Chroniques bielsiennes : Le quitte ou double
Épisode 2 – La menace du licenciement plane au-dessus de la tête de l'entraîneur lillois mais il continue à croire en la réussite du projet qu'il incarne. La marge de manoeuvre se réduit et sa communication change.
La profession est ainsi: la plupart des journalistes sont là pour rapporter l'information mais d'autres préfèrent la créer. Quand le coup d'éclat, réfléchi et préparé, tombe le même jour que celui de l'interlocuteur, le jeu passe au second plan.
Le vendredi 3 novembre, la conférence de presse d'avant-match n'a pas tourné autour de Metz-Lille. Ou si peu. Au cœur du débat, Marcelo Bielsa. Attaqué violemment sur son discours et ses choix, mais auparavant beaucoup plus offensif – des mots ciselés à la place d'éclats de voix – au moment d'évoquer sa relation avec Luis Campos, le conseiller du président.
La sortie médiatique
Dans un milieu où répondre "Je ne sais pas" et où le fait de suivre ou non un partenaire sur un réseau social est interprété comme un signe de tension, rares sont les envolées lyriques. Alors, quand Marcelo Bielsa expose pendant un quart d'heure sa vérité sur ses relations avec Luis Campos, son binôme en matière de recrutement et dont le rôle au sein du LOSC est central, on attache sa ceinture et on note bien chaque mot. L'exposé, qui dépasse le quart d'heure mais aurait pu s'étendre – "Je ne vais faire référence qu'à une partie de la vérité, celle que je peux communiquer", souffla-t-il –, insiste d'abord sur la synergie entre les deux hommes. Et puis, c'est le drame.
Le ton reste monocorde mais les critiques s'enchaînent. En vrac: "Je lui ai dit que les principes qui le guidaient étaient opposés aux miens et qu’il n’était pas bon d’avoir deux sources de pouvoir au sein de l’équipe première (…) Je dois vivre avec les méthodes qu’il choisit et je ne crois en aucune façon qu’il peut diminuer mon autorité (…) Je ne partage pas la façon dont il gère le public la presse et l'opinion publique."
Aussi peu masquées qu'une feinte de frappe de Luiz Araujo, ailier passé de Leroy Sané à Jaouad Zaïri entre la présaison et le début de la Ligue 1, les allusions à des articles sortis dans la presse décrivent Campos comme étant une taupe. Selon qui on interroge, la rébellion des joueurs évoquée par RMC passe d'un moment important de la vie du club à une banale discussion de vestiaire…
L'un ou l'autre
Après un mercato estival passé en bonne intelligence, il aura donc fallu attendre que les températures baissent enfin pour que la tension monte et que l'entraîneur argentin affiche ouvertement ses désaccords avec le Portugais. Un secret de polichinelle qui n'était d'ailleurs pas très difficile à anticiper.
Bielsa comme Campos s'appuient sur des hommes de confiance. Le premier pour former un cercle réduit au sein duquel il ne veut aucune ingérence, le laissant maître du jeu et seul responsable de la situation sportive. Le second pour avoir des leviers d'influence qui le tiennent informé et lui permettent de peser au sein du club. Deux têtus aux méthodes les moins compatibles qui soient.
Dans ce contexte, la sortie verbale de Marcelo Bielsa apparaît alors comme une forme de quitte ou double. Puisqu'il est à peu près acquis que les deux hommes ne pourront pas travailler ensemble très longtemps, sauf à considérer qu'un club peut réussir quand deux des quatre éléments les plus importants dans le domaine décisionnel ne cautionnent plus grand-chose du travail de l'autre – les positions du président Gérard Lopez et du DG Marc Ingla, difficiles à lire, étant plus ou moins à mi-chemin –, une tête devrait tomber. Et contrairement à ce que le classement laisse imaginer, les cotes ne sont pas très éloignées.
Sauvé par le gong
Car si Marcelo Bielsa était en danger à Metz, une défaite risquant de vraiment fragiliser un poste qui ne devait en théorie pas être menacé avant le mercato de janvier, il a été sauvé par Mike Maignan. Au cœur d'une première période catastrophique, où l'absence de fond de jeu était moins embêtante que la différence d'engagement avec l'adversaire, c'est comme si les Lillois n'avaient pas envie de se battre pour sortir la tête de l'eau. Comme si de la défaite face à Marseille, match référence où le score (0-1) reflétait bien mal le rapport de force et les progrès collectifs dans le jeu, n'avait émergé qu'un sentiment de fatalité.
