Une lueur jaune dans un mardi noir
Le 11 septembre 2001, le FC Nantes dispute face au PSV Eindhoven son premier match de la Ligue des champions, rendu dérisoire par les attentats de l'après-midi.
Quand le FC Nantes fait son entrée en Ligue des champions 2001/02, le rendez-vous semble arriver un peu trop tôt. Après six journées, il pointe à la dernière place du classement. Deux nuls et quatre défaites, trois buts en tout et pour tout: quelque chose s’est manifestement déréglé dans la machine jaune.
C’est souvent comme ça, les lendemains de titre à Nantes: l’équipe perd un joueur ou deux durant l’été, les recrues tardent à faire oublier les partants et la magie du printemps précédent disparaît.
L'entraîneur Raynald Denoueix ayant voulu étoffer, voire muscler son attaque, le club a fait venir Pierre-Yves André et Olivier Quint, ce qui a incité Olivier Monterrubio, qui jouait à peu près aux mêmes postes, à aller voir ailleurs. Nantes a aussi perdu son créateur offensif, Éric Carrière, qui a rejoint Lyon dans les derniers jours du mercato, après cinq journées de championnat.
Le jour du premier match européen, l’inquiétude est grande quant aux capacités de l’équipe à tenir le choc face aux grosses cylindrées de la Ligue des champions. La rencontre face au PSV Eindhoven tombe d’autant plus mal que l’équipe doit se passer de Viorel Moldovan, le buteur roumain, un des rares joueurs de l'effectif rompus aux rencontres à haute tension…
Au stade malgré tout
Dans l’après-midi, un coup de fil nous somme d’allumer la télévision: il se passe quelque chose de grave à New York. Un avion s’est écrasé sur un gratte-ciel, puis un deuxième. C’est au World Trade Center, et ce n’est pas un accident. La sidération est totale, les images d’une violence inédite. Un sentiment de fragilité s’empare de nous.
La question d’aller au match ou pas ne se pose pas vraiment. Bien sûr qu’on y va. La date est cochée en rouge, on a nos billets depuis cet été. Nantes en C1, ce n'est pas souvent. Et puis, quoi? Il aurait fallu rester à la maison toute la soirée, à frémir devant la télé?
En convergeant vers le stade, la foule laisse échapper des mots qui parlent d’avions, de tours, de New York. Les tribunes ne sont pas spécialement garnies, avec une affluence officielle de 28.000 spectateurs, dans une Beaujoire qui peut en accueillir dix mille de plus. Les joueurs s’échauffent, les supporters braillent, les projecteurs s’allument. Notre esprit s’extirpe de la torpeur.
Yannick Bigaud, le speaker du stade, a rarement été aussi solennel. Il énonce gravement le message de l’UEFA, puis lance la minute de silence. Les joueurs du PSV sont restés à leur place, tête baissée, tandis que les Nantais se sont regroupés en mêlée. Le ciel semble porter une menace, et on se dit qu’on aurait peut-être dû appeler la famille pour dire où on est.
Les joueurs nantais ont adopté une curieuse tenue vert bouteille. Une mode incite en effet les clubs français à disputer l’épreuve majeure dans un accoutrement inédit. On se demande pourquoi. Les adversaires évolueront tous dans leurs couleurs traditionnelles.
Balade nantaise
Entre absences des uns et méformes des autres, Raynald Denoueix a une marge de manœuvre limitée. Alors que Marama Vahirua était attendu en lieu et place de Moldovan, l'entraîneur nantais choisit de titulariser Wilfried Dalmat, dix-neuf ans et quelques bouts de match en première division.
Le nom de Pierre-Yves André, leader d’attaque présumé qui a marqué son premier but trois jours plus tôt contre Sedan, fait surgir quelques sifflets en tribunes. Celui d'Olivier Quint est également chahuté. Il est aligné dans l'entrejeu aux côtés de Stéphane Ziani, Nicolas Savinaud et Salomon Olembe.
Derrière, Néstor Fabbri et Nicolas Gillet constituent la charnière centrale flanquée de Nicolas Laspalles et Sylvain Armand. Dans les buts, Mickaël Landreau porte un maillot bleu ciel.
Le match est vite lancé. Après quelques minutes, Olivier Quint, sur le côté gauche, lance Pierre-Yves André plein champ. Le Breton a pris de l’avance sur les défenseurs néerlandais. Il contrôle le ballon et le glisse entre les jambes du gardien qui a tardé à sortir.
Un peu plus tard, Sylvain Armand est fauché dans la surface. Olivier Quint a manqué un penalty en début de saison, mais cette fois, son tir du gauche à mi-hauteur est hors de portée du gardien. Après dix minutes, le FC Nantes mène 2-0.
L’équipe moribonde incapable de battre Bastia ou Sedan bouscule d’entrée un grand nom d’Europe. L'euphorie est teintée d'incrédulité. On a le sentiment d’être hors du temps. Les Nantais jouent la tête haute et maîtrisent leurs adversaires. Peu avant la mi-temps, Wilfried Dalmat se fraye un chemin dans la défense et s’en va planter un troisième but.
Applaudissements néerlandais
3-0 à la mi-temps, c’est presque trop. Une atmosphère légère plane dans les tribunes. On est pressé de voir les joueurs reprendre, des fois qu’on se mette à penser à autre chose. La deuxième période sera un peu moins emballante. Les visiteurs paraissent résignés.
Dans le dernier quart d’heure, Marama Vahirua, entré à la place de Pierre-Yves André, reçoit un centre de Stéphane Ziani. Habilement démarqué entre deux défenseurs, il pousse le ballon dans la cage. Il célèbre sa réalisation non pas en mimant les pagayeurs tahitiens, mais avec le geste des jeunes papas popularisé par le Brésilien Bebeto durant la Coupe du monde 1994.
Le PSV marquera un but en toute fin de match, mais cela n’aura aucune importance. Le FC Nantes l’a emporté 4-1 et on est un peu abasourdi. Ce doit être plutôt rare qu'un dernier de championnat écrase un grand d’Europe. "Nantes du bon pied", titrera L'Équipe du lendemain, n'accordant sa une qu’aux choses du sport [1].
En sortant du stade, on passe devant le bout de tribune accordé aux visiteurs. Les supporters du PSV y attendent sagement leur escorte policière. Ils applaudissent. En regardant bien, c’est nous qu’ils applaudissent. Pour l’accueil, pour la performance inattendue de notre équipe. Plus sûrement parce qu’ils en ressentaient le besoin. Ce n’était pas le jour pour le chambrage et les mots agressifs.
En rentrant, notre esprit est de nouveau accaparé par les événements de New York. Le lendemain, toutes les rencontres de Ligue des champions sont reportées. Le monde occidental se met en deuil, et s’efforce de dominer sa peur.
On se demande si le score des Nantais sera validé. Il paraît que le PSV a demandé l’annulation du match en raison des circonstances. En vain [2]. La victoire des Nantais a ressemblé, à ce moment-là, à un ultime faisceau de lumière avant une plongée dans l’obscurité.
[1] Les Cahiers du football, pour leur part, ne publieront rien durant quelques jours.
[2] le FC Nantes sera premier de ce groupe D devant Galatasaray, Eindhoven et la Lazio. Lors de la seconde phase de groupes, alors en vigueur, il finit dernier derrière Manchester United, le Bayern Munich et Boavista.