureau dans son édito cinglant en une de L’Équipe. Absent de la conférence de presse, Aimé Jacquet disparaît. Christophe Dugarry, bouc émissaire de cette sélection inefficace, met un terme à sa carrière et se reconvertit en gérant de boîtes de nuit.
Le quotidien sportif fait désormais figure d’oracle. À tel point que c’est sa rédaction qui est chargée de choisir le nouveau sélectionneur. Le jeune Vincent Duluc prend donc ses fonctions fin août, tel Gabriel Hanot en d’autres temps, pour le match amical à Vienne contre l’Autriche. Les Bleus s’inclinent 4-1, mais L’Équipe titre: “C’était Mozart”, et fait l’éloge du jeu pratiqué, de l’envie démontrée, du coaching avisé. Il accorde aussi une double page au but que Lilian Laslandes a inscrit du genou à la 89e minute.
Les Bleus s’inclinent ensuite 3-0 en Islande, puis 7-2 en Russie et enfin 4-3 contre Andorre. Seuls Les Cahiers du football, un webzine de gauchistes pro-Jacquet qui avait bénéficié d’une légère hype durant le Mondial, s’inquiètent de cette série de défaites. L’équipe de France ne gagne plus un match pendant quatre ans et demi, et tombe à la 98e place du classement FIFA.
France-Italie, 2 juillet 2000
Dans un réflexe étonnant, Francesco Toldo repousse du pied gauche le tir de Sylvain Wiltord. Le ballon revient sur David Trezeguet qui le reprend de demi-volée. La frappe s’écrase sur la barre et rebondit sur la ligne. Alors que les Français réclament la validation du but dans une grande confusion, l’arbitre siffle la fin du match sur la victoire de l’Italie. “Si au moins on pouvait avoir recours à la vidéo, ça nous éviterait ces fins de matches dignes de la Foire du Trône!”, tonne Pierre Menès dans un éditorial cinglant.
Les Bleus abordent la Coupe du monde 2002 avec un sentiment de revanche. Après avoir survolé au premier tour un groupe relativement aisé (Sénégal, Uruguay, Danemark), ils écartent tour à tour l’Angleterre, le Brésil et la Turquie, à chaque fois grâce au but en or, rebaptisé le “French Goal”.
La finale face à l’Allemagne est tout aussi magistralement négociée, Zinédine Zidane ouvrant le score d’une reprise de volée magnifique sous les yeux de Michael Ballack. Il est imité par Johan Micoud en seconde période puis Patrick Vieira, sur une passe d’Emmanuel Petit. Et un, et deux, et trois-zéro entend-on à nouveau à travers tout l’Hexagone.
“C’est avant tout la victoire de l’AS Cannes”, clame le journaliste Didier Roustan, rappelant que les trois buteurs ont été formés dans le club de son cœur, et que celui-ci est sur le point de perdre son statut professionnel et son centre de formation. Un message qui émeut les intéressés, lesquels décident de rejoindre la Croisette. L’exemple séduit d’autres Tricolores qui reviennent dans leur premier club: Marcel Desailly à Nantes, Fabien Barthez à Toulouse, Bixente Lizarazu et Christophe Dugarry à Bordeaux… Le championnat de France devient l’un des plus compétitifs d’Europe.
Argentine-France, 30 juin 2018
La frappe complètement dévissée de Benjamin Pavard s’envole dans le ciel de Kazan et fait rager quinze millions de téléspectateurs français. Face à une équipe d’Argentine qui semblait à sa portée, l’équipe de France déjoue. C’est alors que Lionel Messi sort de sa boîte et inflige quatre buts à Hugo Lloris pour signer l’une des pires déroutes (6-1) des Bleus en match officiel.
“On ignore encore de quelle nature sera la blessure que cette défaite nous a infligée lorsqu’elle sera ravivée dans un futur que l’on souhaite meilleur, en tout cas plus bleu que cette fin d’après-midi tatare où la fierté d’un pays entier s’est trouvée écornée par le seul talent d’un lutin, plus catalan d’ailleurs que vraiment argentin (...)”, tonne Vincent Duluc dans un éditorial cinglant.
La colère est vive et remonte jusqu’à l’Élysée où Emmanuel Macron signe une ordonnance signifiant l’éviction de Didier Deschamps. Mais il est déjà trop tard. Des milliers de Français enfilent leur gilets de sécurité, descendent dans la rue, bloquent les rond-points et montent en masse à Paris: “Vous vouliez 1998? Vous aurez 1789!” L’Élysée et Matignon sont pris d’assaut, avec comme fond sonore un morceau de rap qui fait fureur: “Ramenez la démocratie à la maison, allez, allez...” Le président et son épouse sauvent leur tête en grimpant dans l’hélicoptère affrété à la hâte par leur garde du corps, Alexandre Benalla.
La VIe République est instaurée le 15 juillet 2018, au moment même où à Moscou, la Croatie devient championne du monde en battant la Belgique 2-0 sur deux penalties accordés par la VAR. À Paris, l’assemblée constituante “abolit provisoirement” le football professionnel, porteur de valeurs trop proches du libéralisme qui a mené le pays à sa faillite. L’équipe de France est maintenue, mais son onze de départ est désormais constitué par tirage au sort parmi l’ensemble des licenciés de la Fédération.
Première partie : les défaites en victoires