Heureusement pour les Nordistes, alors que Metz se procurait un wagon d'occasions, dont une bonne partie nées d'absences défensives, le jeune gardien multipliait les arrêts. Et, sur l'une des premières incursions dans la surface adverse, Nicolas Pépé obtenait un penalty. Transformé par l'intéressé, qui ne faisait pourtant pas partie des deux tireurs désignés, il cabossait un peu plus les têtes lorraines.
Les jambes alourdies par une première période passée à courir partout, les Messins s'éteignaient complètement après le repos, aidant la cause lilloise dans l'obtention d'un succès bien plus large (3-0) que brillant. Celui que le LOSC a l'habitude d'offrir à ses adversaires.
Danger zone
Un peu plus d'une semaine plus tard, des rumeurs envoient Luis Campos du côté de Chelsea, où la marge de progression des joueurs est moindre mais le prestige autrement plus grand. Un départ qui pourrait arranger tout le monde, le projet lillois reposant bien plus sur les épaules d'un coach aux méthodes particulières et au prestige certain que sur celles d'une sorte de recruteur en chef doué mais pas plus que d'autres – et qui a passé tellement de temps loin du centre d'entraînement que le club a appris à fonctionner sans lui.
Cela ne réglerait cependant qu'un seul aspect: la lutte de pouvoir en interne. Sans Bielsa, les jeunes recrues de Campos auraient moins de chances d'être valorisées, peu d'entraîneurs disponibles ayant sur le papier le pédigrée et les convictions pour leur faire passer un cap dans le jeu. Sans Campos, Bielsa aurait les mains un peu plus libres… mais sans garantie que la direction continue de le suivre, surtout avec une dix-neuvième place au classement.
Pour le LOSC, l'impératif est de prendre des points pour éviter tout risque d'accident industriel. Hormis à Paris voire à Marseille et Lyon, rares sont les endroits de l'Hexagone où les victoires n'arrêtent pas les crises…
Et maintenant ?
Si la situation sportive est loin d'être désespérée, et si une victoire sur tapis vert face à Amiens (possibilité vite exclue par la LFP) aurait d'ores et déjà ramené Lille à un point de Nice et trois de la première moitié de tableau, c'est avant tout la qualité des productions qui interroge. Même si, au sein du club, certains s'inquiètent de la faible valorisation des joueurs en cas de mauvais classement final, la progression et la vente de plusieurs éléments pourrait sauver les meubles. Un énorme "si".
Les très grosses offres reçues pour Yves Bissouma cet été ne sont pas parties pour être égalées dans un avenir proche. À la rue au poste de latéral droit, le milieu a demandé à ne plus y évoluer. Souhait exaucé mais qui, en l'absence de places dans l'entrejeu, cloue pour l'instant le Malien sur le banc. Ibrahim Amadou, capitaine qui a beaucoup plus de talent que de charisme, intéressera à nouveau l'Angleterre, lui qui est aussi bon en défense qu'au milieu.
Le nouveau venu Edgar Ié, défenseur central qui peut jouer à droite, est devenu international portugais et a le niveau pour jouer à Porto, club à qui Lille l'a subtilisé sur le fil. Mais pas sûr que leurs ventes éventuelles, pour un montant qu'on pourrait aujourd'hui imaginer autour des 50 millions (à peine plus qu'un Tiémoué Bakayoko), seraient comblées sans affaiblir énormément l'équipe.
Et puis il y a le cas Thiago Mendes. Seul joueur capable actuellement de faire le lien entre défense et attaque, le Brésilien est bien plus doué et intelligent tactiquement que ses partenaires. Depuis son retour, conjugué à des matches disputés dans un 4-2-3-1 qui devient 4-1-4-1 en phase offensive, le LOSC arrive à faire des décalages et approvisionner ses attaquants. Lesquels continuent de faire souvent n'importe quoi mais, avec deux fois plus de ballons exploitables, finissent parfois par faire des différences.
Il n'empêche: malgré des sursauts, les problèmes du début de saison restent les mêmes. Et même en voulant croire que le travail acharné finira par payer, la marge de progression de la plupart des joueurs dans la compréhension du jeu est difficile à voir. Il suffirait d'un match face à un adversaire évoluant en 4-4-2, et du retour automatique à un 3-3-3-1 que Lille n'arrive pas à animer, pour que le mouvement sinusoïdal entame une nouvelle plongée.