Vahid soit loué
L'auteur de cette lettre ouverte comprend l'Halilhodzic mieux que personne, il nous en explique les subtilités.
Auteur : Danijel Auteuil
le 2 Fev 2004
Cher Vahid, Si des dizaines de preuves attestent des miracles que tu peux réaliser, je choisirais celle-ci pour commencer : désormais, je comprends les supporters lillois. Moi que mon complexe de supériorité et mon égocentrisme parisiens rendent d'ordinaire incapable de la moindre empathie avec les Provinciaux et autres ruraux — a fortiori avec des Nordistes dont je traverse les contrées les yeux fermés quand le Thalys m'emmène à Bruxelles ou Amsterdam — j'ai pris toute la mesure, en quelques mois, de l'amour sans réserve que t'ont voué les fans des Dogues. Pourtant, à l'arrivée de votre Coach Vahid, amis du LOSC, Dieu sait que j'ai douté, troublé par l'image qui était donnée de ce despote aux systèmes de jeu ennuyeux, dont les troupes arrachaient des victoires boueuses dans les dernières minutes de matches fermés à double tour. Ennuyeux, toi? J'ose dire aujourd'hui, à contre-courant d'une opinion publique et journalistique qui fait la fine bouche et déprécie le spectacle offert par ton équipe, que je ne me suis jamais autant amusé que cette saison. Ivic étant chiant, Jorge était laborieux, ils ne durent leur salut qu'aux artistes qui peuplaient leur effectif. Alors que toi, avec pour seuls atouts un buteur minimaliste, un gardien de cirque, deux Argentins teigneux et une belle brochette de joueurs très ordinaires, ce n'est pas à nous que tu casses les bonbons, mais à des équipes infiniment plus douées que la tienne. Il n'y a qu'à voir la métamorphose de Fabrice Fiorèse cette saison pour se convaincre que comme Safet, tu rimes avec Magic. Alors c'est sûr, tu es énervant : tu râles, tu geins, tu dénigres ton équipe, tu fulmines, tu étales ta souffrance à la truelle, tu as des troubles de l'oreille interne. Mais ne te désole pas d'être incompris dans le football actuel, mets de côté ce vain désir de reconnaissance et suis ta voie, car ils sont bien incapables d'apprécier ton génie, eux qui ont pour modèle un football spectaculaire qu'ils ont pourtant contribué à enterrer, eux qui voient les rencontres par le tout petit trou de leurs statistiques, eux qui veulent du beau geste comme d'autres veulent des décorations en tête de gondole. À leurs yeux, la victoire au Vélodrome (en championnat) est un "hold-up", quand moi j'y vois le résultat parfaitement logique d'un match où tu as mis toutes les chances de ton côté. Le score final aurait certes pu être différent, mais depuis quand le foot est un sport où l'on gagne aux points, au "mérite", sur la note artistique, ou encore sur la possession de balle? D'ailleurs, qu'on me pardonne de filer la métaphore, mais pour réussir un hold-up, ne faut-il pas une préparation longue et minutieuse, un timing parfait, une exécution à la lettre du plan mis au point? C'est ce travail d'orfèvre qu'ils sont incapables d'apprécier, c'est cet hommage au "cerveau" de cette bande sans grand talent qu'ils sont incapables de rendre. Bizarrement, malgré la prolifération des consultants, des statistiques, des palettes graphiques, la dimension tactique d'une rencontre échappe presque totalement à la plupart des observateurs patentés. Dès lors, comment pourraient-ils saisir les véritables chefs d'œuvre stratégiques que tu réalises? Pour eux, neutraliser une équipe aussi brillante que l'AS Monaco n'est qu'une œuvre de destruction. Pourtant, si vendredi dernier, Giuly et Morientes sont restés à distance respectable de notre cage et n'ont fait valoir leur technique qu'en décrochant, ce n'est pas par l'opération du Saint-esprit ni par celle de Bernard Mendy. D'ailleurs, à Louis II, je me suis régalé de la répartie et du regard par lesquels tu as foudroyé Paganelli, venu te dire à la fin du match que ton équipe s'en tirait plutôt bien. Comme toi, j'étais déçu du résultat, je savais que Paris n'était pas passé si loin d'une victoire, parce quand ton équipe déclenche des phases offensives (pas vilaines du tout, pour qui daigne ouvrir les yeux), la trouille est palpable chez l'adversaire. Il aurait fallu dire à Reinaldo que tous les chemins mènent à Roma, sauf les talonnades fantaisistes à quatre mètres des cages. Mais bon, je m'emballe, j'oublie qu'évidemment, les performances de ton PSG doivent beaucoup aux arbitres, que la balle contrée de la main par Mendy allait dans la lucarne d'Alonzo et que M. Layec a été si mauvais que Giuly en a raté son énorme occasion de la 84e minute. En fait, une seule chose pondère mon enthousiasme à ton égard: je me demande s'il n'est pas démultiplié par la comparaison avec ton prédécesseur, l'homme aux tactiques aussi claires que ses gesticulations. Ton jeune mandat à Paris apparaît forcément comme un chemin lumineux après des mois d'errances braillardes et de faux-semblants démagogiques. Et c'est vrai, voir une équipe qui évolue selon une tactique cohérente et des joueurs qui se battent comme des Niçois, cela tient du miracle dans la capitale. D'ailleurs, avec un palmarès aussi mince en championnat, on comprend que de Larqué à Fernandez, le club a collectionné les entraîneurs de seconde zone et qu'il mettra du temps avant de comprendre ton génie. Je compte sur ton pessimisme atavique pour te défier de toute tentation euphorique. Rappelle-toi que ton public est celui qui a sifflé Rai et applaudi le retour de Jerry Luis, que tu ne dois rien attendre de lui. Ton premier titre, on le fêtera ensemble, toi et moi. Et même si tu échoues et que tu retournes à Lille, allez tiens, je te suis.